Antoine Sfeir avait promis une conférence sur ce thème, dans le contexte du « printemps arabe » à un auditoire très partagé politiquement quant à sa perception de l’immigration. Il a préféré l’émotion et les souvenirs personnels à la logique froide.

Évasion bien sûr !

Antoine SFEIR rappelle la situation des jeunes dans les pays arabes, diplômés, sans-emploi formel, donc contraints à des petits boulots informels non qualifiés. Or, pour l’étudiant tunisien qui a lancé la révolte en s’immolant par le feu, même cela était interdit ou racketté par une police omniprésente. Cette combinaison la précarité extrême et de la pression policière était d’autant plus insupportable que ces jeunes pouvaient suivre ce qui se passait en dehors des frontières et notamment en Occident.

Tout cela a poussé à l’émigration comme à la révolte, et explique pourquoi il n’y a pas eu de slogans religieux ou anti israéliens, ce qui est une autre coupure avec les générations précédentes et les proclamations des pouvoirs en place, qui se posaient en bouclier de l’Occident.

La pression aurait été moins forte si l’Union Pour la Méditerranée avait offert de perspectives, mais on sait que ce projet, qui était splendide, a été « tué » par les Allemands et par le conflit israélien.

L’immigration-invasion

Quant à l’aspect «immigration-invasion », Antoine Sfeir le récuse en s’appuyant sur son cas personnel et en décrivant le « choc de la liberté » qu’il a ressenti en arrivant en France. Il a demandé la nationalité française, non pas pour renoncer à ses racines arabes et catholiques orientales (« je suis tout cela »), mais pour devenir un citoyen responsable, républicain, laïc, solidaire, et pour toutes ces raisons égal aux citoyens plus anciens : « je suis même peut-être plus Français qu’eux puisque moi, je l’ai choisi ».

L’immigration et l’islam

Il note que ceux qui craignent l’immigration-invasion en invoquant l’islam ne le connaissent pas. Par exemple, il n’est pas question de voile dans le Coran. Il faut « cacher ses atours », c’est-à-dire sa poitrine, et non les cheveux dont il n’est jamais question. De même pour la polygamie, évoquée pour « caser » les veuves et les orphelines, qui est de fait limitée voire interdite par la précision coranique « à condition de traiter également ses femmes », ce qui est évidemment impossible (c’est l’interprétation tunisienne, pays où l’islam, religion d’État, interdit pour cette raison la polygamie). Ces questions du voile et de la polygamie ne viennent donc pas du Coran mais de ses interprétations ultérieures. Il rappelle d’ailleurs qu’en islam le mariage est un simple contrat, ce qui a permis, bien après Mahomet, l’apparition des mariages temporaires pour des raisons « de loisir ».

En fait la partie religieuse du Coran ne fait que rappeler les grands principes communs aux trois religions monothéistes, la prière, la charité, le pèlerinage…, et ne doit pas être confondue avec la partie « politique », venue ultérieurement et qui décrit les règles de fonctionnement de la société médinoise dont Mahomet était devenu le chef.

Toujours sur le thème de « l’immigration-invasion », Antoine Sfeir dénonce la décision giscardienne d’instaurer le regroupement familial, qui a eu comme conséquence la génération actuelle de jeunes garçons déracinés, à qui l’on n’enseigne plus « la citoyenneté » à l’école et qui voient les soeurs réussir études et emploi en contradiction totale avec les coutumes patriarcales déjà mises à mal par le chômage du père. Les plus déboussolés trouvent alors une revalorisation dans un islam sommaire diffusé par des imams ignares.

La laïcité et le communautarisme

S’agissant de la laïcité, Antoine Sfeir s’en fait le grand défenseur notamment parce qu’elle relie entre eux des citoyens indépendamment de leur religion ou de leur absence de religion. Il ne voit cette proclamation que dans les constitutions française et turque, les autres pays démocratiques étant plutôt bâtis sur la liberté de culte et plus tard sur la sécularisation. La laïcité paraît bien adoptée par des musulmans français et il s’indigne de ces journalistes qui recherchent « des barbus qui insultent la France », ce qui est une catastrophe, puisque cela leur fait de la publicité et mène à assimiler à eux l’ensemble des musulmans de France.

Sur le plan international il note l’affaiblissement des États-Nations bâtis artificiellement par des Européens sur les ruines de l’empire ottoman, et le retour aux communautés qui étaient de règle sous ce dernier.

En conclusion il réitère son choix d’être Français, notamment pour ne pas se retrouver lié à l’une de ces communautés.

Yves MONTENAY