Laïcité – Un thème largement mis en avant dans le débat public. À cette occasion, les Clionautes étaient présents pour rendre compte de la présentation du second tome de la trilogie de Jean Baubérot, La loi de 1905, n’aura pas lieu : La loi de 1905, légendes et réalités. Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris

Le 26 novembre 2021, 18h-20h, à la Fondation maison des sciences humaines

La Fondation maison des sciences humaines organisait vendredi 26 novembre 2021, une rencontre dans la série Livres en dialogues[1] , pour présenter le second tome de la trilogie de Jean Baubérot,  La loi de 1905 n’aura pas lieu. Le premier tome, l’impossible « loi de liberté »[2] était paru en 2019, le troisième volet est en projet et s’intitulera « l’Eglise catholique, légale malgré elle » (citation d’Aristide Briand).

Cette rencontre a réuni, Jean Baubérot, auteur de l’ouvrage, historien et sociologue, président d’honneur de l’Ecole Pratique des hautes études et professeur honoraire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité ». On lui doit dans la collection Que sais-je, les très utiles, Histoire de la laïcité, PUF, 2017[3]  et dans la même collection, Histoire du protestantisme, 2020[4].

Jean-Marc Schiappa, historien et président de l’Institut de recherche et d’études de la libre-pensée. Il est spécialiste de Gracchus Babeuf et est l’un des membres fondateurs de la Vigie de la laïcité, créée en 2021[5].

La discussion, était animée par Thibaut Sardier, journaliste à Libération, agrégé de géographie et enseignant et que certains connaissent à travers sa chaîne Youtube « Point G » ou en tant qu’organisateur du festival international de géographie de Saint-Dié.


Thibaud Sardier commence par présenter l’ouvrage, comme étant un livre très précis, une trilogie sur l’histoire et l’élaboration de cette loi. C’est à la fois, un ouvrage érudit, pour spécialistes mais aussi conçu pour permettre une meilleure connaissance de la loi aux non spécialistes.

Quelles sont les raisons pour lesquelles ce livre a été écrit ? Dans ce deuxième tome, il s’agit de retracer la période qui s’étend de début 1905 au 3 juillet 1905, date à laquelle la Chambre des députés adopte le projet de loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Ce temps est le sujet de rumeurs, de mythes et vous-même en avez été victime.

Jean Baubérot : Cette période représente un paradoxe dans la manière dont elle a été racontée.

D’abord en la présentant comme étant la loi d’Emile Combes, alors qu’il n’est déjà plus au pouvoir au moment où elle est votée.

Ensuite, en la présentant comme une loi de Combes, anticléricale (les congrégations enseignantes sont interdites le 7 juillet 1904 par le cabinet Combes) comme un continuum de cette politique. L’affaire Dreyfus puis le cabinet Combes puis la loi de séparation. Ce n’est pas le cas. Les Historiens s’accordent pour présenter cette loi comme une loi libérale, une loi de liberté mais il est rarement expliqué, comment on passe de l’anticléricalisme dur de Combes à la loi de 1905 qui est une « victoire conciliatrice de la laïcité ».

Jean Baubérot explique que c’est le départ de son travail, qu’il envisage comme une enquête policière.

Th. S : Qu’est ce qui distingue cette victoire du compromis ?

J.B : Il faudrait distinguer entre une séparation avec un grand S, que la République avait inclut dans son programme (ce serait l’Arlésienne de ce programme en quelque sorte) et la séparation de 1905 qui réalise bien ce principe mais qui est une séparation conciliatrice alors qu’elle aurait pu être plus dure. C’est une victoire qui permet l’apaisement (sujet du tome 3).

TH.S : Comment avez-vous découpé le projet en trois parties ?

J.B : Le tome 1, c’est la préparation de la loi : tandis qu’à la Chambre on s’empoigne entre Combistes et anti combistes, Ferdinand Buisson (président de la commission parlementaire chargée d’étudier les différentes propositions) et Aristide Briand (rapporteur) réussissent à faire travailler ensemble les 33 membres et rompent déjà avec le combisme.

Le tome 2 : C’est la Loi et son élaboration de la chute de Combes jusqu’à la promulgation de la loi en décembre : la guerre des Gauches. Au conflit entre « les 2 Frances » s’ajoute aussi les conflits au sein même de la gauche (notamment entre Jean Jaurès et Clémenceau).

