Les changements climatiques au Sahel étudiés ici dans un village du nord-ouest du Burkina Faso, s’accompagne d’un accroissement de l’insécurité alimentaire et d’importantes modifications dans les pratiques alimentaires.

Bertrand SAJALOLI, maître de conférences à l’université d’Orléans nous parle de cueillette en brousse, d’insécurité alimentaire dans le village peul de Birani, soumis au changement climatique, au Burkina Faso (Province de la Kossi – N-O du pays proche de la frontière malienne).

Le contexte

C’est l’une des régions les plus pauvres du pays dans la boucle du Mouhoun, proche de la frontière malienne. Le département de Barani couvre 26 villages, souvent inaccessibles pendant l’hivernage (période des pluies), soit 60 000 habitants avec moins du tiers des enfants sont scolarisés (avant la pandémie de la Covid) en tenant compte du problème du refus d’envoyer les filles à l’école. La population se compose de 40 % de Dogons, et 45 % de Peuls dont le chef dirige la chefferie traditionnelle, son neveu est le maire de Barani. C’est le pays d’Amadou Hampâté Bâ1.

Jusqu’en 2015, aucun problème de mésentente entre la chefferie et l’administration. Mais depuis la menace djihadiste, la situation est plus tendue (conflits Dogons/Peuls, abus administratifs). C’est aussi un territoire qui, bien qu’enclavé, est connu grâce au Festival international des arts équestres. Il est le terrain de recherche de nombreux géographes depuis Paul Pellissier. C’est aussi une région « vierge » d’actions de développement, du fait de sa position marginale face au pouvoir et de la culture peule, dans le cadre d’une agriculture vivrière autarcique.

Un programme d’agroécologie (BIOSOL) a été mené de 2012 à 2015 avec l’aide de la Région Centre.

BS décrit le contexte : agriculture vivrière autarcique, des cases ou cours qui abritent 40 personnes dont la moitié d’enfants, des dépenses extérieures de l’ordre de 200 €/an (médecine, scolarité).

Les pluies de l’hivernage sont de plus en plus faibles et passent certaines années sous les 600mm/an nécessaires et des orages violents plus fréquents qui détruisent les récoltes sur pied. Cette baisse des pluies (de plus de 100 mm) rend impossible la pratique de l’agriculture pluviale. Depuis 2016, on constate une insécurité croissante entraînant des tensions entre les groupes peuls plutôt éleveurs et les agriculteurs dogons.

I. L’insécurité alimentaire

Depuis la grande sécheresse des années 1970, on a constaté une évolution

du régime alimentaire : régression du sorgho au profit du petit mil (moins nutritif). Apparaît une crise de la soudure. Une aide alimentaire d’urgence est nécessaire, ce qui est l’inverse de ce qu’on souhaite dans le cadre du développement. Savoir pêcher est plus utile que la fourniture du poisson, comme l’illustre l’action en 2012 en direction des groupements de femmes.

Un point important : ne pas oublier que l’insécurité alimentaire varie selon les groupes sociaux  deux exemples illustrent ce propos :

L’exploitation de Ousseni Sidibé

Ancien esclave (un Rimaibé qui a été libéré au temps de Sankara entre 1984-1987), il a 6 enfants, 80 personnes dans sa cour (femmes, frères, neveux…). Ses ressources sont très limitées ce qui interdit toute rotation des cultures et favorise un appauvrissement des sols. La fumure est trop chère 600 CFA, environ 1€, pour une charrette de fumier. Il cultive du petit mil chaque année et un peu de niébés (haricots).

Budget de cette cour : 200 euros /an. Donc la pauvreté l’oblige à surexploiter ses terres.

