Les deux conférencières, malgré des approches différentes sur des espaces et des temps différents constatent une même politique d’Etat de refus de l’accueil.

 

Franchir les Pyrénées : la Retirada 1

Maëlle Maugendre est historienne, ses thèmes de recherche portent sur l’immigration et les mouvements de réfugiés, l’histoire de l’internement et des dispositifs coercitifs d’encadrement des populations indésirables au XXe siècle et plus particulièrement l’histoire des femmes. Sa thèse, soutenue en 2013 « Les réfugiées espagnoles en France (1939-1942) : des femmes entre assujettissements et résistances. » est en ligne

Elle a publié cette année Femmes en exil – Les réfugiées espagnoles en France 1939 – 1942 aux Presses Universitaires François Rabelais.

En janvier et février 1939 ce sont 475 000 personnes qui traversent la frontière franco-espagnole en deux semaines.

Le 26 janvier c’est la chute de Barcelone, les Catalans mais aussi de nombreux espagnols réfugiés dans la poche républicaine fuient devant les troupes franquistes, un phénomène sans commune mesure avec les tentatives de passages depuis 1937. La pression est-telle que la frontière s’ouvre, mais en deux temps : d’abord les femmes, les enfants et les blessés le 27 janvier puis les hommes tous considérés comme combattants y compris les adolescents le 5 février.

Le contexte politique français est celui du gouvernement Daladier hostile à une présence étrangère sur le sol français. Comme le montrent les textes officiels : la circulaire Sarrault du 14/04/1938 et le décret du 12/11/1938 qui prévoient l’internement administratif des étrangers indésirables « susceptibles » d’être des fauteurs de troubles.

La conférencière qualifie l’accueil de « récalcitrant », pas humanitaire mais sécuritaire.

La frontière est gardée par de très nombreux gendarmes, policiers, militaires. La prise en charge est d’abord sanitaire, les migrants sont désarmés et identifiés, même si ce n’est pas toujours possible vu les flux en très peu de temps par exemple au Boulou.

Le tri est un tri de genre fait pour désengorger la frontière, après un premier accueil dans des sites abrités (salles des fêtes, écoles…), les femmes furent envoyées dans des centres d’hébergement dans toute la France, tandis que les hommes sont dans un premier temps parqués sur les plages du littoral, dans des champs entourés de barbelés puis en « camp de concentration » : Barcarès, St Cyprien, le Vernet et au cours du premier mois environ 100 000 soldats sont renvoyés en Espagne.

   

 

En matière de solidarité, peu de place pour son expression. Du côté de l’État, c’est une attitude d’assujettissement : séparation des familles, fichage, fouilles, éléments de contrainte d’autant que le problème de la langue est renforcé par le manque de renseignements, c’est donc une politique d’emprise sur les corps et les esprits.

Face au nombre de réfugiés (à Arles-sur-Tech, 100 000 réfugiés pour 2 000 habitants) on constate plutôt un rejet par la population française malgré des témoignages de soutien idéologique, le rôle de la Croix rouge et des structures espagnoles en fuite qui se reconstituent rapidement – Solidarité internationale antifasciste.

Entre 250 000 et 300 000 personnes ont été reconduites à la frontière en 1939.

 

La situation actuelle dans les Alpes : Briançon, ville étape d’accueil.

Aude Vinck-Keters, a réalisé en 2018 un mémoire2, Briançon : ville-refuge à l’heure de la criminalisation de la solidarité, sous la direction d’Olivier Clochard dans le cadre du Master 2 Migrations internationales, Spécialité professionnelle « Conception de projets en coopération pour le développement » .

Aude Vinck-Keters présente la situation dans la région de Briançon : La fermeture de la frontière à Vintimille et dans la Roya explique la multiplication des passages plus au nord vers Briançon, notamment par le col de l’Echelle et la vallée de Névache. Les migrants remontent en train jusqu’à Turin puis Bardonecchia et Oulx. Refoulés à Modane ils n’hésitent plus à franchir des Alpes même en hiver malgré la neige.

