Modérateur

Vincent VILMAIN maître de conférences à l’Université du Mans

Quand la religion crée la race

Intervenants

Chrystal VANEL Chercheur Post-Doctorant au GSRL (CNRS/EPHE)

Maud MICHAUD, MCF à l’université du Mans

Baptiste BONNEFOY, Chercheur à l’Université du Mans

Giulia BONACCI, Chercheuse à l’IRD/URMIS

Présentation des intervenants.

Non seulement les religions peuvent parfaitement s’accommoder de la « race », en particulier lors de l’acmé de la raciologie dite scientifique au XIXe siècle, mais elles sont capables également d’en produire dans la longue durée, bien avant l’émergence de la notion de « race » issue de l’histoire naturelle. Dans ce schéma, le rôle de la notion de lignage est déterminant et les textes sacrés permettent de construire et d’essentialiser des différences. Le déterminisme racial repose alors sur le récit soit d’une malédiction – aboutissant à la création d’un lignage stigmatisé – soit d’une bénédiction ou d’un rattachement à un noble lignage. – Dans le premier cas, l’exemple le plus connu, est celui de la malédiction de Ham/Cham (Gn. 9) qui permit – entre autres choses – de justifier l’esclavage des populations noires [Braude, 2002 ; Haynes, 2002 ; Goldenberg, 2003 ; Whitford, 2009] y compris dans l’islam bien que ce récit ne figurât pas dans le Coran. Dans le second cas, le meilleur exemple réside dans les théories du British Israelism [Barkun, 1997] défendues par Wilson puis Hines au XIXe siècle et restées très populaires dans le monde anglo-saxon jusqu’au milieu du XXe s. Ces conceptions s’accompagnent souvent d’une racialisation de la notion d’élection et de peuple élu qui, alors, loin d’être conçue comme métaphorique ou ressortant d’une mission particulière au sein de l’humanité, apparaît à ses défenseurs comme l’expression d’une supériorité raciale. Or, cette prétention à l’élection tend à se renforcer à partir du XVIIe siècle au sein de la galaxie protestante aussi bien en Afrique du sud qu’en Amérique. – Parmi ces constructions, certaines sont bien moins étudiées. Il s’agit en particulier de celles produites par les populations africaines-américaines au XIXe siècle qui inversent les stigmates et donnent à la « race » blanche une origine indigne, aussi bien dans le christianisme africain-américain [Livingstone, 2011 ; Harvey, 2007] que dans le Black Judaism ou encore que dans la Nation of Islam. Elles produisent également des contre-discours de l’élection particulièrement manifestes dans le rastafarisme et constituent un outil encore opérant aujourd’hui même s’il reste difficile d’en mesurer l’imprégnation. Dans tous les cas, les questions autour de la circulation et de l’hybridation de ces généalogies racialo-religieuses ont été peu travaillées et méritent qu’on s’y attache dans ce Panel proposé aux 23èmes Rendez-vous de l’histoire.

La présentation ci-dessus montre de façon évidente que cette relation entre races et religion a été sans doute peu étudiée. On pourra noter toutefois que le national-socialisme a pu établir une corrélation évidente et qu’il a pu, à certains égards, reprendre quelques éléments que l’on retrouve dans les logiques présentées par les intervenants de cette table ronde.

Au niveau de la forme, autant dire clairement que les communications de chercheurs, qui reprennent des articles de colloques qu’ils ont pu écrire, ont de plus en plus de mal à passer à l’oral. Rendre accessible à un public certes éclairé, mais forcément pas spécialiste du sujet, est un art qu’il faut savoir maîtriser. Et la citation quasiment en aparté de référence abstraites sans la moindre explication, suscite à tout le moins un certain agacement.

Cela est particulièrement dommageable car justement le thème de la table ronde était passionnant.

Sous la conduite de Vincent Vilmin, maître de conférences à l’université du Mans, les quatre intervenants ont pu présenter successivement différentes approches de ce phénomène. Celui-ci que l’on retrouve dès la généalogies de Cham et de Canaan. Cette malédiction liée à la faute de Noé, qui se serait endormi tout nu après avoir abusé des vignes du seigneur, se retrouve dans sa descendance dont l’âme se serait noircie avant que la peau ne le devienne.