L’exploitation d’Oudi Sidibé :

Plus cultivé, parlant correctement le français, c’est un Peul proche de la famille royale (communication sur Facebook avec BS, pas d’électricité et d’eau mais internet haut débit). Il dispose de plus de trois fois plus de terre pour une cour deux fois plus petite. On y cultive le sorgho, avec pratique de la jachère et usage de la fumure (100 charrettes). Nous ne sommes pas dans le même cas que précédemment. On voit l’opposition entre sécurité alimentaire (possibilité de se nourrir avec souvent une aide) et la souveraineté alimentaire qui est l’aisance autarcique. Aujourd’hui, la sécurité alimentaire n’est plus assurée. Par exemple, les enfants, en période de soudure, la cantine (du maïs fourni par l’État) est souvent le seul repas de la journée. Ils ne mangent pas le weekend.

La désertification dans le cas d’Ousseni est un fait politique et social. Dans ces conditions de disettes, au moins un an sur deux, on doit porter un regard sur la cueillette.

II. L’apport nutritionnel de la cueillette

La cueillette assure la survie en période de disette. Les espèces spontanées, les fruits, les feuilles, les graines constituent les produits de la cueillette qui apportent des oligoéléments, des vitamines. Les enquêtes menées dénombrent 39 espèces spontanées utilisées en légumes, ajoutés ou cuisinés, la sauce, des condiments pour accompagner le tô2 de petit mil. Lagro-écologie3 développe le Moringa oleifera, l’arbre du paradis, très nutritive et utilisée pour les jeunes enfants dénutris. Autre cueillette : le fruit du Karité qui procure un peu d’argent, le baobab dont on peut manger les fruits.

   

La cueillette se fait dans et aux abords du village, aux champs mais aussi en brousse, jusqu’à 12 km aller et retour.

Un tableau marquant les apports nutritionnels entre les plantes montrent une différence fondamentale entre le sorgho et le petit mil bien plus pauvre en nutriments.

III. Quelles évolutions pour la sécurité alimentaire ?

Moins de pluies, moins de rendement, moins de jachère mais une population plus nombreuse et une mise en culture de plus de terre. Ceci entraîne un éloignement de la brousse pour les cueillettes, de moins en moins d’espèces spontanées ! La limite humaine est dépassée. La brousse est trop loin.

D’autre part, la cueillette paraît ringarde. La modernité pour la sauce est le cube Maggi ! Grande publicité de Nestlé même dans un village si reculé. De plus, la cueillette renvoie à la condition des femmes esclaves, avant 1984. Traditionnellement la femme peule ne travaille pas. Aujourd’hui, elle a des champs.

Le recul de la cueillette dans les jeunes générations est un frein à la souveraineté alimentaire et un savoir ancestral (39 espèces botaniques + recettes cuisson, les usages) qui se perd. Par exemple, l’arbre à singe ne peut être traité sans le connaître, il peut devenir un poison. Donc une grande dépendance s’instaure aux produits du marché comme le riz asiatique de mauvaise qualité nutritionnelle. Dans cette région, on consomme peu de riz. On est trop loin de la ville. Autre aspect de la modernité : les téléphones portables, permettant les comparaisons, régulent les prix sur les marchés.

Conclusion : dans quel sens doit se diriger l’aide au développement ?

  • Avoir une approche culturelle : aider à la revitalisation du savoir culturel (reconnaître les espèces, des éléments culinaires)
  • Promouvoir des techniques d’agroécologie comme les jardins maraîchers de contre-saison, pendant la saison sèche où il fait une chaleur extrême, 50 °C à l’ombre, on vit de 5 heures à 8 heures, puis on s’arrête ! On utilise les puits en profondeur (pas de menace sur la ressource).

Questions :

Une autre culture ? Oui le néré ou le fonio blanc, une herbacée.

Aujourd’hui le pays connaît une insécurité dramatique : un million de déplacés internes sur 16 millions d’habitants, qui migrent vers les villes comme Bobo. BS parle de carnage au Sahel.

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1 Il a publié, notamment, Amkoullel l’enfant peul (Mémoires I, 1991) et Oui mon commandant ! (Mémoires II, 1994)