L’Arctique vit une mutation rapide, à un rythme inédit. Le réchauffement y est deux fois plus rapide que la moyenne mondiale, ce qui entraîne la fonte de la banquise et bouleverse la région tout entière. L’Arctique représente aujourd’hui un monde de possibilités et d’enjeux qui nous concernent tous.

Avec Olivier REMAUD, Penser comme un iceberg (Actes Sud) et Mikaa MERED, Enseignant en géopolitique et relations internationales, spécialiste des zones Arctique et Antarctique, auteur de Les mondes polaires (PUF) animé par Etienne AUGRIS.

 

Les deux ouvrages sortent simultanément sur l’Arctique en ce mois d’octobre 


Présentation de deux visions complémentaires à travers deux auteurs présentés successivement par Etienne Augrisqui évoque leur biographie puis demande :

D’où vient votre intérêt pour les pôles ?

Olivier REMAUD répond en rappelant la citation d’Élisée RECLUS : « chaque fois que je monte en altitude, j’ai l’impression de monter en latitude » donc c’est l’alpinisme qui l’a amené aux pôles.

Mikaa MERED se définit avec humour comme « bipolaire » (lol) avec une passion depuis l’adolescence pour l’Antarctique dépeuplé .

Comment définir l’Arctique ?

OR rappelle l’étymologie grecque par opposition à l’Antarctique :  

Arctique

Antarctique

« arktos » = ours

Sans ours

mer

continent

Env. 57000 hab.

Pas d’habitants

MM complète cette définition en rappelant que la zone est variable contrairement à l’Antarctique qui est mieux défini par des protocoles institutionnels .Le conseil de l’Arctique rassemble 8 pays depuis 1989 :

( Canada
 Danemark qui représente également le Groenland et les îles Féroé
 Finlande
 Islande
 Norvège
 Suède
 Russie

Cela ne suffit pas à définir l’Arctique si l’on considère les zones qui ont des conditions arctiques ( neige, Température, permafrost justifiant un surcoût de frais d’exploitation ) . Ainsi, la Chine s’y intègre par sa région Nord plus arctique que certaines zones de la Norvège. Louis Edmond Hamelin a ainsi défini un « indice de nordicité » avec 10 critères.

C’est néanmoins la définition astronomique du cercle polaire qu est la plus consensuelle. Ceci dit, Saint Pierre & Miquelon est à la même latitude que Nantes donc le cercle polaire ne suffit pas non plus à définir l’Arctique, zone d’autant plus mal définie qu’elle n’a pas de centre politique ou décisionnaire fort : Reykjavik à 64°Nord est la capitale la plus septentrionale comme Nuuk (encore lié au Danemark). 

Quel avenir pour les peuples premiers de l’Arctique ?

OR confirme que les populations autochtones du Nord sont mal intégrées et subissent des changements de leur mode de vie ( cf. « Ovibos, le survivant de l’Arctique » de Rémy Marion). Au Canada, malgré les campagnes de protestations « reclaim » , certains habitants du Nunavut ont été déplacés dans des conditions qui expliquent qu’on y trouve le plus haut taux de suicide au monde.

MM reprend donc le néologisme de « solastalgie » qui désigne une forme de détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux, comme l’exploitation minière ou le changement climatique. On parle aussi d’angoisse climatique comme par exemple sur l’île de Vancouver face au glacier Comox devenu « dead ice » . On pourra donc parler de « cryogéopolitique » dans cette ère post-polaire .Dans la zone Arctique, les peuples autochtones ne sont majoritaires qu’au Groenland où ils représentent 90% des habitants. Au Canada, ils sont 53% de la population mais ailleurs ils représentent moins de 10% ce qui explique le faible impact des peuples autochtones par rupture ethnique, linguistique et absence de lobbying.

OR souhaite sensibiliser ses lecteurs à l’importance de la cryosphère sur le cycle de l’eau . Les algues sous la banquise sont des sources essentielles de dioxygène et cette cryosphère régule la circulation thermohaline : si la banquise fond, le gulf stream est compromis ! La terre pourrait plus justement se nommer « la mer » !

MM Cette zone arctique est l’objet de convoitise avec la route du Nord Est rêvée depuis le XVIe siècle . 80% de notre gaz provient de l’Arctique russe ou norvégien, générant un avantage géopolitique décisif à l’international et l’exploitation de l’hydrogène est une réelle opportunité pour les peuples autochtones . Pour l’instant, ils ont peu de valorisation en exportant des ressources fossiles non transformées donc « l’Hydrogène vert » serait une opportunité de valorisation endogène si moyen de le transformer par  électrolyse de H20 (pour isoler H en énergie renouvelable) . L’Arctique pourrait ainsi produire une énergie décarbonée, se réapproprier le territoire et donc une forme de pouvoir pour diffuser cette énergie dans l’hémisphère Nord énergivore.

Le Groenland, un futur Eldorado ? On a abandonné le projet de câbles mais l’hydrogène peut constituer des surplus stockés « commodifiés » transportables pour moins chers que l’énergie gazière du Qatar. 

Alors « sauver l’Arctique pour sauver le monde ? »

O.R reformule plutôt « sauver la glace pour sauver le monde » :La glace de terre est responsable du « sea level rise » en priorité mais la glace de mer renforce ce phénomène avec l’effet albedo. La plancton toxique se développe plus que le plancton nourricier et par exemple les méduses adaptées aux eaux acides prolifèrent .

Selon MM, c’est bien un problème mondial qui concerne tout le monde . Cela s’illustre par l’intérêt de la Suisse qui s’est définie récemment comme « nation arctique verticale » et a été acceptée comme membre observateur du Conseil de l’Arctique.