Dès son affirmation, au XIXe siècle, le mouvement ouvrier n’a pu se montrer insensible à l’enjeu du travail. Cependant, d’emblée, discours, pratiques et écrits ont pris une dimension polyphonique. Loin d’être unanimement et universellement dominé par les élaborations marxistes, le mouvement ouvrier a été marqué en longue durée par des empreintes aussi profondes que diverses – les marxistes eux-mêmes, longtemps minoritaires, ne présentant pas une grande homogénéité pour leur part. Dans ce débat pluridisciplinaire mariant histoire, histoire du droit et approche philosophique, les figures de Proudhon et de Marx seront spécifiquement convoquées, eu égard à la richesse de leur réflexion et à la force de leur influence. Leur réception a contribué à modeler le mouvement ouvrier des XIXe et XXe siècles. Pour autant, l’histoire de celui-ci dans ses rapports au travail ne s’y résume pas. Deux moments seront privilégiés dans la longue période qui nous sépare de la mort des deux théoriciens (1865 et 1883) : celui, riche de débats, de la IIe Internationale (1889-1914) ; au plus près du travail concret et de ses nombreuses mutations, le dernier demi-siècle écoulé.

Participants

La table ronde est à l’initiative de la Fondation Gabriel Péri, fondée par le PC et de la Revue travailler au futur, dépendante de l’Humanité. Le modérateur, Valère STARASELSKI, directeur de la revue et professeur à Sciences-Po Lyon a souhaité que les interventions des chercheurs soient courtes pour laisser plus de temps aux questions, pas toujours de grande pertinence.

Anne-Sophie Chambost, professeure d’histoire du droit à Sciences-Po Lyon

Jean Quétier, chercheur associé à l’université de Strasbourg

Jean-Numa Ducange, professeur d’histoire contemporaine, membre junior université de Rouen, Institut universitaire de France.

La quatrième intervenante annoncée, Amandine TABUTAUD, doctorante à l’université d’Evry, n’a pu être présente. Enseignant dans le secondaire, elle n’a pas été libérée par son Chef d’Etablissement. Il semblait difficile de rattraper les deux heures de cours manquées.    

 

Mouvement ouvrier et travail : l’apport de Proudhon

Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), portrait photographique de Nadar (1862)

Intervention d’Anne-Sophie Chambost.

Dans l’œuvre de Proudhon, les références au droit et à la justice sont très nombreuses. Il part d’une critique de la loi étatique pour trouver d’autres alternatives. Il élabore une critique de la loi, s’interroge sur le contrat, pour arriver à la coutume. De son premier Mémoire sur la propriété jusqu’à son dernier ouvrage, il constate que la Révolution de 1789 a induit des changements politiques mais la révolution sociale reste à faire. 1789 était individualiste… Il faut ensuite repenser la dimension collective. Proudhon essaie de penser le droit sans l’État. Le droit est pour lui une arme dont doit s’emparer la classe ouvrière. Le travail n’est pas forcément un sujet d’étude pour lui. Il s’intéresse au Canuts de Lyon surtout pour leur mode d’organisation, notamment le mutualisme.

La portée de Proudhon est importante. Son discours est repris par la Commune. Pour Courbet, à la tête de la société des artistes de la Commune : « la commune a un soleil et c’est Proudhon ». Marx en revanche est quasiment inconnu des Communards, ce qui pousse les marxistes à prioriser la traduction du Manifeste en Français dans les années qui suivent. Maxime Leroy, docteur en droit au début du XXème siècle, probable contributeur à la charte d’Amiens, revendique son héritage. Il écrit la Coutume ouvrière, démonstration juridique que les ouvriers peuvent secréter leur propre société. Le socialisme juridique, c’est introduire le changement par le droit… mais pour eux le droit ou la coutume ouvrière peut suffire. G. Gurwitch tente de faire la généalogie du « droit social », donc non étatique. Il y donne beaucoup de place à Proudhon. L’idée d’autonomie et d’organisation inspire également pleinement le syndicalisme. Mais il a peu de rayonnement hors de France, notamment en raison de l’importance du marxisme.

On retrouve néanmoins des débats proudhonien en Italie, par l’intermédiaire peut-être un peu déformant de George Sorel.

 

Mouvement ouvrier et travail : l’apport de Marx

Intervention de Jean Quétier.

Marx fait du travail un objet philosophique central, la clef de voute qui fait tenir les sociétés humaines. Son intérêt pour le travail l’implique dans les organisations ouvrières, notamment la Ligue des Communistes. Il écrit en 1875 : « la société ne trouvera son équilibre que quand elle tournera autour du travail, son soleil ». Au XIXe siècle, la centralité du travail est incomplète et occultée dans le système capitaliste, occultée notamment par « le fétichisme de la marchandise » : on s’intéresse au produit, à son échange, pas à sa production. Incomplète car le travail est un lien d’aliénation, de souffrance, pas d’émancipation. Attention! Quand Marx parle d’ « abolition du travail », c’est la version capitaliste du travail : « n’importe quel enfant sait bien que sans travail le monde s’effondre » écrit-il à Kugelmann. Il se bat pour la réduction du temps de travail, c’est du temps gagné pour la vie. Mais son combat à long terme reste la désaliénation du travail qui doit être « le premier besoin ».

Le travail après Marx

Intervention de Jean-Numa Ducange. 

Marx meurt en 1883, période où l’industrialisation bat son plein, à un degré encore plus massif que de son vivant. Au début des années 1890, la division et la rationalisation du travail sont plus généralisées. Mais les conditions de vie semblent moins miséreuses. Il est pire de travailler au début du XIXème siècle que sous l’Ancien régime. Le prolétariat est synonyme de misère comme on le voit chez Hugo. Dans les années 1890, on change de paradigme. Les ouvriers tentent de s’approprier le travail, de s’affirmer comme ouvrier face aux bourgeois, avec fierté. Les lois qui réduisent le temps de travail libèrent du temps pour les ouvriers qui peuvent ainsi se structurer plus solidement.

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