Le récit biblique ne se retrouve pas dans le Coran, même s’il a pu être repris par la suite pour justifier dans une certaine mesure la traite arabe en Afrique orientale.

Si la malédiction est noire, elle a pu produire des discours inversement symétriques à partir de l’action de pasteurs afro-américains ont proposé une contre généalogie raciale, servant à la revalorisation des noirs. Cela peut permettre aussi l’émergence de ce que l’on pourrait considérer comme une religion nouvelle, l’Éthiopisme que l’on connaît de façon plus développée avec le rastafarisme.

Maud MICHAUD, MCF à l’université du Mans a ainsi développé une réflexion sur le malédiction de Cham dans les discours coloniaux.

On retrouve le récit de cette malédiction dans la genèse 9, 18–27.

Livre de la Genèse

(chapitre 9, versets 18 à 27)

(18) … Les fils de Noé qui sortirent de l’arche étaient Sem,

——Cham et Japhet. Cham fut le père de Canaan.

(19)– Ces trois-là sont les fils de Noé.

——C’est à partir d’eux qu’on se dispersa sur toute la terre.

(20)– Noé devint cultivateur et il planta une vigne.

(21)– Il but du vin, s’enivra

——et s’exposa nu à l’intérieur de sa tente.

(22)– Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père

——et le raconta au dehors à ses deux frères.

(23)– Alors Sem et Japhet prirent le manteau,

——le mirent tous deux sur leurs épaules,

——marchèrent à reculons et recouvrirent la nudité de leur père ;

——comme ils détournaient le visage,

——ils ne virent pas la nudité de leur père.

(24)– Lorsque Noé se réveilla de son vin,

——il apprit ce que lui avait fait son fils cadet.

(25)– Il dit alors :

————« Maudit soit Canaan !

————Qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères !»

(26)– Il dit encore :

————«Béni soit le SEIGNEUR (YHWH) le Dieu de Sem,

————et que Canaan soit son esclave !

(27) ——-Que Dieu mette Japhet au large !

————Qu’il demeure dans les tentes de Sem,

————et que Canaan soit son esclave ! » …

la malédiction de Cham

Cette malédiction se retrouve largement reprise dans les productions intellectuelles du Moyen Âge, la noirceur de la peau devenant peu à peu un marqueur du statut d’esclave. On retrouve cela dans le livre de la caverne des trésors, un texte d’origine syriaque du cinquième ou du sixième siècle qui reprend la généalogie biblique de façon très précise pour faire remonter le fils de l’homme jusqu’à Adam.

En tout le Moyen Âge la malédiction de Cham se trouve instrumentalisée et progressivement une perméabilité des discours scientifiques naissants et du récit biblique s’opère.

Le développement des sciences de l’homme les administrateurs britanniques l’empire colonial, les explorateurs et les géographes s’intéressent évidemment à cette Afrique qu’ils découvrent avec une forme de fascination cherchant à trouver, plutôt en Afrique orientale, des liens avec cette Égypte qui pose problème puisqu’elle se constitue en une civilisation particulièrement « évoluée ».

Les descendants de Cham et de Canaan sont repris dans la théorie hamitique présente des descendants de façon plus évoluée, apportant la civilisation aux peuples « indigènes », c’est-à-dire rencontrés sur place.

À partir de ces réflexions anthropologiques, les lobbys esclavagistes ont pu développer une généalogie raciale spécifique faisant de l’esclavage une nécessité pour élever ses peuples maudits vers une hypothétique rédemption. Ce lobby Esclavagiste qui est très actif aux États-Unis, comme en Angleterre se heurte aux cercles méthodistes et évangélistes sont abolitionnistes.

Chrystal Vanel consacre ses recherches aux mormons, qui sont une Église très minoritaire en France, originaire des États-Unis et qui compte moins de 40 000 adeptes dans notre pays. Officiellement appelée « Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours », ou simplement église mormone, ce courant religieux qui est né dans la première moitié du XIXe siècle se considère comme descendants de la tribu d’Éphraïm. Les noirs, que les mormons rencontrent sur le continent américain, après leur mouvement qui les conduit de l’État de New York jusqu’à Salt Lake City en passant par le Midwest, sont considérés comme des descendants de calme et de Cham. Les mormons développent une conception de la vie en trois étapes, celle de la préexistence, la vie sur terre et la résurrection après la mort. Jusqu’en 1978 les mormons ont légitimé, au nom de la religion, la discrimination à l’égard des noirs, qui sont exclus du sacerdoce.

