Modération : Annie de NICOLA, Professeur d’histoire et géographie au Lycée Apollinaire de Nice.

Intervenant : Yvan GASTAUT, Maître de conférences à l’Université de Nice.

 

Le conférencier nous propose un travail à partir des archives audiovisuelles.

Comment le fait de traverser la frontière laisse des marques dans chacun des deux pays.

Cette frontière alpine a très tôt été traversée en laissant des traces dans l’histoire : Hannibal, Napoléon. C’était d’ailleurs plus une traversée des montagnes car la frontière n’existait pas forcément.

Cette migration permet d’avoir un premier regard des médias (cartes postales) sur la frontière franco-italienne.

 

 

La gare de Modane est un témoin du passage des frontières, jusque dans les années 50 cela ne concerne que des Italiens. En 1871 cette gare devient gare internationale cogérée par les autorités françaises et italiennes. Elle perd de son importance à partir de 1980 avec le percement du tunnel routier du Fréjus. Sur cette histoire si vous passez par Modane allez voir le Muséobar1 1880-1935 dans un ancien café italien transformé en petit musée.

Au XIXe siècle même si la frontière est ouverte, les migrants italiens sont un sujet pour la presse (Petit journal, Immigrés à la gare St Lazare).

Durant cette période il y a toute une dynamique autour de la migration : bergers/passeurs, même si les migrants ne sont pas des clandestins.

On peut faire un parallèle avec ce qui arrive aujourd’hui du côté de Briançon2, on y reviendra, situation née de la saturation des passages à Vintimille.

Les Alpes maritimes et la frontière.

La gare de Vintimille devient elle aussi gare internationale en 1882, c’est à l’époque le second itinéraire de passage. La route la plus médiatisée c’est le chemin de fer.

Cette frontière a donné lieu à des réajustements de tracé (1860, 1947) vers Tende et la vallée de la Roya avec aussi des querelles avec Mussolini. Aujourd’hui la frontière se cale sur la ligne de crête.

La gare de Tende très surdimensionnée est une construction musolinienne.

 

Aujourd’hui la frontière est à la fois un lieu de franchissement et un lieu de contrôle, un espace complexe où agissent des policiers, des douaniers, les migrants, des aidants et des commerçants, les « gens de la frontière ».

Les hommes politiques viennent se montrer sur cette frontière pour y inscrire leur discours sur les migrations (Guéhan, Marine Le Pen) C’est un espace symbolique.

Première intensité médiatique sur un lieu théoriquement obsolète dans le cadre des accords de Schengen.

Ex les querelles Sarkosy-Berlusconi en 2011 sur le sort des migrants, non italiens que les deux pays se renvoient de part et d’autre de la frontière à Vintimille, affaire qui ne concernait qu’environ 28 000 personnes.

Comme au XIXe siècle certains « vagabonds » qui, au XIXe siècle étaient renvoyés en Italie. Cette question des « Dubliners » réapparaît à plusieurs reprises. L’idée est celle de pays qui veulent conserver la main sur leur population malgré les accords européens, remettant en cause la libre circulation en Europe. Le paradoxe c’est que le poste-frontière a été fermé en 1998 et ré-ouvert en 2011, rééquipé partiellement.

En 2015 existe un « petit Calais » : le camp Présidio mis en place par les « No-borders », un mouvement d’aide aux migrants qui refuse la frontière, et le mouvement italien Jiutera , démonstration circulatoire et circulaire sur la frontière.

 

Ce qui attire de très nombreux militants mais aussi des chercheurs et des journalistes. Ce camp a attiré la presse pendant plusieurs mois face à la volonté répressive de la France. C’est à ce moment qu’est mis en évidence le délit de solidarité contre Cédric Hérrou, nouvelle forme d’accueil et de militantisme.

Yvan Gastaut évoque les stratégies des divers protagonistes : police de l’air et des frontières, Croix rouge, migrants comme le montre le livre de Raphaël Kraftt Passeur, publié en 2017 chez Buchet-Castel. Le conférencier fait un parallèle avec le fuite des Juifs par la Vésubie vers l’Italie pendant la guerre. Il se pose la question : Peut-on comparer les deux périodes ?

