Carte blanche au CTHS

Quels espaces et quelles voies (sociales, géographiques, culturelles) laisse aux mobilités professionnelles la France moderne ? Sont-elles contraintes par les guerres, les crises économiques, favorisées par la volonté royale, la Révolution française ? Par des aventures personnelles ? Par une mutation des critères de la reconnaissance et de l’organisation sociale, à l’aune des carrières littéraires ou de la proto-industrie par exemple ? Les intervenants s’attacheront à la « fabrique » de l’espace urbain à travers les métiers de bouche (aubergistes, cafetiers), ceux des arts de la scène, le monde ouvrier, le prolétariat flottant, comme aux créateurs d’entreprises enrichis dans l’ombre des privilèges royaux et de la ferme.

Modérateur : Philippe Bourdin

Intervenants : Olivier Poncet , Anne Conchon, Cyril Triolaire, Eleonora CANEPARI

Philippe Bourdin introduit la table ronde en appelant qu’au XVIIIe siècle les libéraux s’opposent aux privilèges, corporations et guildes. En 1776, Turgot ne parvient pas à supprimer les corporations. Si elles sont abolies par le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier (1791) le lien de dépendance ne disparaît pas.

Les métiers dont on parle

O-P présente ses sources : les actes notariés d’associations de Paris, des sociétés diverses du haut au bas de la pyramide sociale, pour des durées plus ou moins longues qui permettent de mettre en commun des capitaux, du capital et du travail ou une association de deux métiers complémentaires. Ces associations, sous Louis XIV, offrent plus de liberté que les corporations. Les métiers sont très divers.

A-C étudie les transporteurs, une catégorie large, diversifiée qui autorise mobilité géographique et mobilité professionnelle et sociale. Quelques exemples : transports de marchandises, de personnes, courrier, transports militaires. Le rayon d’action est très variable de charroi à la journée à des déplacements longs et lointains/ S’il existe des métiers réglementés (mariniers dans le Nord) l’activité est souvent libre ou sous licence ponctuelle. Le nombre de personnes concernées est difficile à établir. L’enquête de 1811 est partielle, les données parisiennes manquent. Elle évalue les transporteurs à environ 140 000 personnes.

E-C s’intéresse aux aubergistes de Marseille et de Buenos-Aires. Un métier qui accueille la mobilité géographique. En l’absence de cuisine dans l’habitat beaucoup de repas se prenaient dehors. Les fonctions des aubergistes étaient diverses, chacun pouvant n’être concerné que par une fonction : loger, nourrir, abreuver (c’est un lieu de sociabilité). Ils ont aussi une « fonction politique » : les autorités les utilisent comme intermédiaire dans le contrôle de la mobilité contre permis de tenir logement, dans la transmission de l’information (affichage des ordonnances). E-C évoque le cas particulier des mères des compagnons qui sont des intermédiaires entre patrons et et employés.

C-T montre le monde des comédiens au XVIIIe siècle. Si les carrières se jouent individuellement elles sont indissociables de la troupe. Elles sont plus ou moins vrillantes et peuvent alors permettre une mobilité sociale. Le monde des comédiens est très codifié ? Paris centralise la création, les troupes y viennent au printemps pour l’engagement des comédiens avant les tournées. La mobilité géographique est très forte surtout quand la Révolution permet l’ouverture libre de nouveaux théâtres à Paris comme en province où les villes de quelque importance ont une troupe résidente.

Peut-on faire individuellement carrière à l’époque moderne ?

E-C montre que pour les aubergistes il est aisé d’entreprendre car il n’y a pas d’outils ni de compétences professionnelles. Ils sont souvent pluriactifs. La carrière commence tard, vers 40 ans quand la personne a acquis une certaine expérience, maturité indispensable pour gérer les alcoolisés.

A-C : les entrepreneurs de transport n’ont pas de qualification particulière. A-C préfère le terme de parcours, de trajectoire plutôt que celui de carrière. Si les trajectoires longitudinales sont difficiles à établir car il y a peu de sources pour ce secteur atomisé, nombreux sont les pluriactifs. Difficile de discerner l’age de début dans le métier.
A-C présente quelques exemples comme ce marchand qui grâce à la capitalisation développe son activité ou cet autre qui implanté à Auxerre développe ses activités vers Paris et Lyon puis un coche et parvient à desservir la propriété de Colbert à Seignelay.