Le livre de mormon

En 1978, Spencer W. Kimball – 1973-1985, reçoit une révélation qui lui permet d’ouvrir le sacerdoce aux noirs.

Dans le livre de Mormon on assiste à une adaptation du récit biblique à l’espace géographique des États-Unis dans lesquels l’église s’est implantée. Les amérindiens seraient des descendants d’une tribu de Lévy, qui aurait migré en même temps que deux branches, les lamanites, qui se seraient écartés de la parole de Dieu tandis que les néphytes lui seraient restés fidèles. À partir de cette ouverture du sacerdoce aux noirs dans l’église mormone, un programme de prosélytisme vers les descendants des lamanites et développer, en direction des amérindiens et des polynésiens. Ce programme semble avoir réussi en Polynésie où il semblerait que 10 % de la population locale se rattacherait à cette église.

Fort de 16 millions d’adeptes dans le monde, et sous la direction de Russell Nelson les mormons attendent le rassemblement d’Israël autour des 10 tribus perdues, de tous ceux qui sont disposés à laisser Dieu gouverner la vie. Toute référence à une hiérarchie des races semble avoir disparu du corpus doctrinal de cette église mormone.

Une généalogie raciale inversée

Baptiste Bonnefoy a présenté une généalogie raciale inversée, mettant les noirs au sommet de la hiérarchie, et considérant les blancs comme le résultat d’une dégénérescence. Ce mouvement est parti avant les années 60 d’églises méthodistes animées par des pasteurs afro-américains.

Il est ainsi possible de considérer que le nationalisme noir qui peut se différencier de la simple lutte contre les discriminations ainsi que de la promotion des gens de couleur, trouve ses origines dans une démarche religieuse issue des églises spécifiquement noires. Le but est de délégitimer les fondements religieux de l’infériorité des noirs qui a pu justifier leur soumission à l’esclavage.

Le pasteur méthodiste ont repris à leur compte la malédiction de Caïn et de Cham mais ont développé une nouvelle généalogie qui reprend son compte le rôle de l’ancienne Égypte dont les populations seraient issues de l’un des petits-fils de Cham, http://french.ccg.org/weblibs/study-papers/p045c.html Mitsraïm. À partir de cette généalogie alternative qui fait de l’Égypte un pays peuplé de noirs ou en tout cas de gens de couleur, on peut trouver trois races distinctes, les Égyptiens, les Chinois et les Indiens. Cela se justifie par les alliances matrimoniales avec les rois de la Bible.

L’une des épouses de Moïse serait la noire Séphora, l’épouse de Salomon serait noire, tout comme la reine de Saba. Les pasteurs afro américains reprennent à leur compte la fiction légale de la goutte de sang noir qui permet de considérer le Christ comme un homme de couleur. Et forcément Moïse, l’enfant abandonné, le serait aussi.

Cela permet de théoriser une infériorité de la race blanche, en abordant la malédiction de Myriam qui est selon la Torah la sœur aînée de Moïse et d’Aaron, fille d’Amram et de Yokébed.

Livre des nombres 12.

1 Moïse avait épousé une femme kouchite. Miryam et Aaron se mirent à le critiquer à cause de cela.

2 Et ils dirent:

—Est-ce seulement par l’intermédiaire de Moïse que l’Eternel a parlé? N’est-ce pas aussi par notre intermédiaire?

L’Eternel entendit cela.

3 Or, Moïse était un homme très humble, plus que tout autre homme sur la terre.

4 Alors l’Eternel ordonna soudainement à Moïse, à Aaron et à Miryam:

—Rendez-vous tous les trois à la *tente de la Rencontre!

Ils y allèrent.

5 L’Eternel descendit dans la colonne de nuée et se tint à l’entrée de la Tente. Il appela Aaron et Miryam et tous deux s’avancèrent.

