Ukraine – Le retour des mémoires
Les événements actuels qui se déroulent en Ukraine nous ont amené à chercher dans nos archives,–après tout nous sommes historiens–, pour voir l’ensemble de ce que nous avons pu mettre en œuvre, en retrouvant des textes et des contributions qui restent tout de même d’actualité.
Dans l’argumentaire de Vladimir Poutine pour justifier l’invasion, la référence à la seconde guerre mondiale, appelée Grande guerre patriotique, est évidemment ressortie.  Le maître du Kremlin n’a pas hésité à utiliser le terme de dénazification d’ailleurs.
Le territoire de l’Ukraine est bien une terre de sang. Et pendant la seconde guerre mondiale les ukrainiens en ont payé le prix, et c’est sur ce territoire que les centres de mise à mort ont été installés dans le cadre de la solution finale du problème juif en Europe.
Dans la période qui a suivi l’indépendance de l’Ukraine, une certaine ambiguïté des autorités de l’époque a pu s’exprimer. Et le but de cette conférence que nous reprenons après coup, visaient à faire un état des lieux. Les politiques mémorielles sont des questions sensibles, et dans le contexte actuel, il ne faut pas y voir autre chose qu’un témoignage qui est celui d’une réflexion sur l’état de la question en 2008. Pour autant, et au moment où l’on semble redécouvrir ce territoire que l’on a pu qualifier « d’État fantôme », il n’est pas inutile d’y revenir. 
Le 27 février 2022
Les hasards d’un train raté par le conférencier principal m’ont amené, à la demande des animateurs du CERCIL ( Et de Nathalie Grenon à qui je ne peux rien refuser) à introduire la conférence sur la politique mémorielle de l’Ukraine où j’ai effectué plusieurs séjours, y compris pendant la période soviétique.

Introduction – Bruno Modica

L’Ukraine est aujourd’hui aux portes de l’Europe est elle est amenée à revisiter son passé. Son passé soviétique mais également la période trouble de l’occupation allemande qui a suivi l’invasion de l’URSS après le 22 juin 1941.
Pendant la période soviétique, le fait que des populations ukrainiennes aient été impliquées dans la solution finale et notamment la shoah par balles a été totalement occulté. Le pouvoir soviétique insistait au contraire sur le rôle de l’Ukraine en tant que ligne de défense occidentale face aux envahisseurs. Un culte mémoriel était organisé autour des pertes subies par l’Ukraine pendant cette période. 20 % de la population.
Les monuments aux morts rappelaient ces pertes avec les cinq arbres plantés près des stèles comémoratives. L’un de ces arbres avait le tronc coupé à la moitié, pour évoquer la mort d’un cinquième de la population.

Beaucoup de choses sont à creuser dans cette histoire et les travaux des historiens ukrainiens sont encore en cours. Ils devront sans doute dépasser plusieurs préventions et notamment les questions liées à cette concurrence mémorielle.
Cette concurrence mémorielle se retrouve à propos de la famine en Ukraine dans les années trente, assimilée par certains mouvements nationalistes ukrainiens à un génocide. Il est évident à ce moment là que cette mémoire s’oppose à celle de la shoah par balles à laquelle les supplétifs ukrainiens semblent avoir effectivement participé.
L’histoire de l’Ukraine reste encore une fois à revisiter, une fois de plus à l’aune de ces relations particulières avec la Russie, et l’on sait que les liens sont très forts, pour le meilleur et pour le pire serait-on tenté de dire. Mais en même temps, toute une partie du passé de l’Europe centrale a été occulté par le pouvoir soviétique et notamment l’ancrage européen de l’Europe dans cette entité politique polono-lituanienne contre laquelle la Russie de Rous s’est affirmée. Ce sont alors les cosaques Zaporoghes, les mêmes qui participent aux pogromes du XIXe siècle qui affirmaient alors ce lien entre le pouvoir de Moscou et celui de la péréphérie, l’Okraina, qui donne son nom à l’Uraine.

La politique mémorielle de l’Ukraine

Patrice Bensimon – Chercheur Doctorant à l’EHESS

L’Ukraine doit revisiter son passé en évaluant son passé, ou son passif, à propos de la participation d’une partie de la population à la solution finale. Des Ukrainiens de la division Galicie ont largement participé à la shoah par balle et à bien d’autres actes commis par des régiments ukrainiens de la waffen SS composés d’Ukrainiens.
Différents historiens ont essayé d’instaurer un dialogue entre ces différentes mémoires. Dans ce contexte l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne est assez problématique.
L’instrumentalisation de la mémoire des ukrainiens est actuellement en cours. Certains mouvements ukrainiens ont tendance a évacuer le problème des juifs ont mettant en avant leur propre mémoire du génocide qu’ils affirment avoir subi en 1928.

L’Ukraine contrairement à l’URSS a voulu reconnaître le génocide des juifs et le Président Iouchenko a reconnu la présence de supplétifs Ukrainiens aux côtés des troupes allemandes.
Le phénomène de la collaboration reste inquiétant en l’absence de tout discours officiel. Des manifestations ont lieu en faveur du souvenir de la division SS Galicie comme à LLov. ( 2000 Manifestants) Lors de la dernière rencontre avec Timotchenko / Poutine le problème a été évoqué.
Ce discours tiraillé entre l’Est et l’Ouest montre que les avancées sont encore timides. Des historiens travaillent pourtant sur la question et cherchent à développer un véritable devoir d’histoire face à des concurrences mémorielles.
La période du génocide est traitée dans les manuels. Mais de façon sélective. Ce qui est effrayant c’est que les populations ukrainiennes semblent avoir une perception plutôt apaisée de la question.
Ce qui est regrettable c’est l’absence de discours officiel. Bensimon l’explique par une volonté de ménager les différents points de vue mais également par l’influence des groupes de pression nationalistes ukrainiens aux Etats-Unis. L’antisémitisme larvé est quand même présent. Bensimon évoque les liens entre ces différentes mémoires.

Bruno Modica Blois, le 10 octobre 2008