 

Depuis juin 2017 les évaluations évoquent près de 8800 personnes essentiellement originaires de l’Afrique de l’Ouest.

A partir de 2015 grâce à la mobilisation citoyenne deux centres d’accueil existent à Briançon faisant suite à l’action de la MJC et de l’association « Mappemonde » pour une aide administrative. Depuis septembre 2015 l’association « Tous migrants » travaille des formes de plaidoyer et dans l’hiver 2016, suite à la mort d’un migrant ont été organisées des maraudes en montagne. En 2017 se met en place un réseau Welcome, et une antenne de la Cimade est créée.

Ces structures interviennent pour un accueil humanitaire et une aide juridique, sans vocation à un accueil de moyenne ou longue durée puisque les migrants ne peuvent déposer une demande d’asile à Briançon même.

Briançon ville d’étape, c’est d’abord le soutien de la mairie et de la communauté de communes, un laboratoire de démocratie locale. On estime à 3% de la population les Briançonnais solidaires.

Mais on a assisté à une criminalisation des aidants : contrôle de police, tribunal, baisse des aides publiques aux associations impliquées (ex la MJC), la situation s’est tendue en 2017 avec l’arrivée d’un nouveau préfet dans les Hautes Alpes. La politique est passée d’une dimension humaine à la gestion de flux. Une criminalisation sous différentes formes qui répond à une stratégie d’intimidation et de répression malgré la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 consacrant le principe de fraternité, cette s’inscrit dans la théorie de « l’appel d’air » souvent défendue par quelques responsables politiques.
L’exemple le plus connu de cette criminalisation est l’affaire des « Sept de Briançon »3. Aude Vinck-Keters évoque la réactivité moindre des autorités après la manifestation de « génération identitaire »4 au col de l’Echelle.

 

 

 

Les procès anti-solidarité ont permis de dénoncer les atteintes aux droits à la frontière. Mais aujourd’hui une situation de tension entre la ville, ses services et l’Etat persiste. Quelle évolution à la veille des élections ?

 

Conclusion 

L’attitude de contrôle/rejet par l’Etat semble le même en 1939 et aujourd’hui, un maître mot : refuser d’accueillir. On retrouve la militarisation de la frontière, le tri et le fichage, l’internement et le désengagement de l’Etat vers les associations de solidarité avec en même temps une criminalisation de l’aide.

 

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1 Voir sur le site du Musée national de l’immigration (Palais de la Porte Dorée) : La Retirada ou l’exil républicain espagnol d’après guerre

2 Le résume de ce mémoire : Résumé : Depuis 2015, la région de Briançon (Hautes-Alpes) est devenue un espace de tension migratoire, ce qui a valu à cette cité Vauban de 12 000 habitants d’être largement médiatisée à l’échelle nationale comme internationale. L’arrivée d’un nombre grandissant d’exilés depuis l’Italie à mesure que la frontière sud était militarisée a engendré un élan de solidarité parmi les citoyens briançonnais, dont certains ont récemment été jugés coupables « d’aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière ». Les deux procès qui ont eu lieu à leur encontre au tribunal de Gap le 8 novembre 2018 et le 10 janvier 2019 témoignent de cette tension : les neuf accusés ont écopé de peines de prison avec sursis et de condamnations de plusieurs mois de prison ferme. Cette étude s’intéresse à l’accueil des exilés dans cette ville frontalière et cherche à identifier l’ensemble des acteurs briançonnais de cette solidarité envers les primo-arrivants ayant traversé la frontière franco-italienne par la montagne, mais également des demandeurs d’asile ayant souhaité s’installer dans la plus haute ville d’Europe. Il est disponible en ligne

3 Voir Tribunal de Gap : les “Sept de Briançon” suspectés d’avoir permis l’entrée illégale de migrants et l’article du Monde : Aide aux migrants : les « sept de Briançon » condamnés