Maria Pia DONATO introduit la table ronde. La question centrale est de savoir si cette Renaissance est un mythe. Si c’est une pure invention, à quelle fin a-t-elle été inventée ?

Le mot Renaissance implique une décadence (de quoi ? quand ?) et un retour à l’âge d’or. Si l’Italie a fait de la Renaissance une charpente de son Histoire, il existe un effet de miroir avec les autres nations. L’histoire de la péninsule va ainsi être abordée par les intervenants.

 

Jean-Michel LE GALL rappelle tout d’abord que le terme de Renaissance n’est apparu qu’au XIXe siècle avec Michelet puis Burckhardt. Il souligne le rôle de l’Italie dans cette période, une Italie qui redécouvre l’Antiquité. Nietzsche popularise Burckhardt et il est à noter que ce sont trois étrangers et non des Italiens qui inventent ce concept de « Renaissance » et le localisent en Italie. Il faut aussi se souvenir qu’au XIXe siècle, les Italiens eux-mêmes n’aiment pas cette période mais glorifient plutôt le modèle de l’Italie médiévale des communes (on peut se souvenir des faubourgs médiévaux construits à Turin par exemple). La Renaissance est vue comme le moment de la perte des libertés communales, de la langue.

Il se questionne donc sur les rapports que l’Europe entretient avec cette Renaissance dite italienne :

  • L’imitation du modus operandi des Anciens pour se calquer sur la nature est notable dans toute l’Europe. Il y a une rivalité des nations pour savoir qui imite le mieux le latin et le grec et quelle nation a procédé à réhabiliter les langues anciennes.
  • L’adaptation est aussi un vecteur commun : le cas de Chambord comme adaptation française du gothique flamboyant est relevé. Les styles ne sont pas identiques dans tous les pays et on est forcé de s’adapter aux matériaux par exemple.
  • Au XVIe siècle, il y a un refus d’italianisme flagrant, à la fois politique (Machiavel), de mœurs, religieux (néo-paganisme et superstition).

Le modèle italien est donc aujourd’hui interrogé. D’autre part, d’autres modèles sont négligés comme Rome et la monarchie pontificale ou encore le rôle de Naples, vive dans cette Renaissance avec des influences espagnoles, arabes. L’Italie n’est donc pas un modèle pur mais elle est métissée et dialogue avec l’Orient, et notamment l’empire ottoman. Elle aurait puisé des éléments de sa Renaissance ailleurs. Jean-Michel LE GALL regrette une conception trop fermée de l’Italie renaissante.

 

Valérie THEIS commence par distinguer deux usages de ce terme « Renaissance » :

  • par les acteurs : la première occurrence est due à Giorgio Riviani (1550-68). Pétrarque aussi introduit l’idée. Les lettrés italiens l’identifient comme une redécouverte de l’Antiquité et ont l’impression d’une forte rupture avec la période précédente. Le contexte culturel entraîne des changements dans les arts, les lettres. Il y a une volonté marquée de faire renaître l’Antiquité dans les formes littéraires, culturelles, picturales et architecturales. On dénigre le Moyen-âge et son rapport à l’Antiquité, qui aurait été dégradée, voire oubliée.
  • L’usage historiographique : c’est une période de l’Histoire européenne seulement car elle a été construite dans les pays autour desquels ce mouvement est suivi, d’abord au XIVe siècle en Italie puis les siècles suivants en Europe. Cela voudrait-il dire qu’il n’y a d’avancées qu’en Europe ?

De plus, dans les années 20, le mot « renaissance » est utilisé pour désigner d’autres périodes de l’Histoire : « renaissance carolingienne », « renaissance urbaine », etc.

Valérie THEIS rappelle qu’il n’y a pas de volonté de rupture forte, pas de revendications des acteurs de cette Renaissance italienne. De plus, ce terme est fortement dévalorisant pour la période antérieure, la culture antique n’étant pas morte au Moyen-âge. Par ailleurs, il laisse de côté le politique et l’économique qui sont aussi en évolution.

