Nous n’attendions plus grand chose des programmes de l’école et du collège. L’ambition de vouloir tout traiter, du paléolithique jusqu’au temps présent, rend la tâche impossible par nature. La fragilité du gouvernement, la modestie de sa politique scolaire et la future échéance de 2027 ne pouvaient qu’accoucher d’une partition toute en retenue. En l’espèce, on aurait pu objecter qu’à ce stade, on pouvait encore attendre des auspices plus clairs mais voilà, il y a eu saisine du conseil supérieur des programmes (le CSP) et donc obligation de rendre un texte pour le mois de juin 2025. C’est chose faite, le 1er juillet…
En septembre 2024, les Clionautes, comme d’autres acteurs du monde éducatif, avaient été auditionnés par le CSP. Certaines de nos remarques ont été entendues, et nous le saluons. Mais très vite, à la lecture des textes, l’enthousiasme retombe. Malgré des évolutions intéressantes, on retrouve un air de déjà-vu… pour ne pas dire de déjà-vécu dans les années 1980.
Nous avons donc entrepris, dans un temps très court, une première lecture critique de ces projets. Pour cela, nous avons mobilisé une grille en quatre volets :
- Cohérence scientifique et disciplinaire : les contenus sont-ils structurés, à jour, équilibrés ?
- Finalités éducatives et visée citoyenne : quelle vision de l’élève et de la société ces programmes véhiculent-ils ?
- Faisabilité pédagogique et didactisation : peut-on réellement enseigner ces contenus dans les temps et conditions impartis ?
- Lecture critique et enjeux politiques : quels choix implicites ? Quelles absences ? Quels effets ?
Dans les lignes qui suivent, nous ne rentrerons pas dans le détail de chaque programme. Cela viendra. Cette première analyse vise à ouvrir la discussion et à pointer ce qui, déjà, nous semble mériter réflexion, échange… et vigilance.
En Histoire, un mercato en demi-teinte
On veut contenter tout le monde
En Sixième, on a visiblement voulu satisfaire toutes les sensibilités : retour de l’Égypte des Pharaons, maintien de la Préhistoire, réintroduction d’Alexandre le Grand, et même l’entrée des Celtes en fin d’année. Mais à trop vouloir ménager chacun, on risque la surcharge.
Prenons l’exemple de l’Égypte : insérée entre la Mésopotamie et la Grèce, cette séquence redonde fortement avec la précédente. Même logique thématique, même problématique. On peut questionner l’intérêt de ce thème surtout lorsque l’on lit la ligne “héritage” uniquement patrimonial (Ramesseum, Abou Simbel, etc.). Il aurait été plus pertinent de proposer un thème sur les premières formes d’organisation étatique en laisant le soin aux enseignants de mettre en perspective l’exemple choisi avec un autre.
Une bonne entrée dans la science historique
On notera toutefois une évolution positive en cycle 2 : l’entrée dans l’histoire dès le CE1 avec des thématiques pertinentes comme « du passé proche au passé lointain », ou encore « les traces du passé ». La chronologie démarre dès le CE2, offrant trois années (et non plus deux) pour parcourir l’histoire de l’Antiquité à nos jours.
Mais ce progrès formel ne doit pas masquer un problème de fond : le manque criant de formation continue pour les enseignants du premier degré. Sans accompagnement, ces nouveaux contenus risquent de rester lettre morte ou d’être abordés de manière trop superficielle.
Une place « normale » faite aux femmes
C’était une demande forte, portée par nous comme par d’autres : sortir d’un traitement artificiel de « l’histoire des femmes ». Il est heureux de constater que cette exigence semble avoir été entendue. Dans chaque thème, les femmes sont présentes – individuellement nommées ou mentionnées dans des collectifs. C’est une avancée, à condition que les manuels suivent.
Chaque thème étudié fait une place aux acteurs de l’histoire, qu’ils soient individuels ou collectifs, célèbres ou moins connus. Une attention particulière est portée aux femmes, évoquées dans de nombreux thèmes. Certaines sont citées nommément, d’autres mentionnées dans des collectifs (paysannes ou résistantes, par exemple) ce qui n’interdit pas, quand cela est possible, de s’appuyer sur d’autres exemples concrets. Récits, descriptions, analyses sont mis au service d’une histoire vivante.
On se souvient que lors de la réforme de l’EMC en 2016, des études avaient montré de fortes inégalités dans les manuels. Restons vigilants.