Le suspense continue, car le pape Pie X ordonne aux Catholiques français d’obéir à la loi(le 11 février 1906, dans la Lettre encyclique Vehementer nos[6] puis le 10 aout 1906 par l’encyclique Gravissimo offici), ce sera le tome 3.

TH.S : Jean-Marc Schiappa quel est votre sentiment de lecteur ? Est-ce que cette lecture vous a dessillé sur certains points ?

Jean-Marc Schiappa : C’est avant tout un livre qu’on a plaisir à lire, on y retrouve Brassens, Voulzy, Starmania à côté de Briand, Jaurès ou Clémenceau…Il montre que nous ne sommes pas obligés de nous ennuyer en lisant un livre d’histoire.

-Le séquençage de l’ouvrage et les sous-parties rendent en outre cette lecture très agréable.

-Est-ce que l’ouvrage m’a dessillé ? Oui à 100% mais j’ai aussi trouvé des points de désaccord :

Le refus de la notion de compromis est centrale, cela suppose un échange, mais ça n’est pas le cas de la séparation car au sein d’un parlement il n’y a pas de compromis, c’est une discussion parlementaire.

Ensuite, il ne faut pas oublier que la commune a été la première à avoir institué cette séparation et je pensais que la commune serait invoquée lors des débats ou du vote mais elle est complètement occultée y compris par ceux qui y ont participé.

Enfin, le recadrage des principaux protagonistes est éclairant, c’est le cas pour le personnage de Jaurès surdimensionné alors que Briand serait en retrait et pourtant sa place n’est pas à sous estimer.

Il pouvait y avoir plusieurs séparations et le chemin qui y menait n’était pas le seul obligé.

TH.S. : En 1905, Il y avait donc des champs des possibles mais ils se soldent par la victoire du projet Briand contre Combes.

  1. : Il y a une conjonction « un alignement des planètes » qui permet cette victoire. Aristide Briand par exemple, pensait à partir aux États-Unis, suite à une affaire de mœurs. S’il était parti, il n’y aurait sans donc pas eu de loi 1905. Briand a un principe directeur celui de séparer l’Eglise et l’Etat mais il est avant tout pragmatique. Il réalise ainsi cette séparation malgré les ambiguïtés.

Ce que je ne savais pas c’était la posture de Jaurès. Il est présent car il est dans un processus de reconversion du socialisme et d’unification avec Maurice Allard ou Edouard Vaillant qui sont eux, anticléricaux.

TH.S : Vous allez jusqu’à affirmer qu’il fallait que Combes tombe pour que la loi passe.

J.B. :– Combes est le chef de guerre, il mène les troupes au combat. Ce qu’il recherche serait une sorte de concordat renforcé et sa grande idée est de réconcilier l’Eglise et la République en « purifiant » l’Eglise catholique et cela passe davantage en séparant l’Eglise, de Rome plutôt que de l’Etat.

-Ne pas oublier que Jaurès est combiste.

– Enfin, si la gauche a effectivement voté la loi de séparation, elle a été aussi votée par une majorité variable.

Jean-Marc Schiappa : Le côté gallican de Combes s’oppose à la pensée de Briand (la liberté de conscience). Ses projets, comme d’ailleurs ceux d’Allard ne mentionnent pas la liberté de conscience. Il fallait donc que le processus combiste échoue pour que celui de Briand réussisse.

TH.S : Ce qui est surprenant à la lecture de la presse de l’époque c’est que les journaux trouvent cette loi très bien alors qu’ils la décriaient quelque temps auparavant.

J.B. : La loi est en effet une frustration et une satisfaction.

Tant que la loi était débattue, la presse la critiquait. C’est Laurent Voulzy qui a le mieux parlé de la loi : « Mon premier c’est désir, mon deuxième du plaisir… ». Au départ, une partie de la gauche ne veut pas d’une séparation avec un petit « s » et puis est satisfaite car le vote assure une séparation avec un grand « S ».

TH.S : Briand a donc été plus fort, vous résumez cela encore par la chanson de Starmania « Je suis toujours tout seul au monde »

J.B. : Au moment du vote, à part lui qui dit j’ai réussi là où les autres ont échoué, il est seul. A l’exception de quelques uns, une grande partie de la gauche critique la loi. En revanche, la presse de gauche crie victoire.

TH.S. : Peut-on dire que c’est une loi de gauche ?

