Table ronde avec Jean GARRIGUES, Vincent AZOULAY (Historien d’Athènes sous l’Antiquité), Joël CORNETTE (Roi sous l’Ancien Régime), Jacqueline GOURAULT (Ministre de la Cohésion des territoire et des Relations avec les collectivités territoriales), Julien JEANNENEY (Juriste)

Faire de la politique est-ce un travail ?
Jacqueline GOURAULT

C’est actuellement un travail particulier avec ses codes. Il n’y a pas de formation pour ce travail. Il est scandé régulièrement par le suffrage universel. C’est la différence avec un métier. La fin des cumuls des mandats a fait évoluer la notion de travail dans la vie politique organisée avec le suffrage universel. Selon les lieux du mandat qu’on a, le travail évolue. Il y a le travail d’être élu local, celui d’être responsable d’un parti, le poste ministériel… Il y a un débat : comment assumer cette spécificité française dans laquelle on a toujours considéré que les élus touchent des indemnités et non un salaire ? Les dernières dispositions ont tendance à rapprocher le travail des élus d’un métier, comme le fait d’apporter des indemnités pour garde d’enfants, le droit à la formation… Ces éléments rapprochent du métier.

Vincent AZOULAY

Athènes sous l’Antiquité est loin mais proche. Le salariat est un intermédiaire entre la liberté et l’esclavage. Il y a des traces de salaire mais ce n’est pas pensé comme un travail. N’importe quel citoyen, homme libre de plus de 18 ans, fait de la politique. Ce n’est jamais pensé comme un métier, sauf par les opposants de la démocratie. On empêche les procédés de cumul. Il y a des fonctions que l’on doit et ne peut faire qu’une fois dans sa vie. Il y a des misthos : les indemnités pour permettre aux plus pauvres de participer à la démocratie. Au niveau des hommes politiques, il y a ceux qui montent réellement à la tribune et qui sont responsables du décret qu’ils proposent, de leur application. Les magistrats ne sont pas rémunérés. Eschyle parle de Démosthène car il a décidé de venir à l’assemblée que lorsqu’il veut. Il considère que ceux qui parlent tous les jours, agissent comme si la politique est un métier, qui doit donner lieu à un salaire, ce qui est une forme de traîtrise.

Joël CORNETTE

La fonction de roi est vue comme un métier sous l’Ancien Régime. On n’a pas le choix : le fils du roi dès la naissance est élevé comme roi. On lui apprend à être roi dès le XVe siècle, du lever au coucher. Il faut jouer le métier de roi sinon c’est grave, comme Henri III qui ne fait pas la guerre et n’assume pas son rôle.

Julien JEANNENEY

Les juristes encadrent l’activité « travail »  mais le droit ne définit pas cette notion. Il y a trois critères : le lien de subordination, la rémunération, le fait d’avoir une prestation de travail qui est une mise à disposition de sa force de travail. Ainsi, selon le droit, certaines activités politiques forment un travail comme un attaché parlementaire. Si on part de l’activité politique en elle-même, la constitution donne des compétences en droit qui offrent des formes de travail. On parle par exemple de « travail préparatoire » d’un texte, de « travail gouvernemental ».

Rôle et fonctions

Jacqueline GOURAULT

Aujourd’hui, les députés et sénateurs ont des origines plus diverses qu’avant. Il y a 520 000 élus actuellement. C’est donc une République des élus. 80 % sont bénévoles, ce qui est une spécificité française. En France, le monde associatif est admiré, mais le monde politique est suspect. Les Français sont attachés aux élus de proximité, notamment des communes, mais aussi à l’idée et au rôle de l’État qui garantit l’égalité des citoyens (cf périmètres de départements…). Aujourd’hui, collectivement, on a un travail très important à faire : le fait d’exercer une mission et d’en avoir la responsabilité. Les citoyens considèrent qu’au fond c’est toujours l’État qui doit apporter des solutions en dernier recours, d’où des manifestations devant les préfectures. La cohésion des territoires est la présence du service public sur le territoire, et cela touche aussi bien l’école que l’entreprise… Il faut faire un travail interne important entre le ministère et les collectivités territoriales. C’est un travail de bureau, de terrain, avec de la pédagogie pour expliquer ce que souhaite le gouvernement.

Vincent AZOULAY

Ceux qui prennent la parole à la tribune sont à égalité avec leur auditoire, mais prennent un risque, qui va jusqu’à celui d’être emmener devant les tribunaux. Les personnages les plus importants organisaient et divisaient les travail politique. Il n’y a pas de parti politique mais des cohésions. Ils attisent par exemple les haines ou les sentiments des citoyens . C’est le cas de Périclès qui va même inciter certains de ses proches à prendre la parole à la tribune. Tous les grands orateurs ont eu un procès, des amendes, des exclusions… Les hommes politiques sont aussi conspués par les poètes. Il y a donc une pression punitive et morale féroce sur les hommes politiques, d’où la mise en place d’une division et d’une organisation du travail. Périclès calcule ses apparitions par exemple, pour avoir un impact sur les citoyens, amplifié par son art oratoire, ce qui ne l’empêche pas d’être moqué par les poètes et condamné.

