Jeudi 10 octobre 2019 Salle Kléber Loustau, Conseil départemental. Carte blanche à la fondation de Wendel

Sont comparées trois entreprises qui ont changé de métier en gardant leurs noms, Olivetti, Schneider, Wendel. Le débat réunit historiens et témoins : Luciano SEGRETO, Professeur à l’Université de Florence et modérateur, Philippe MIOCHE, Professeur émérite de l’Université d’Aix-Marseille, Ivan KHARABA, Membre de l’Académie François Bourdon – Le Creusot, François de WENDEL, Ancien Président du conseil de surveillance de Wendel SE, Henri LACHMANN, Ancien PDG de Schneider Electric. 

Luciano Segreto introduit la table ronde : beaucoup d’entreprises changent d’activité mais gardent leur nom. C’est la marque historique dans la longue période qui ajoute à la notoriété d’un groupe.

Que peut-on apprendre de ces entreprises qui choisissent cette stratégie, l’inverse étant aujourd’hui courant (cf. Orange, Kering ou Engie…) ? 

La famille Wendel

François de Wendel représente la fondation Wendel, lieu de mémoire d’une grande histoire industrielle. La fondation s’occupe de la réunion des archives depuis 1704 date de création de la manufacture ; celles-ci sont ouvertes aux archives nationales aux jeunes chercheurs.

Entrons dans l’histoire, avec Philippe Mioche. Comme historien et spécialiste des archives de Wendel, il est heureux que cette table ronde réunissent les descendants Schneider et Wendel, dont les ascendants se sont croisés à des moments historiques majeurs.

« Leurs enfants après eux » du prix Goncourt 2018, Nicolas Matthieu, évoque la famille Wendel, nom étroitement associé au destin de la Lorraine et à l’annexion allemande.

Léon Simon (1836-1910)
« Les forges de Joeuf »

François de Wendel répond à Pétain en 1940 : « vous bradez la Lorraine », refusant de collaborer.

Le nom est associé à chacune des grandes étapes techniques des progrès industriels : le procédé Thomas, les grands laminoirs après la 2nde guerre mondiale et l’invention de la sidérurgie sur l’eau à Fos.

Il l’est également dans les représentations et dans l’histoire sociale : l’association aux « 200 familles », au grand capital et aux marchands de canons ; également au « bon temps » du paternalisme social.

Sur la question du capitalisme familial, on a un exemple typique par rapport au capitalisme managérial, grace à un système de holding (celle de l’image des poupées russes qui s’emboitent les uns dans les autres avec 35% du capital, familial). Après l’annexion de 1871 et la coupure en 2 de la firme, 8 parties familiales se créent côté français, sans que le nom de Wendel soit mis en avant, mais avec l’idée forte de reconstruire l’entreprise.

Les aciéries de Florange

 Lors des grandes crises des années 70, il y a 340 actionnaires et aujourd’hui autour de 1100. Le seul changement en 2 siècles et demi est en 2001 l’arrivée d’un managériat indépendant de la famille.  C’est aussi un groupe familial qui traverse le temps avec une forte endogamie nobiliaire.

Par contre, l’activité s’est radicalement transformée puisque l’entreprise est devenue un fonds d’investissement, avec plus aucune valeur ayant trait à la sidérurgie… Trois étapes expliquent cette évolution qui peut paraître étonnante : d’abord l’endettement faramineux de la branche sidérurgie, qui conduit Raymond Barre, alors 1er ministre, à étatiser l’entreprise, ce qui signifie un arbitrage d’Etat subi car non indemnisé. Ensuite reste ce qui est laissé à la famille : un portefeuille d’investissement aux Pays-Bas (« Orange-Nassau ») primitivement composé de valeurs de la branche industrielle. 3ème étape :  Ernest-Antoine Sellières, membre de la famille, engage de 1976 à 2001 le groupe dans la stratégie classique d’un fonds d’investissement consistant à acheter et revendre, tels le bureau Véritas (3e entreprise mondiale d’expertise) ou d’autres comme Valéo ou Cap Gémini (qui en sont depuis sortis).

Luciano Segreto : Mais comment ces discussions autour du nom ont-elles été menée dans la famille ?

François de Wendel : D’abord le nom : Un nom simple à prononcer et à consonnance internationale. Selon Saussure, cité par Levi-Strauss : « du sort du nomen (le nom) dépend celui du numen (la puissance ou le pouvoir).

Or le nom, de part le pouvoir même de cette entreprise a connu plusieurs vicissitudes :

  • Avec la Révolution française : Charles de Wendel étant mort en 1786, c’est sa femme qui en prend la direction. En 1789, ses enfants fuient la France révolutionnaire, mais le gouvernement de 1792 sous la menace austro-prussienne souhaite que l’usine continue de fabriquer des boulets. Mais en 1793 Marguerite de Wendel est emprisonnée sous la Terreur et la société dissoute. Son petit-fils revenu d’émigration rachètera les forges de Hayange en 1804 sous l’empire. 
  • Avec l’annexion d’une grande partie de la Lorraine en 1871, la Deutsche Bank fait un appel d’offre au groupe au nom du gouvernement allemand. La famille fait le serment de rester unie autour de ses enfants et de constituer une sidérurgie en Meurthe et Moselle française avec l’aide du groupe Schneider, avec la clause que seul un membre de la famille puisse diriger les unités. L’entre-deux-guerre voit l’apogée de l’influence de la famille sur la France avec François de Wendel, sénateur, président du Comité des Forges et régent de la Banque de France.
  • Avec la grande crise de la sidérurgie européenne en 1972 et la volonté de faire profil bas au vu de l’énorme endettement. En 2002, se reconstitue sous l’égide du baron Sellières la société Wendel SE ( comme Société Européenne) en tant que fonds d’invetissement. 