 

Virginie MARTIN poursuit en expliquant qu’au XVIIIe siècle, la représentation italienne est bivalente car décadente. Les symptômes en sont un dépérissement des arts, des mœurs. La philosophie de l’histoire est alors indissociable de la science des caractères : on décrypte alors les spécificités de chaque peuple pour les hiérarchiser. L’Italie apparaît alors comme la pire nation : son ascension a été trop rapide et sa décadence est marquée par la tutelle étrangère ; elle est devenue l’appendice de grands empires dont l’Espagne. Le mythe de la décadence italienne entraîne une renaissance nationale d’abord culturelle puis politique. La langue est considérée empoisonnée par les usages étrangers. Une première ébauche de patriotisme voit le jour. Le paradoxe est que les réformes entamées sont l’œuvre des souverains étrangers mais elles n’émanent pas de Madrid mais des villes capitales dirigées par les souverains espagnols. Les élites locales y sont associées. Ces réformes sont d’ordre pénal, cadastral en Toscane ou Lombardie. Cette renaissance n’est donc pas seulement culturelle mais devient politique pour tirer l’Italie du coma dans lequel est plongée.

Le problème porte sur le contenu de cette renaissance, les patriotes italiens plaidant pour la démocratisation alors que les français cherchent à la différer, jugeant que ce peuple manque de conscience politique. Pour fonder une République, il faut éduquer aux vertus républicaines. Ranimer le souvenir de la République antique est un levier. Après une nouvelle mise sous tutelle, en 1799, le peuple italien se soulève contre l’occupant.

 

Antonin DURAND sera le quatrième et dernier intervenant de cette table ronde. En 1861, l’unification du pays a lieu. Le lien entre régénération culturelle et politique est évident. Le débat serait pour lui de savoir laquelle a entraîné l’autre.

La construction d’une gloire passée de l’Italie et le thème de la troisième Rome s’installent ; Rome, ville qui a connu des cycles de croissance et décadence, s’impose par les armes d’abord, par la papauté dans un second temps puis par sa dimension politique. Nationaliser le passé, réécrire l’invention culturelle en donnant à l’Italie un rôle prépondérant a un enjeu. Les commémorations publiques fleurissent, notamment dans les années 1860 au moment de l’unification : à Pise en 1865, commémoration de la naissance de Dante ; 1869 : célébration des 400 ans de la mort de Machiavel ; le tricentenaire de la mort de Galilée également. Ces hommes deviennent des héros alors qu’ils ne l’étaient pas auparavant.

 

En conclusion de ces propos, Valérie THEIS revient sur le rôle de l’Italie au Moyen-âge. En effet, le territoire joue un rôle central dans la circulation des hommes et des textes dans l’espace méditerranéen. L’Italie du sud est dès le XIIème siècle un haut lieu de la Renaissance. Elle donne l’exemple de Constantin l’Africain, au XIe siècle, grand traducteur de manuscrits médicaux en arabe et grec.

Il y a à cette époque une curiosité pour les langues en général : elle donne l’exemple du Codex humanicus en latin, turc, persan acheté par Pétrarque. Le monde arabe a aussi son rôle : elle cite Flavius Mithridate, le professeur d’arabe de Pic de la Mirandole et les travaux de ce dernier sur le Coran qu’il commente en latin en voulant montrer la supériorité de la religion chrétienne.

Jean-Michel LE GALL définit la Renaissance comme une ouverture de l’Europe qui se met au diapason du monde. Isoler la Renaissance comme moment de l’Histoire européenne est une pure illusion.

Virginie MARTIN met en garde contre les écueils historiographiques. Il y a une réflexion sur les empires, la forme que prend le pouvoir, l’organisation interne d’un état et les interactions entre les états. Il faut s’intéresser à l’Italie dans les échanges mondiaux.

Antonin DURAND parle quant à lui de processus national et transnational porteur d’aspirations patriotiques au XIXe.

Un temps d’échanges avec la salle clôture ce moment :

  • Machiavel : en quoi se soucie-t-il de l’Antiquité ?

Le mouvement culturel ne se réduit justement pas à une réappropriation de l’Antiquité.

  • Comment interpréter la survivance des romans de chevalerie ?

Ils se poursuivent en effet au XVIe siècle encore mais les auteurs de ce siècle ne sont pas les troubadours du XIIe siècle. La Renaissance redécouvre et réinvente aussi une chevalerie qui n’existe plus. On assiste à des réécritures et innovations.

 

                Si le propos général est intéressant car il s’agit de déconstruire l’utilisation du terme « Renaissance » et son concept même, la table ronde souffre d’exposés juxtaposés par des spécialistes de siècles différents.