Joël CORNETTE

On peut opposer les intendants (hommes du roi) de Louis XIII et ceux de Louis XIV. Ceux de Louis XIII ont un rôle punitif, au temps des révoltes. Dans les années 1660, un autre type de monarchie se met en place, plus administratif. L’intendant devient plus recenseur, allant à la rencontre du local pour compter et rentabiliser, et envoyer à Versailles ses rapports. Nicolas Desmarets, contrôleur général des finances, réussit à travailler par son expertise pour mettre en réseaux les intendants, par exemple que ceux des provinces en manque de grain puissent en recevoir des provinces excédentaires.

Julien JEANNENEY

Il y a trois principes d’accessibilité des citoyens au rôle politique présents dans toutes les constitutions démocratiques. D’abord, certains pensent que tout le monde peut émerger politiquement et que l’intelligence collective sélectionne. Ensuite, il existe une autre vision aristocratique pensant que tout le monde n’est pas apte aux fonctions politiques d’où des barrières comme l’âge. On suppose que les plus riches sont les plus instruits. Ces visions traversent les constitutions françaises depuis 1789. Dès 1991, on parle de citoyens passifs et actifs. Cela structure les règles l’éligibilité, qui est réservée à ceux payant l’impôt, ce qui exclut les plus pauvres. Enfin, il existe le système, comme aux États-Unis, qui permet de faire accéder n’importe qui mais avec une vérification, comme la Cour Suprême accessible à tous mais avec une vérification sénatoriale des candidats.

Les rétributions

Vincent AZOULAY

Pourquoi les orateurs prennent le risque d’aller à la tribune alors qu’ils ne sont pas rémunérés ? Il y a le dévouement. S’il y a le risque du déshonneur, il y a aussi la recherche des honneurs, notamment pouvant permettre d’être nourri à vie. Dès le IVe siècle, il y a même des statuts honorifiques (comme bienfaiteur) attribués aux vivants ou post-mortem. Il existe aussi la corruption, notamment passive. Il n’y a pas d’enrichissement prévu par la loi, mais les juges admettent que la rémunération ou corruption sont possibles et ne posent pas de problème. Il faut que les hommes politiques puissent avoir des avantages de part de leur fonction tant que cela ne soit pas à l’encontre de l’intérêt de la cité. La corruption est tolérée mais au risque d’aboutir à des arguments contre les hommes politiques qui en profitent. C’est une arme politique qui peut se retourner contre ceux qui en profitent.

Joël CORNETTE

Mazarin accumule 35 millions de livres (équivalant de 35 millions de journée de travail d’un artisan) et c’est le plus riche de l’Ancien Régime. Colbert a 20 millions de livres, Louvois une quinzaine. Le ministre se doit d’être riche pour être crédible selon Fouquet. Il n’y a pas de frontière entre le privé et le public.

Julien JEANNENEY

Rémunérer les responsables politiques a deux fonctions : éviter la corruption car ils n’ont pas à détourner de l’argent possible par leur fonction ; permettre la démocratie car les plus pauvres peuvent se présenter. C’est d’autant plus vrai que les familles riches ont les moyens pour atteindre les plus haut sommet de l’État.

La rémunération symbolique des responsables politiques a son importance. Avant, l’élu de rang moyen, peu rémunéré, a des avantages comme chauffeur. De nos jours, on supprime certains de ces avantages, comme la voiture avec chauffeur. Selon Guy Carcassonne, cela risque d’attirer soit des personnes désintéressées par l’enrichissement, soit des personnes médiocres.

En 1958, on crée le fait que les anciens présidents puissent siéger au Conseil Constitutionnel pour qu’ils gardent leur rémunération symbolique. Cela est difficile à réformer même si le Conseil constitutionnel a des fonctions plus importantes et judiciaires.

Jacqueline GOURAULT

La rémunération est un sujet important à débattre publiquement. 40 % des maires sont des retraités. La rémunération n’est pas à la hauteur du temps passé. Dès que la commune atteint 5 000 à 6 000 habitants, le travail de maire est à temps plein. On doit donc rémunérer les élus, sinon on finira de n’avoir qu’une catégorie de population à la tête des mairies par exemple. Si les rémunérations sont trop faibles, on a tendance à chercher un autre mandat pour avoir une meilleure rémunération et pourvoir se consacrer à temps plein à la vie politique. Cela a engendré des dérives quand notamment les parlementaires étaient peu rétribués (6 000 euros par mois au lieu des 9 000 euros d’un parlementaire allemand). On a alors créé une indemnité laissée à la discrétion du parlementaire, non contrôlée. Désormais, les ressources des hommes politiques sont très contrôlées. C’est par exemple pour cela que l’on contrôle le patrimoine de l’élu à l’entrée et à la sortie des fonctions pour voir s’il y a un enrichissement ou pas.