Disparition des mondes extra-européens
C’est l’un des points noirs de ces nouveaux programmes. L’empire Gupta, la Chine des Han, l’empire du Mali… balayés. Exit l’ouverture aux mondes extra-européens que les anciens programmes avaient timidement amorcée. On reste en France dans les cycles 2 et 3, en Méditerranée en 6e et 5e, puis on passe directement à la mondialisation par les Européens. Autrement dit, on revient à ce qui se faisait en…1996 !
Un programme déconnecté du XXIe siècle
Clôturer le parcours historique en 3e sur « le début des années 2000 » – autrement dit, avant même les attentats de 2015 ou la crise climatique actuelle – c’est faire preuve d’une myopie inquiétante. Le monde contemporain disparaît. Même l’EMC ne compense pas, puisque les nouveaux programmes de 4e de 2024 y ont déplacé les enjeux de défense – un non sens…
Enseigner les génocides et les crimes contre l’humanité
Les programmes conservent l’esclavage en CM1 et en 4e, ce qui est bien. Mais la période révolutionnaire, 1848, et les liens entre « découvertes » et colonisation sont éclatés voire mal articulés. Le génocide des Arméniens est évoqué en 3e, sans attendus clairs. Même chose pour le génocide des Tsiganes, à peine cité. Seule la Shoah bénéficie d’une recommandation pédagogique un peu précise : s’appuyer sur l’exemple d’une personne ou d’une famille juive, ainsi que sur l’histoire locale pour la Résistance. Deux préconisations pédagogiques intéressantes et mobilisatrices. Nous parlons d’expérience.
Reste une interrogation fréquente sur le cycle 3, notamment en CM2 : est-il pertinent d’aborder aussi tôt les guerres mondiales, les génocides ou les crimes contre l’humanité ? Certains collègues et parents d’élèves s’en inquiètent, estimant que des entrées par la vie quotidienne — les bouleversements technologiques, l’essor des grands magasins, l’évolution de la médecine ou les rationnements — pourraient offrir des chemins d’accès plus adaptés et plus engageants pour les élèves, sans renoncer à la rigueur historique.
Quant à la guerre d’Algérie, elle est noyée dans un thème sur « le monde de 1945 aux années 2000 » qui inclut… à peu près tout. Le génocide des Tutsi, lui, disparaît purement et simplement. C’est inacceptable.
La question du fait religieux
Sur les religions, le traitement est inégal. Le judaïsme bénéficie d’une contextualisation historique. Le christianisme, en revanche, est réduit à sa diffusion. Le nom de Jésus est à peine mentionné. L’islam est abordé par l’entrée culturelle et institutionnelle, sans explication du fait religieux lui-même.
Cette question se pose aussi en CM1, où l’on demande de traiter le rôle de l’Église dans la société médiévale… sans avoir jamais abordé le christianisme auparavant. Cela pose un réel problème de cohérence dans les apprentissages.
En géographie, retour à une géographie 1.0
Un socle prometteur, un programme décevant
Sur le papier, tout commence bien : le climat, la biodiversité, les énergies… Autant de thématiques qui résonnent avec les préoccupations contemporaines. Mais très vite, le souffle retombe. Le programme est plat, sans ligne directrice claire, et semble ignorer les renouvellements récents de la géographie scolaire, notamment en matière d’approche critique.
Une progression floue et des incohérences
La formulation des cycles prête à confusion. Ainsi, on peut lire que l’enseignement formel de la géographie débute dès le CP, dans le même paragraphe où l’on affirme que l’histoire, elle, ne commence qu’en CE2. Il y a là une incohérence troublante. Ajoutons à cela une progression conceptuelle quasi absente : les élèves sont censés manipuler les cartes dès le CP comme s’ils les maîtrisaient déjà.
Quant aux verbes d’action de l’habiter (se loger, travailler, se déplacer…), ils sont là, mais vidés de leur ancrage théorique. La notion d’« habiter » ne devient explicite qu’en Sixième, trop tard pour donner du sens à l’ensemble.
Le règne absolu de la carte
Dans les documents mentionnés, les cartes, planisphères et globes dominent. Rien – ou presque – sur les autres types de documents (photographies, tableaux, graphiques, textes…). Cela réduit la géographie à une lecture purement localisatrice en oubliant sa richesse analytique de l’organisation des espaces. .
