Carte blanche aux éditions Flammarion

Comment aborder le « cold case » historique que représente le dernier massacre d’indiens aux Etats-Unis, où plus de 300 Sioux – essentiellement des femmes et des enfants – ont été exterminés le 29 décembre 1890 par l’armée américaine ? Comment les méthodes d’enquête et la démarche de l’archéologie peuvent-elles contribuer à faire la lumière sur cet évènement controversé ? Et quels enjeux la mémoire de ce traumatisme soulève-t-elle à la fois dans les communautés autochtones et dans la société américaine aujourd’hui ?

Intervenant : Laurent OLIVIER Historien – archéologue – conservateur en chef du patrimoine – Musée national d’Archéologie de Saint-Germain-en-Laye

On peut s’étonner que Laurent Olivier, archéologue spécialiste des Celtes et des Gaulois et pourtant…

Pourquoi le massacre de Wounded Knee en 1890 est-il important pour l’histoire des États-Unis ?

Laurent Olivier rappelle ce que l’on sait de ce massacre des Sioux, le dernier. Ils sont au-bord de l’extinction, l’apparition d’un mouvement messianique : Ghost Dance, qui annonce le départ des Blancs inquiète les autorités dans un contexte électoral. L’armée envoyée pour désarmer les Indiens se livre à un massacre de femmes et d’enfantsPour revenir sur les faits outre l’ouvrage présenté ici : Laurent Olivier, Ce qui est arrivé à Wounded Knee – L’enquête inédite sur le dernier massacre des Indiens (29 décembre 1890), Flammarion, 2021 – On pourra se reporter à l’émission de France culture : Histoire des Indiens d’Amérique (4 épisodes) Épisode 3 : Le massacre de Wounded Knee : 350 Sioux assassinés et à cette page web sur le massacre, plutôt caché dans la mémoire américaine.

Laurent Olivier s’interroge : peut-on parler de génocide ? C’est une question complexe, il revient sur la genèse du concept et la notion d’intentionnalité. Il faut pour Wounded Knee poser la question du mode opératoire, déséquilibre les moyens, des armes et celle de la gestion des corps, sur ce point bien des doutes subsistent.

Le massacre est une étincelle dont la préparation remonte très loin dès l’arrivée des Européens qui ont déshumanisés les Amérindiens, une non personne juridique.

Dans le livre, l’auteur propose une reconstitution minutieuse des faits, possible grâce aux enquêtes menées dès le lendemain et la présence de nombreux témoins, journalistes. L’idée était de déplacer cette population de Sioux (plus de 800 personnes) ce qui, en soit, n’était pas simple. Dans les enquêtes, l’armée va tenter de se disculper et faire entériner l’idée d’une bavure. La version de dommages collatéraux, les Sioux, fanatisés, se seraient défendus, est encore présente aujourd’hui.

Pourtant dès les années 1890 des voix discordantes se font entendre. Du côté des Amérindiens il y a une volonté de faire perdurer la mémoire du massacre.

Comment les Amérindiens se situent-ils ?

A partir des années 1960 ils récusent la version officielle de Sioux fanatiques et dans les années 1970 ils rejoignent le mouvement pour les droits civiques et contre les violences policières.

En 1973 une revendication est remise au Président réclamant un retour aux traités du XIXe siècle. On assiste au réveil de la fierté d’être Amérindien. En 2014 ils s’opposent à la construction d’un pipeline qui devait traverser une réserve lakotaRéserve de Standing Rock.

Ils demandent des réparations pour Wounded Knee et l’annulation des médailles militaires données, à l’époque, aux soldats.

Aujourd’hui la parole sioux n’est pas éteinte : Dee Brown, Enterre mon coeur à Wounded Knee, Albin Michel, 2009.

Pourquoi un archéologue s’intéresse-t-il à ce massacre de Wounded Knee  ?

Cela peut paraître très loin des Gaulois mais en fait un parallèle existe : la résistance d’une population face à l’impérialisme. Il existe aussi des massacres de Gaulois.

Laurent Olivier s’interroge sur ce qui fait qu’un massacre reste dans la mémoire. Pour les Amérindiens le traumatisme est encore présent. C’est l’occasion d’évoquer la différence entre colonisation anglaise et française en Amérique, de nombreux Amérindiens des réserves portent des patronymes français, trace lointaine des coureurs de boisSur ce sujet : Gilles Havard, Empire et métissages, Indiens et Français dans le Pays d’en Haut 1660-1715, Québec, Éditions du Septentrion, 2017 – Gilles Havard, L’Amérique fantôme, Flammarion, 2019 – Richard White, Le Middle Ground – Indiens, Empires et républiques dans la région des Grands Lacs 1650-1815, Toulouse, Editions Anacharsis, 2020.

Quelle place pour l’archéologie ?

L’archéologie apporte une manière d’enquêter, presque une enquête policière, un site de massacre est une scène de crime. Le site de Wounded Knee pourrait être fouillé et apporter beaucoup d’informations, permettre une reconstitution du massacre.

Il faudrait une traduction juridique aux États-Unis, une demande officielle des Sioux, acceptée…

Laurent Olivier revient sur le parallèle entre colonisation, y compris française partout dans le monde, et le passé romain. La colonisation a été montrée comme civilisatrice comme Rome avait apporté la civilisation aux barbares gaulois.

L’archéologie ne doit pas nuire, ne pas non plus être utilisée pour exclure l’autre. Elle permet de rendre la parole aux sans-voix.