Cette situation inspire des artistes comme Michelangelo Pistoletto (arte povera) : Mur de chiffon, symbole de l’accueil ou comme Edmond Baudoin & Troubs avec leur BD  Humains, La Roya est un fleuve3. On redécouvre des auteurs italiens comme Francesco Biamont (Le parole la notte4, Einaudi, Turin 1998), lui même « gens de la frontière »5.

Remonter le temps

Yvan Gastaut présente un colloque en juin 2016 et une exposition : Fixer et franchir la frontière archives des Alpes maritimes 1760-19476 (La date de 1947 a été imposé par le Conseil départemental qui soutient financièrement le projet).

Avant 1860 le fleuve Var constitue la frontière, après le rattachement du Comté sarde de Nice les limites du département du Var sont déplacée vers l’ouest. Les traces cette ancienne frontière existe à Nice, « le quartier des Français ». La frontière avec l’Italie est déplacée vers un lieu difficile à franchir, là où la montagne plonge dans la mer sous le village de Grimaldi.

 

Cette localisation représente tantôt un imaginaire positif vu de Menton, tantôt négatif : le ravin. Cette frontière était en 1860 entre deux pays amis puis des difficultés surgissent, Petit à petit Nice devient une ville à défendre : ligne Seré de Rivière7 (ensemble de fortifications frontalières construites à partir de 1874) puis ligne Maginot Menton-Apt.

Crispi puis Mussolini expriment des revendications sur les terres savoyardes et Nice créant une véritable crise : 1925 à 19278 d’autant que des opposants à l’Italie fasciste fuient vers la France9. Dès 1920 un commissaire spécial est nommé dans les Alpes maritimes pour la frontière. La gare de Vintimille devient un lieu d’affrontement, en France on a peur d’une invasion italienne.

 

1940 : bataille du Pont-Saint-Louis où 9 soldats français ont combattu 300 soldats italiens durant une dizaine de jours, Menton est occupée pendant toute la guerre.

Mais dans le même temps le littoral est touristique : la Riviera, on organise des balades à la frontière jusqu’à San Remo qui en quelque sorte efface la frontière comme le montre les cartes postales et les photos où les touristes posent devant la frontière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Image rassurante des deux douaniers

Il existe de rares images de la frontière fermée mais c’est une réalité à partir de 1940.

Après 1945 le flux de migrants italiens augmente.

Les clandestins sont plutôt bien accueillis en Tarentaise, car les besoins en main-d’œuvre sont grands (reconstruction). Des mouvements pro-européens manifestent à la frontière. L’amitié franco-italienne est célébrée avec la présence de Paul-Henri Spaak.

 

1961 sauvetage d’un clandestin au « Pas de la mort » : migrations clandestines de Yougoslaves.

Conclusion

A différentes périodes on assiste à une focalisation médiatique sur quelques lieux de la frontière. On peut parler d’intensité des traces. C’est un lieu qui cristallise toutes les problématiques de la migration. Le col de l’échelle, vers Briançon, est aujourd’hui le nouveau lieu d’intensité médiatique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1Pour découvrir le lieu et ses expositions temporaires : http://www.museobar.com/

3 Editeur : L’Association, collection Eperluette, 2018, https://www.babelio.com/livres/Troubet-Humains-la-Roya-est-un-fleuve/1043898

4 Paru en français : Les Paroles la nuit, trad. François Maspero, Seuil,1999

5 Il est à San Biagio della Cima, petit village de l’arrière-pays ligure, situé non loin de Vintimille

6 Et un ouvrage : Fixer et franchir la frontière [Texte imprimé] : Alpes-Maritimes, 1760-1947 / [sous la direction de Yves Kinossian], Publication : Milano : Silvana editoriale ; Nice : Département des Alpes-Maritimes, impr. 2015