Thématique ou scalaire ? Le grand flou
Le programme alterne de manière assez confuse entre des approches thématiques (par exemple en CM1) et scalaires (comme en CM2). Ce changement brutal crée une rupture pédagogique difficile à gérer. Les élèves passent d’une géographie des enjeux à une géographie des portraits de territoires, sans transition, sans explication.
Une géographie du repérage, pas de l’organisation
Le mot « organisation » des espaces – central en géographie – n’apparaît qu’en CM2, dans le thème sur la France. Partout ailleurs, on se limite à « repérer », « nommer », « situer ». On forme des géographes-GPS, pas des géographes-penseurs.
La disparition du rural
Autre absente de marque : la campagne. Le thème « Habiter les espaces ruraux » disparaît en Sixième. Dommage, car l’opposition ville/campagne est un levier puissant pour penser les interactions spatiales, notamment via le périurbain. On aurait pu recentrer le thème « Habiter une métropole » en l’élargissant à la question « Vivre en ville, vivre à la campagne ». Il y avait là matière à tisser un fil entre les cycles.
La prospective à reculons
La prospective ne figure plus dans l’introduction du cycle 3. Elle réapparaît seulement en 3e avec « la France de demain ». Pourquoi pas. Mais pourquoi s’en priver pour les élèves plus jeunes ? Imaginer le futur, même en CM2, c’est possible. Et c’est une belle occasion de faire dialoguer écoles et collèges sur un projet commun.
Le développement durable en version vintage
Enfin, signalons le retour en force de la notion de « développement durable » – omniprésente en 5e. Pourtant, elle fait aujourd’hui débat dans les milieux scientifiques, et beaucoup plaident pour des approches alternatives (transition, Anthropocène, soutenabilité…). Pire encore : le changement climatique – central aujourd’hui – passe presque à la trappe.
Finalités éducatives et visée citoyenne
Une citoyenneté évoquée, rarement travaillée
Les textes insistent sur l’importance de l’histoire-géographie pour former des citoyens éclairés, mais les moyens concrets manquent. On parle de transversalité avec d’autres disciplines (français, mathématiques…), de développement de l’expression orale et écrite… mais sans exemples, sans dispositifs, sans véritable articulation avec l’EMC ou les autres programmes.
Les compétences disciplinaires, elles, sont renvoyées au nouveau socle commun. Cette dissociation complique la lisibilité de l’ensemble.
Le patrimoine comme fil rouge
Les programmes font une large place au patrimoine : monuments, objets, textes, savoir-faire… C’est une bonne chose en soi, mais dans quel but ?
Les textes précisent qu’il ne faut pas alourdir le traitement des thèmes, ce qui revient à inviter les enseignants à survoler ces éléments pourtant fondamentaux pour la construction d’un rapport critique au passé.
Or, faire de l’histoire et de la géographie, ce n’est pas seulement transmettre un patrimoine, c’est interroger les usages du passé, les permanences, les ruptures. Ce lien entre savoirs scolaires et enjeux de société mériterait d’être affirmé plus clairement.
Une vision de l’élève encore floue
Les attendus d’apprentissage restent souvent centrés sur des connaissances à restituer, des repères à mémoriser. La formation du jugement critique, pourtant centrale dans nos disciplines, n’est pas suffisamment mise en avant. Quant à la différenciation pédagogique, elle est tout simplement absente.
Une mémoire consensuelle, peu confrontée à ses tensions
La place accordée à la mémoire dans les programmes est à la fois présente et décevante. On commémore plus qu’on ne comprend. On évoque des figures, des événements, mais sans ouvrir l’espace de débat ou de controverse.
Le récit national reste structurant, souvent au détriment des altérités ou des voix minoritaires. La pluralité des mémoires, les conflits d’interprétation, les tensions du passé : autant de dimensions quasi absentes.
L’universalisme en étendard, la complexité en marge
Les programmes revendiquent une approche universaliste, mais cette ambition reste souvent théorique. La diversité des points de vue, les enjeux contemporains comme les migrations, les questions postcoloniales ou de genre sont peu présents.
L’enseignement moral et civique est censé combler ces manques ? Peut-être. Mais sans passerelles explicites, cela restera aux enseignants de faire les liens. Encore une fois.