La famille Schneider

Ivan Kharaba : En ce qui concerne la famille Schneider et le nom de l’entreprise, sa notoriété remonte au 1er janvier 1837 quand les 2 frères Schneider rachètent Le Creusot aux de Wendel, jusqu’en 1999 quand Schneider devient Schneider Electric avec Henri Lachmann.

Le Creusot, le paternalisme selon Schneider

Le fameux ouvrage « Le tour de France des 2 enfants » qualifie de « plus grande usine d’Europe » l’usine du Creusot, considérée par le grand public comme le symbole de la puissance industrielle de la France.  Eugène Schneider, président du corps législatif sous Napoléon III annonce triomphalement qu’il vient de vendre des locomotives à l’Angleterre, alors puissance économique et technologique dominante.

Lors de l’Exposition universelle de 1878, le pavillon Schneider fait la réplique d’un marteau-pilon. La presse s’en empare pour magnifier la puissance industrielle de la France face à l’Allemagne.

Puissance industrielle puis bancaire, puisque Eugène Schneider est fondateur de la Société Générale. Son fils développe en premier les aciers spéciaux qui vont permettent au groupe de se lancer dans l’armement, puis du matériel électrique au Creusot. Les chefs d’Etat étrangers vont après Versailles visiter les usines du Creusot.

Schneider participe à l’effort de guerre de 14-18 avec les « munitionnettes », ouvrières remplaçant leurs maris au front, tout en se voyant reprocher d’être marchand de canons. 

En 1971 toute la métallurgie des centrales nucléaires est fabriquée au Creusot. En 1973, le baron Empain devient partenaire majoritaire de Schneider.

L’usine 4.0 de Vaudreuil

Didier Pineau-Valenciennes recentre le groupe vers des activités essentiellement électriques industrielles puis domotiques dont les activités sont réparties sous plusieurs noms. Henri Lachmann, son successeur, décide de les regrouper sous un seul vocable « Schneider electric ».

Luciano Segreto : pourquoi avoir prononcé Schneidre ?

Ivan Kharaba : Le nom de Schneidre est une francisation du nom après la perte de 1871 qui a perduré jusque dans les années 70. La société s’est depuis largement internationalisée. 

Henri Lachmann : Schneider electric n’est plus une société familiale avec un capital largement dispersé (3% d’actions au maximum). 160 000 personnes dont 15% en France, 21M de CA et une capitalisation boursière de 60 MM, ce qui en fait une des premières entreprises du CAC 40, mais seulement 5% de son chiffre d’affaires est réalisé en France.

On comprendra donc l’importance de la pérennité du nom et la création d’une appartenance pour le client mondial avec son anglicisation. Nous sommes fiers d’être une entreprise industrielle, au riche passé et dont le nom est connu mondialement. Les autres noms ont été progressivement éffacés, ce qui a créé une vraie cohésion au niveau de l’entreprise. La valeur ajoutée étant pour Schneider electric essentiellement dans l’assemblage et non dans la fabrication des composants. Le choix d’un nom à changer coûte par ailleurs très cher financièrement et en terme d’image, il reste d’un bénéfice incertain.

La famille Olivetti

Luciano Segreto évoque pour terminer le nom d’Olivetti. Une histoire très similaire jusqu’à un certain point :

Machine à écrire Olivetti M40 (1930)

En 1908 à Ivrea, à 50km au nord de Turin, Camillo Olivetti introduit des machines à écrire en Italie. Après la 2GM , la nouvelle introduction fut les calculettes mécaniques. Adriano a continué l’oeuvre familiale, le nouveau défi étant dans les années 60 d’entrer dans le monde informatique.

La « Programma 101 »

Olivetti est le symbole des occasions perdues en informatique en Italie alors que le made in Italia est connu mondialement (mode). Le 1er ordinateur personnel crée au monde fut la Programma 101 ou « P101 » Elle fut mise au point en 1962 et présentée en 1964 ; elle fut produite entre 1965 et 1971. NBC Networks achète l’ordi ainsi que la Nasa pour Apollo XI. La mort prématurée d’Adriano contrecarre cette montée en puissance technologique. Les actionnaires d’Olivetti dont certains entrés tardivement pour doper les investissements nécessaires prennent la décision malencontreuse de vendre la division électronique à GE en même temps que sort « P101 » présenté en 65 à la foire de New-York… 

En 1978, Carlo Benedetti anticipe la création d’un marché de masse pour les PC et s’installe à Cupertino dans la Silicon Valley et crée la gamme des PC M20. À la fin des années 80, Olivetti se recentre comme opérateur et devient le 3e européen sur le marché du téléphone. En 1996 : impostrada pour la téléphonie fixe. Conversion vers les services réussie, mais trop de coûts financiers obligent l’entreprise à vendre ses divisions informatiques.  

Question du public :

Quel devenir pour la sidérurgie européenne ?

IK : l’activité historique n’est plus rentable en Europe occidentale, d’où les choix stratégiques des entreprises citées.

HL : le présent de Schneider, c’est tout de qui touche l’électricité, le futur de Schneider, c’est la basse tension à Grenoble !

FdW : le bureau Veritas est actuellement le 3e groupe mondial dans sa branche avec un très fort développement vers les technologies d’Intelligence Artificielle. 

Le public s’est en outre étonné d’un fort déséquilibre de la conférence entre le temps consacré à la France et celui à l’Italie… Pourquoi ne pas avoir évoqué d’autres marques italiennes en liaison avec le thème général des RVHB ?