Jean-Marc Schiappa : C’est une loi qui garantit la liberté de conscience. La loi est votée en juillet et promulguée en décembre mais entre-temps il y a eu, en septembre, le congrès mondiale du Trocadéro des libres penseurs qui a encouragé la loi.

Quand il y séparation, c’est la République qui gagne et l’Eglise qui est en échec.

Donc, est-ce de gauche ou de droite ? On peut dire que ça n’est pas une loi cléricale mais que c’est une loi dans laquelle tous peuvent se retrouver.

Jean Baubérot : C’est tout de même une loi de gauche, la gauche l’a votée mais avec aigreur. Les dissidents du combisme même frustrés y trouvent leur compte. Finalement, s’il n’y avait pas le Pape, même les Catholiques l’auraient acceptée. Elle leur donnait après tout une liberté qu’ils n’avaient jamais eue.

Actuellement, on parle beaucoup de laïcité mais très peu de l’égale liberté de conscience. (Pour rester dans la comparaison avec notre époque), Briand explique qu’il recevait après le vote de la loi de nombreux courriers, de gens qui lui demandaient, l’interdiction de la soutane dans l’espace public, ce qu’il trouvait ridicule.

TH.S : Est-ce que la libre pensée de l’époque est un élément déterminant du vote de la loi ?

Jean Baubérot : Quelqu’un comme Ferdinand Buisson[7] (chef de la libre pensée) avait des doutes sur ce « miracle laïc ». Anatole France fait pression, par ailleurs, sur Clémenceau. Il faut rappeler qu’il n’a y a pas un mais deux congrès de la libre pensée en juillet et en septembre. Ce qu’il faut relever de la période c’est plutôt le nombre de « fake news » qui circulent à propos et autour de la loi : comme la loi qui imposera des manifestations religieuses par exemple.

TH.S. : Pouvez-vous préciser comment s’articule cette victoire conciliatrice qui se fait pourtant dans un contexte d’opposition forte ?

J.B. : On peut relier cela aux fake news qui répandent la rumeur que la loi serait coercitive. Briand réussit à contenir la rumeur en expliquant qu’il y a des Catholiques et qu’il faut les inclure dans la République. Briand veut englober, les libres penseurs, les minorités religieuses et les Catholiques, même ceux qui ont une pensée critique, mais isoler les « catholiques surexcités ».

(Le contexte extérieur est aussi important), la guerre russo-japonaise en 1904 et la consternation devant les premières victoires japonaises font craindre un conflit mondial. Il est question de, soit retarder le projet de séparation ou, de faire une séparation non conflictuelle qui rallierait les « deux Frances ». Le changement de conjoncture internationale compte beaucoup dans le vote de la loi.

TH.S : Parmi les différents facteurs, il y a une grande attention sociologique et notamment dans cette phrase « le paysan électeur sera juge… », des paysans supposés proches de l’Eglise.

J.B. : La France à cette époque est en grande majorité rurale. Le vote est au suffrage universel mais masculin. On peut ici parler de répartition genrée des rôles. Les paysans ont deux positions, ils se mettent à distance de l’Eglise on le voit avec la volonté de contrôle des naissances par exemple, ils sont prêts à accepter la laïcité. Par ailleurs, ils continuent à vouloir baptiser leurs enfants, se marier et surtout être enterrés en Catholiques. Ce sont les femmes qui font le lien avec l’Eglise.

Jean-Marc Schiappa : C’est à nuancer. La paysannerie, en France, est fondamentalement, non pas antireligieuse mais, anticléricale. La crainte des paysans tout au long du XIXème siècle, concerne un retour de l’Eglise (des dîmes…) et donc de l’Eglise comme facteur de possibles difficultés financières et foncières.


Questions du public

Quel est le rôle de Jaurès dans l’écriture de l’article 4 de la loi ?

Le discours de Jaurès est important mais après de nombreuses recherches, on se rend compte que l’article 4 (sur les biens de l’Eglise) aurait tout de même été voté. Ce discours n’a rien changé. Jaurès aurait davantage influencé l’adoption de l’article 6.

Sur le compromis, on a employé l’expression « pacte laïc » est-ce la même chose ?

Laïc, c’est donc une victoire et pacte, donc conciliateur. Il ya une possibilité d’inclure les autres Français. La séparation est un principe fondateur alors qu’une valeur peut évoluer, changer.