Faisabilité pédagogique et didactisation
Un effort de clarté, enfin
Commençons par le positif : les programmes 2025 ont le mérite d’être lisibles. Pour chaque thème, un tableau explicite présente les objectifs d’apprentissage et les attendus. C’est un progrès notable par rapport aux programmes de 2016, souvent elliptiques ou ambigus. On sait enfin ce que l’on attend des élèves. Et c’est une bonne chose.
Autre nouveauté : les traditionnelles compétences ont été remplacées par des verbes d’action, qui balisent les types d’activités possibles (situer, décrire, raconter, justifier…). Ce choix, clairement assumé, offre un cadre utile pour concevoir les activités en classe.
Pour retrouver les compétences, il faudra consulter en parallèle le nouveau socle de connaissances et de compétences, publié en avril dernier.
Il faudra apprendre à jongler entre ces verbes, les contenus et le nouveau socle commun.
La fin des chapitres, le règne des blocs
Les chapitres disparaissent au profit de grands thèmes annuels. Quand ces thèmes sont resserrés (5 à 6 heures), cela ne pose pas de problème. Mais certains culminent à 17 ou 19 heures : comment organiser un tel bloc de cours ?
Les programmes proposent bien des sous-questions pour structurer l’année, mais ces dernières sont souvent descriptives, peu problématisées. Cela risque de rendre difficile l’alternance entre histoire et géographie, d’autant plus que les « tunnels » disciplinaires ne sont pas rares (17 heures de géographie d’affilée, par exemple).
Des programmes infaisables !
C’est le point noir de ces programmes : les volumes horaires sont donnés à titre indicatif : 45 heures pour chaque discipline de la 6e à la 4e, 54 heures en 3e. Mais quand on regarde les fourchettes horaires des thèmes, on s’interroge sur la faisabilité réelle.
Exemple : en CM2, les enseignants doivent traiter deux thèmes d’histoire entre la Toussaint et Noël, soit en 7 semaines, avec un volume total d’à peine 5 heures… tout en faisant de la géographie (5h) et de l’EMC (7h). Bon courage.
En 3ème, classe sur laquelle pèse le plus d’impératifs et de contraintes (avec des semaines de cours en moins, des certifications PIX, ASSR, etc…), il faut maintenant traiter 6 thèmes en Histoire et 4 en géographie (mais rappelons le, un des thèmes est prévu sur 17 à 19 heures !). Autant dire que cela va se faire au pas de charge (ça tombe bien étant donné les sujets militaires de l’année).
Voici par exemple le thème de 4ème qui recouvre l’histoire de France de François Ier à Louis XVI :
Des formulations parfois floues ou implicites
Certains attendus restent trop vagues, d’autres sont simplement absents. Ainsi, on attend des élèves qu’ils abordent « les idées des Lumières » en CM2, avec le mot-clé « Encyclopédie » dans le tableau. Comprenez : vous devez étudier l’Encyclopédie.
Même logique en 6e avec le thème sur les Celtes, où l’on doit aborder les contacts entre Celtes et Romains (cf le repère Alésia) mais à aucun moment il n’est clairement spécifié comment aborder les Romains. On regrette le chapitre sur l’étude de la fondation de Rome, peut-être un des chapitres les plus important pour construire la logique historienne chez nos élèves.
En CM2 encore, on attend des élèves qu’ils comprennent la Shoah et le nazisme (mot-clés), mais sans que ne soit spécifié dans les attendus, une compréhension du régime politique allemand. Ce type d’implicite rend l’appropriation des programmes plus difficile, surtout pour les jeunes collègues ou les non-spécialistes.
Une liberté pédagogique encadrée
Sur le plan didactique et pédagogique, les textes s’en tiennent à des généralités mais insistent sur la nécessité de l’écriture à chaque cours, de la tenue d’un cahier (ou d’un classeur), de la claire séparation de ce qui relève des exercices et des cours.
La parole professorale est explicitement valorisée, tout comme l’usage des outils classiques de nos disciplines : frises chronologiques, cartes, documents de toutes natures. Le texte encourage une montée en puissance progressive dans l’analyse documentaire : il ne s’agit plus seulement de prélever des informations, mais de conduire les élèves, d’ici la fin du cycle 4, à formuler de courtes analyses, mobilisant leurs savoirs et leurs compétences.
