Eric Alary, écrivain et historien français spécialiste de la Seconde Guerre mondiale s’entretient avec Etienne de Montety, directeur du Figaro littéraire qui vient de faire paraître un ouvrage rassemblant les articles publiés par un journaliste dans les années 1930. L’ouvrage s’intitule Au cœur de l’Allemagne nazie et le journaliste avait pour nom de Xavier de Hautecloque (cousin germain de celui qui deviendra le général Leclerc).

Une grande plume de la presse de l’entre-deux-guerres

Xavier de Hautecloque fut une grande plume de la presse des années 1920 et 1930. C’était un provincial, un autodidacte, dont le père et le frère furent tués le même jour de la Grande Guerre. Lui-même s’engagea alors qu’il avait à peine 18 ans. Il voulut ensuite faire une carrière de journaliste. Repéré par Joseph Kessel, il entra au journal Gringoire. Ce journal est aujourd’hui de sinistre mémoire car il s’est compromis dans la collaboration. C’était alors un journal de grands reportages, fondé par Horace de Carbuccia, plutôt apolitique. Etienne de Montety le décrit comme « un journal audacieux, moderne, qui envoie des reporters un peu partout dans le monde », des hommes plutôt jeunes. Albert Londres, journaliste des années 1920 est alors le prince de la presse, et Xavier de Hautecloque va marcher sur ses traces. Ses reportages sont d’une grande qualité rédactionnelle, il décrit mais ne porte pas de jugement. Infatigable, curieux, il ne manque pas de courage quand, par exemple, il se rend à la frontière finlandaise pour entrer en Union soviétique et y trouver les traces des premiers bagnes politiques dont il a entendu parler, ou quand il cherche entrer à la Mecque. Mort jeune, il ne fut l’auteur que d’une dizaine de reportages, publiés dans les années 1930, qui furent ensuite publié en livres.

Au cœur de l’Allemagne nazie

Entre 1933 et 1939, il effectue plusieurs voyages en Allemagne, et ses lecteurs ce  plongent avec lui au cœur de l’Allemagne nazie. Il fréquente des milieux très différents, de l’aristocratie (où son nom à particule lui ouvre des portes) au milieu de la pègre et des prostituées. Il a de l’intuition et beaucoup de courage. Animé par l’esprit plutôt pacifiste des anciens combattants, il respecte les Allemands et fait preuve de bienveillance. Il découvre qu’une société nazie nouvelle est en train de prendre le pouvoir. Il est déchiré, car l’Allemagne qu’il aime, celle de la musique et de la littérature, est en train de mourir, balayée par des ratés, des mafieux, des activistes grossiers. Il est frappé par la violence qu’il découvre, les arrestations, les fermetures de magasins. Il sent poindre une énergie vitale et brutale. Il s’horrifie du décalage entre cette Allemagne toute de violence et les paralysies de la France parlementaire. Il voit poindre la guerre à terme. Il a un chauffeur, Willy, communiste, qui lui fait rencontrer les premiers résistants et prendre conscience qu’une partie du peuple n’adhère pas. Il longe un camp de concentration, rencontre des SS dans un café, fait des portraits de dirigeants du nazisme, Hitler, Goebbels, Goering.

Peut-être assassiné

Il lui arriva d’entrer dans les locaux de la Gestapo et de demander à en voir le patron. Il enquêta au petit matin sur des disparitions qui avaient eu lieu dans la nuit. Il s’offusqua des exactions et vexations contre les Juifs qu’il observa dans la rue. Plusieurs fois il fut censuré par les autorités nazies. Peut-être travaillait-il aussi pour les services de renseignement français (il était officier de réserve). Il est évident qu’il commençait à gêner.

En 1935 il séjourna deux ou trois semaines dans la Sarre. A son retour en France, il dit à sa femme sa crainte d’avoir été empoisonné après avoir bu un verre au cours d’une réunion. Il mourut peu de temps après d’une mystérieuse maladie ; il avait 35 ans. Il n’y eut ni autopsie, ni enquête. Tous ses papiers, ses écrits ses notes furent conservées par sa veuve qui les enterra en 1940, par précaution. En 1945 tout était perdu.