Y a-t-il aujourd’hui, des résonnances dans le débat sur la laïcité ou est-ce différent ?

Oui et non. Le contexte et les problèmes sont différents. On peut toujours trouver des analogies entre le passé et le présent : on peut par exemple rapprocher les débats sur la soutane des débats sur le voile.

L’exemple de l’Algérie est parlant.

Intervention de Dorra Maamer-Chaambi, qui a collaboré aux parties sur l’Algérie française.

La loi n’a pas été appliquée en Algérie. La liberté de conscience et les biens des Musulmans sont préservés. La laïcité est un « mauvais produit d’exportation ». En Algérie, l’Islam était en voie de « domestication » pour des raisons politiques. Il a souvent été dit que les indigènes étaient contre la séparation mais c’est faux car la religion était un outil de contrôle colonial et on a l’exemple de l’émir Khaled, de la famille de l’émir Abdelkader qui réclame l’application de la loi.

Pourquoi la loi de séparation a moins de succès à l’international ?

Elle n’est pas une exception française. Les modèles étrangers sont nombreux : les États-Unis pour l’article 4 et une inspiration du Mexique qui a voté une loi de séparation en 1859 qui est confirmée en 1874. Elle a tout de même des effets. Si le pape la refuse c’est aussi par crainte d’une diffusion. L’Espagne à l’époque connait aussi des discussions sur une éventuelle séparation qui n’aboutit pas.

En France il a fallu apaiser « les Deux Frances ». Ailleurs, ça n’est pas le cas. Il s’agit plutôt, d’une pluralisation des consciences. Le débat n’est pas le même. Il arrive que l’Union européenne fasse des remontrances à la France sur le non respect de la laïcité lorsque la Ligue des athées s’estime moins bien traitée que les associations religieuses. La Suède, d’ailleurs a déjà été condamnée. Le conseil de l’Europe et la commission européenne des droits de l’Homme sont les garants de la laïcité.

Thibaut Sardier : Pour faire un pont entre 1905 et aujourd’hui, pourriez-vous revenir sur la notion de « seuils de la laïcisation ? »

Jean Baubérot : J’ai essayé de périodiser et de présenter à chaque fois le contexte : Jusqu’à la Révolution, le Catholicisme est une réalité englobante avec le roi et les autres institutions. Pour inoculer, il faut par exemple l’accord de l’Eglise.

  • Le premier seuil: La Révolution et le recentrage autoritaire de Napoléon Bonaparte. Le catholicisme est un segment du social avec deux missions : assurer les besoins religieux des Français et comme fondement de la morale publique.
  • Le deuxième seuil: C’est la liberté de conscience. La liberté religieuse n’est plus une institution au même titre que l’école, elle fait partie de la société civile. Lorsque l’on parle de religion, une affaire privée, c’est dans le sens qu’elle est un choix personnel (une religion, le refus d’une religion…) et non pas qu’elle est confinée à la sphère privée.
  • Le troisième seuil : C’est la crise de cette promotion des progrès et c’est mondial depuis Fukushima. C’est en effet une catastrophe naturelle au départ mais le progrès ne va prévenir ou atténuer cette catastrophe car même si le progrès sauve des vies, la catastrophe nucléaire alourdit le bilan. Le progrès devient ambivalent. La question est de savoir si innovation et progrès , c’est la même chose.

Du coup, le religieux réapparait dans ces zones d’incertitudes et il réapparait plus dur (extrémismes) mais attention cette forme est minoritaire bien qu’elle soit la plus mise en avant dans l’actualité.

Jean-Marc Schiappa : Il y a chez certains la tentation de remplacer un dogme religieux par un dogme positiviste.


Pour aller plus loin 

Ressources qui pourraient être utiles au lycée en Hggsp,  thème 1 et 5 et en EMC

 


[1] Les prochaines conférences :

[2] La présentation du tome 1, le 27/11/2019,

[3] Baubérot Jean, Histoire de la laïcité en France. Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2017, URL :

[4] Baubérot Jean, Histoire du protestantisme. Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2020, URL : https://www.cairn.info/–.htm)

[5] Jean-Marc Schiappa

[6] Vehementer nos 

[7] Notice biographiqueBUISSON Ferdinand, Édouard par Martine Brunet, version mise en ligne le 16 février 2009, dernière modification le 9 octobre 2020.

Ou

Ferdinand Buisson (1841 – 1932)