Il est ainsi possible de mettre en œuvre des moments de récit (récits du professeur et de l’élève), des temps de réflexion et d’analyse où les connaissances et capacités acquises sont remobilisées, notamment lors de l’étude de documents historiques et géographiques (images, textes, graphiques, cartes, etc.) qui dépassent le prélèvement d’information, pour amener l’élève à la fin du cycle 4 à être en mesure d’en faire une courte analyse, ce qui est également l’occasion de travailler l’expression orale et écrite
Pas de révolution à l’horizon ni de méthode imposée, ce qui est une bonne nouvelle.
Un programme qui ignore les concours… et la formation
Les nouveaux concours du CAPES prévoient une forte articulation avec les programmes scolaires. Or, plusieurs thèmes majeurs du cycle 3 (Préhistoire, Mésopotamie, Ramsès II…) ne figurent pas dans les nouvelles questions au programmes. Cela crée un décalage entre ce que l’on attend d’un professeur stagiaire, et ce qu’il devra enseigner.
À cela s’ajoute le manque de formation continue, notamment dans le premier degré.
Une langue parfois maladroite
Enfin, certaines formulations interrogent. Exemple en géographie 5e : « L’Afrique, un continent au défi de l’objectif de développement durable faim ‘zéro’ (ODD 2) ». Difficile d’en faire un titre compréhensible pour des collégiens.
Même remarque pour la terminologie : le « Moyen Âge » est écrit de trois façons différentes selon les pages (moyen-âge, Moyen Âge, moyen âge). Cela manque de rigueur pour un texte officiel.
Lecture critique et enjeux politiques
Des absences qui interrogent
On ne peut qu’être frappé par certains silences. L’histoire des femmes, des classes populaires, des luttes sociales, des sociétés colonisées est évoquée ici ou là, mais jamais véritablement structurante. La disparition du génocide des Tutsi, le traitement minimaliste de la guerre d’Algérie, ou encore l’effacement des mondes extra-européens sont autant de signaux d’un repli sur un récit historique resserré, parfois frileux.
Une réforme en contexte
Ces programmes ne tombent pas du ciel. Ils s’inscrivent dans une temporalité politique bien précise : celle d’un débat public tendu sur le « roman national », sur les fractures mémorielles, sur le rôle de l’école dans la fabrique du citoyen. À bien des égards, on a ici moins affaire à une refondation qu’à une restauration : un retour à une vision centralisée, descendante et patrimoniale de l’histoire scolaire.
Cela ne signifie pas que tout soit idéologiquement orienté. Mais les choix opérés – les thèmes, les figures, les temporalités retenues – dessinent en creux une certaine idée de l’histoire de France, plus qu’une volonté d’outiller les élèves pour penser le monde contemporain.
Un rapport au monde en demi-teinte
La géographie, de son côté, semble hésiter entre une ouverture au monde globalisé et une focalisation sur l’espace national. Les grands enjeux contemporains (numérique, migrations, conflictualités, justice sociale, environnement) sont trop peu présents, ou abordés sous un angle très scolaire.
En somme, les programmes semblent tourner le dos à certains débats qui animent pourtant la société : décolonisation des savoirs, éducation à l’environnement, rapport critique aux sources et aux récits. Là où l’école pourrait être un espace de compréhension du monde, elle reste cantonnée à une transmission plus verticale qu’horizontale.
Conclusion
À la lecture de ces projets de programmes, notre sentiment est contrasté.
Nous saluons, d’une part, que certaines de nos remarques formulées lors de notre audition aient été prises en compte. La clarification des objectifs d’apprentissage, l’intégration plus naturelle de la place des femmes dans les sociétés du passé, ou encore l’entrée précoce dans les démarches historiennes et géographiques sont des avancées réelles, que nous reconnaissons.
Mais nous ne pouvons que regretter que d’autres points pourtant essentiels aient été ignorés. La surcharge manifeste des contenus en 4e et surtout en 3e, les déséquilibres thématiques ou encore certaines formulations floues ou maladroites posent de vraies questions de faisabilité pédagogique.
Dans un esprit de dialogue constructif, nous réaffirmons notre disponibilité pour échanger à nouveau avec le Conseil supérieur des programmes, notamment si des ajustements ou aménagements étaient envisagés dans les mois à venir.
Enfin, plusieurs questions restent en suspens : comment ces programmes s’articuleront-ils avec les autres disciplines, notamment en cycle 4 ? Quelles seront les conditions concrètes de leur mise en œuvre (calendrier, ressources et formation) ? Autant de points cruciaux pour faire vivre ces textes dans les classes.