6 Il dit:

—Ecoutez bien ce que j’ai à vous dire. S’il se trouve parmi vous un prophète de l’Eternel, c’est dans une vision que je me révélerai à lui, ou dans un rêve que je lui parlerai.

7 Mais les choses sont différentes avec mon serviteur Moïse, qui est fidèle dans toute ma maison.

8 C’est de vive voix que je lui parle, de façon claire et non dans un langage énigmatique, et il voit l’Eternel de façon visible. Comment donc avez-vous osé critiquer mon serviteur Moïse?

9 L’Eternel se mit en colère contre eux, et il se retira.

10 A peine la nuée avait-elle quitté la Tente, que Miryam se trouva couverte d’une lèpre blanche comme la neige. Quand Aaron se tourna vers Miryam, il vit qu’elle était lépreuse.

11 Alors il dit à Moïse:

—De grâce, mon seigneur, ne nous tiens pas rigueur du péché que nous avons commis dans un moment de folie!

12 Ah! que notre sœur ne soit pas comme l’enfant mort-né dont la moitié du corps se trouve déjà en état de putréfaction au moment de sa naissance.

13 Moïse implora l’Eternel:

—O Dieu, je t’en prie, guéris-la!

14 Mais l’Eternel lui répondit:

—Si son père lui avait craché au visage, n’en porterait-elle pas la honte pendant sept jours? Qu’elle soit exclue du camp pendant sept jours, après quoi elle sera réadmise parmi vous.

15 Miryam fut donc exclue du camp pour sept jours. Et le peuple ne leva le camp que lorsqu’elle y eut été réintégrée.

16 Après cela, ils quittèrent Hatséroth et campèrent dans le désert de Parân.

La race blanche : la malédiction de la lèpre

La malédiction de la lèpre se traduit par la peau blanche, et par extension Moïse qui a épousé une noire se retrouve comme l’ancêtre des seuls vrais juifs, c’est-à-dire des noirs.

La dernière intervention faite en visio-conférence par Giulia BONACCI, Chercheuse à l’IRD/URMIS, à partir de Nice, a souffert d’une technique défaillante de transmission, et d’une lecture d’un article qui a beaucoup nui à l’intelligence du propos.

Le mouvement rasta

Il s’agissait de montrer comment, à partir de 1930, et de ce réveil afro chrétien qui a voulu relancer l’espoir d’une renaissance noire, l’Éthiopie noire et biblique est devenue la référence de prédicateurs jamaïcains.

On trouvera sur ce lien la démarche d’inversion d’une lecture blanche de la Bible qui aurait été imposée. L’empereur roi des rois, Haïlé Sélassié, chef d’État d’Éthiopie, un des rares pays africains à ne pas avoir était colonisé par les occidentaux, en dehors de l’attaque italienne en 1935, devient, pour les jamaïcains l’incarnation de cette philosophie religieuse qui situe le foyer de la vraie foi du Christ en Éthiopie.

http://www.histophilo.com/mouvement_rastafari.php

Giulia BONACCI a cité trois textes qui sont fondateurs du rastafarisme mais les conditions de la communication n’ont pas permis de les retenir.

La table ronde s’est terminée par une intervention du modérateur Vincent VILMAIN, qui a présenté très rapidement l’origine de ce mouvement important : « Nation of Islam » fondé à Détroit en 1920 par Elijah Mohammad. Dans son ouvrage de référence, message the blackman, on raconte une histoire de l’humanité qui part de 6600 avant notre ère, dans un monde noir pacifié. Mais un personnage comme Yacoub, intelligent mais malveillant en découvrant le germe blanc fabrique cette race qui asservit les noirs. Cette thèse a pu être largement reprise dans les milieux populaires afro américains.

Cette table ronde particulièrement stimulante pour son contenu a souffert incontestablement d’une forme davantage adaptée à un colloque de sociétés savantes qu’à une communication en direction du grand public. À cet égard il conviendra de se référer à ce carnet de recherche en ligne https://relrace.hypotheses.org/  que l’équipe animatrice gagnerait à alimenter, tant cette question du lien entre races et religions mérite d’être posée dans les débats actuels.