O-P : Les associations sont un moyen d’échapper aux contraintes normatives puisqu’elles peuvent exister en dehors des corporations. Les musiciens et danseurs représentent de 15 à 20 % des contrats étudiés, ils visent à améliorer leur art, certains sont insérés par exemple à la chapelle du roi d’autres sont seuls et se réunissent pour former un orchestre (le groupe a plus de chance de trouver un engagement). Dans ce cas on constate une soumission volontaire aux contraintes : les contrats prévoient les amendes pour absence aux répétitions…

C-T ne peut guère suivre les comédiens car très mobiles d’autant qu’il n’y a pas de statut imposé par le pouvoir royal sauf à la Comédie française. Il revient sur le mercato printanier (évoqué plus haut). Les engagements par un entrepreneur de spectacle allaient de Pâques aux Rameaux. L’échelle des salaires était fonction le l’expérience. L’entrée dans la carrière se situe vers 20 ans pour les comédiens, 30 ans pour les musiciens. On constate peu de fidélité à l’entrepreneur, rarement plus de trois saisons. La carrière est plus courte pour les femmes. On peut parler d’instabilité chronique même s’il existe des solidarités familiales.

L’impact des crises économiques, politiques ou militaires

O-P étudie les contrats entre 1670 et 1675, de part et d’autre de l’ordonnance de 1673. C’est une période de crise (déclenchement de la guerre de Hollande, 1672-1678). On assiste à une augmentation de la fiscalité et en parallèle à des ventes de privilèges : on voit dans les contrats d’association que c’est une période d’opportunités (associations de voituriers pour l’approvisionnement de l’armée en campagne). Ces opportunités peuvent permettre de s’élever socialement.

C-T : Quand arrive la Révolution, le cadre change (janv 1791 libéralisation de l’activité des théâtres), la fonction du comédien évolue, on attend un rôle d’enseignant civil, une mission patriotique. Mais certains sont touchés par des fermetures (Lyon An II), le recrutement dans l’armée, certains sont inquiétés pour leurs idées. Au contraire le bouleversement du secteur textile (filature mécanique) amène au métier de comédienne de nombreuses ouvrières.

A-C : La crise signifie à la fois fin d’activité et fortes opportunités (transport militaire). On parlera plutôt du poids de la conjoncture plutôt que de crise : évolutions des prix (fourrage, bêtes), réquisitions qui perturbent l’organisation, blocus continental qui induit une augmentation des transports terrestres aux dépens du transport côtier.

On peut aussi parler de conjoncture individuelle : perte d’une bête, naufrage d’un coche, faillite.

La mobilité pour les transporteurs occasionnels est plutôt subie/

E-C : Pour les aubergistes, la crise est souvent à l’échelle de la famille (les veuves qui deviennent tenancières d’une chambre d’hôte pour survivre). Un document de 1765 montre qu’à Marseille, on compte une maîtresse pour trois maîtres pour les aubergistes alors que pour les autres métiers on en compte 1/26.

La polyactivité

Comment s’effectue le passage ? Changement temporaire ou définitif. En même temps ou à la suite ? Quelle traduction sociale ?

O-P présente deux exemples : un échec, une réussite. L’association d’un officier de la petite écurie avec un maître d’arme pour fonder une académie de noblesse : un échec, pour mauvaise évaluation du projet ?

L’association de 4 frères fabricants de boites qui s’associent à la mort du père. Les trois aînés ont appris le métier avec lui, ils s’associent pour l’enseigner au plus jeune qui ainsi va changer d’avenir, d’état. Quelques mobilités montrent un progrès dans les compétences.

E-C : le monde des aubergistes est très divers, il y a possibilité d’évoluer en changeant de clientèle. Il y a aussi des pluriactifs comme porte-faix/aubergiste, aubergiste et marchand de fourrage.

A-C montre des transitions plutôt que des changements de métier : de voiturier saisonnier à une activité plus régulière, de transport marchand à coche, transition durable ou temporaire ? Elle présente l’exemple, à Bayonne, de la transition d’une activité de roulage à une entreprise de commerce et roulage. Les paysans-voituriers sont sous la coupe des intermédiaires, ils ont peu d’opportunité de mobilité sociale.

O-T évoque le poids de la Révolution qui voit arriver dans le métier par exemple des planteurs de Saint-Domingue qui tentent une reconversion dans les théâtres des ports métropolitains. Il constate des carrières très courtes 2 – 3 ans avant un autre métier. Pendant la Révolution les nouveaux comédiens viennent pour un quart du négoce, un quart de l’artisanat et un quart sont des musiciens. Le métier de comédien, un espace de reclassement ? Difficile à dire.

Question de la salle

Une question porte la relation qui pourrait être faite entre mobilité et rupture jusqu’à la migration vers la Nouvelle France. Il est 19h … fermeture de la salle.