Carte blanche au GIS Gestes (groupe d’études sur le travail et la santé au travail) et au CNAM

Intervention de Florent Schepens

Il y a une idée qui perdure encore selon laquelle un accident du travail revient toujours à la faute du salarié et provoqué par lui-même.

Pourquoi on accepte de subir le travail et les risques qui vont avec ? Les souffrances sont souvent invisibilisées. Cela s’appelle le courage à la tâche et il aborde l’exemple des bûcherons.

On ne rencontre pas de bûcherons retraités du fait des conditions de travail. Peut-on parler de crime chez les bûcherons ? Quel intérêt tirer de ces risques au travail ? Cela revient à parler des conditions de vie même au travail.

Deux présentations d’ouvrages à lire :

couverture du livre Pascal Marichalar : Qui a tué les verrières de Givors ?

Pascal Marichalar : Qui a tué les verrières de Givors ?

En 2012, des victimes de l’amiante de l’Europe sont venus à Turin pour avoir le verdict d’un procès de deux grands industriels qui a causé la mort de 2000 personnes et le verdict est la condamnation à 16 ans de prison ferme. C’est une première mondiale de voir des patrons condamnés dans un procès criminel.

A Lyon, il y a une multiplication des cancers d’une usine de verre, auprès de salariés après la retraite. Ils utilisent un procédé de forte chaleur pour mettre le verre en fusion, au moyen d’un produit hautement cancérigène pour graisser les moules. Le brouillard qui s’en émane est toxique et les ouvriers tombent malades. Cela suscite des interrogations et on demande de faire un relevé des conditions de travail dans les années 60/70.

En effet, des personnes savaient que le produit pour graisser était cancérigène mais ils n’ont rien dit aux salariés. Les avocats des salariés rapportent même que de l’arsenic a été retrouvé dans le sol de l’usine. Ainsi, l’indignation collective peut conduire à faire un travail scientifique plus poussé. Pour l’avocat des victimes, c’est un travail de très longue haleine pour prouver la culpabilité des industriels et certaines familles se battent de longues années pour faire déclarer comme maladie professionnelle le mal qui ronge ou rongeaient les salariés.

Cet ouvrage est écrit sous la forme d’un roman policier dit classique : quand il y a un meurtre, il y a une victime, un coupable et des inspecteurs qui enquêtent. Sauf que là, nous avons des victimes dont il faut prouver qu’il y a eu un crime et dont les coupables sont très difficiles d’appréhender. Dans la croyance populaire, quand un meurtre a lieu au travail, on considère souvent que ce n’est pas grave. Emile Zola dans Germinal, parle de risques au travail et décrit l’usine comme un monstre. Cela est consubstantiel au travail : on prend des risques, on en paie les conséquences ensuite.

couverture du livre Judith Rainhorn : Blanc de plomb, histoire d’un poison légal ?

Judith Rainhorn : Blanc de plomb, histoire d’un poison légal ?

Il est démontré que la main d’œuvre immigrée est souvent victime d’accident du travail et connaît des conditions de travail plus violentes que d’autres. Cela demande d’étudier l’histoire à la fois de l’immigration, sociale et de voisinages en villes. Par exemple, ces immigrés ont souvent été employés pour peindre les murs blancs et ce dès le XIXe siècle. Dans la peinture, on met du blanc, sous forme de poudre et cela, en très grand quantité, pour aboutir à la couleur souhaitée.

Dès le XIXe siècle, le phénomène d’industrialisation pose cette question du voisinage. Pourquoi ? Tous les bâtiments industriels doivent demander une autorisation pour s’implanter en ville et dès 1810, une loi régente l’installation des entreprises en fonction du secteur d’activité pour les éloigner ou non des habitations (éloigner les usines dangereuses par notamment). Dans le cas du blanc de plomb, on le transforme pour en faire de la peinture.

L’usine qui la fabrique devient dès lors dangereuse, pour les voisins et encore pire pour les salariés, qui sont malades très vite et en grand nombre. Cela suscite une vague d’indignation alors qu’on savait pertinemment que c’était dangereux. D’où une question ? comment une société accepte de fabriquer « le crime » au travail et de faire mourir les salariés ?

En 1810, le crime d’empoisonnement est défini d’administrer sciemment une substance dont on sait qu’elle est mortifère. Donc pas l’intention de tuer. Au regard de cette définition, faire travailler des ouvriers au contact de ces substances dangereuses (et qu’on le sait), est le cas d’un empoisonnement. Il y a peu de témoignages d’ouvriers, beaucoup sont de passage, saisonniers ou immigrés mais on va plutôt se tourner avec des sources indirectes, avec le nombre d’ouvriers à l’hôpital, qui sont morts, etc. En fait, on a fabriqué cet accommodement et on a fabriqué l’ignorance des ouvriers.

Dans ces questions-là, où sont les femmes ?

  • Pour Florent Schepens, les épouses de bûcherons font partie du travail car une entreprise forestière est forcément une affaire de couple. Dès que les enfants arrivent, elles ne veulent pas qu’ils fassent ce métier-là.
  • Pour Judith Rainhorn : pas de femme qui travaillent dans la première moitié du XIXème siècle en France en revanche, en Angleterre, les femmes sont là pour mettre fin aux grossesses indésirables (le plomb est un avortif très puissant). Cela pose la question de la souffrance au travail.
  • Pour Pascal Marichalar, à cause des inégalités dans l’accès au travail, les femmes sont plus assistantes maternelles, font le ménage et on en retrouvent aucune trace. Le milieu du syndicat est plus masculin.

Exemple : Le temps des chemises (débuts des années 80) : grève des femmes dans le nord de la France pour avoir de meilleures conditions de travail : pour avoir plus de confort. Leurs amitiés sont conditionnées par le métier des hommes.