Ce livre dont les deux jeunes auteurs se sont inspirés a été réalisé à partir d’un livre d’Augustine Fouillée (G. Bruno) publié sous la IIIème République en 1877 et qui a servi dans certaines écoles jusque dans les années 1960.

Philibert Humm : Mon grand père était cheminot en Normandie et l’a eu encore à l’école primaire

Abdelkader Djemai : C’est aussi un livre à dimension idéologique, sociale, moralisatrice à l’époque

Pierre Adrian : Mona Ozouf parlait du « petit livre noir de la République », où deux enfants partaient de Phalsbourg, ils apprenaient l’économie domestique, le travail, la famille et la patrie. Nous, on est dans une époque des loisirs. On a voulu rendre hommage à ce livre là. On voulait réviser notre géographie et notre histoire avec comme seul GPS ce livre. On peut se demander si le voyage procure seulement l’aventure. A l’ère du TGV où on voyage vite, comment reproduire ce périple pour des jeunes d’aujourd’hui ?

PH : Phileas Fogg n’impressionne plus personne avec son tour du monde en 80 jours. On voulait retrouver le sens premier du voyage, cheminer, aller d’un espace à un autre. Personne ne nous attendait nulle part.

PA : Avec une 204 qui nous a lâchés dans le Massif Central, c’est aussi la France littéraire que nous avons visitée. On s’est rendu en Bourgogne chez Xavier Vincenot par exemple. Nous ne sommes plus des enfants certes, mais nous sommes des adultes qui avons essayé de redevenir des enfants. « Tout est homme est cousu d’enfance » (W. Gombrowicz).

PH : L’histoire du libraire d’Autun : la rencontre et l’histoire de la ville. Autun est une ville qui a raté la desserte car l’autoroute passe à côté sans la desservir et le TGV passe aussi à côté. Elle est coupée des réseaux (effet tunnel). Autun a perdu 1/3 de sa population. Et au milieu il y a un libraire, Arnaud, qui agrandit sa librairie de jour en jour. Sa mission est d’amener le livre dans les endroits les plus reculés, dans une France enclavée, de Beaune à Autun. Ce tour de France est aussi un Tour des Français. Nous sommes allés à la rencontre d’une actrice de « Plus Belle la Vie » à Marseille, d’étudiants à Bordeaux, d’un libraire à Autun…

PH : Et oui, nous avons visité les Studios de la Belle de Mai à Marseille qui est l’ancienne manufacture Seita de la cigarette.  La Place du Mistral est le décor principal reconstitué de « Plus Belle la Vie »,  avec une apparence très réelle. C’est une place qui existe vraiment à quelques mètres des studios, avec un musée des boules de pétanque et un musée boutique de l’anisette. Finalement, la place est presque plus artificielle que le décor lui-même !

AD : Racontez-nous l’histoire du premier auto-stoppeur monté dans la 204 datée de 1975.

PA : Nous avions un idéal à la Jack Kerouac, et avons croisé ce premier autostoppeur à la tête à jouer dans un groupe de reggae. En fait, c’était un spécialiste de la pierre (la pierre jaune de Jaumont, des Vosges…), il nous a parlé de la première église romane de Lorraine et il racontait plein d’histoires! A Baccarat, on voulait visiter les cristalleries comme les 2 enfants dans le livre de G. Bruno, sauf qu’il y avait le rallye de Cristal avec des vieilles voitures lorsque l’on est arrivé, on a ainsi respiré des pots d’échappement et on a dormi dans notre petite voiture.

PH : On ne voulait pas faire un livre journalistique, on prenait les histoires des gens surtout.

AD : Est-ce à dire que vous cherchiez à faire un portrait économique et social de la France ?

PH : Finalement, notre voyage était très désorganisé. Nous sommes passés par Nevers où nous avons rencontré un ancien pilote automobile. Nous lui avons demandé s’il n’y avait pas des choses à voir à Moulins. Avant de nous dire qu’il n’y a rien, il pense finalement à une chose : il y a l’un des plus grands hypermarchés de France ! Leclerc. Et on s’est promené dedans….au rayon frais…

PA : Ma Peugeot 204 est passée devant le But, le Conforama, où le centre-ville est à vendre. A Nevers, le centre-ville a des allures de western. A Dijon, 1 bail sur 2 n’est pas repris leur a confié une fleuriste. Philibert et Adrien sont originaires de banlieue parisienne, quelles sont nos missions moralisatrices. Quel message à travers ce livre? Réhabiliter les centres villes ? De plus, nous ne sommes plus la génération de l’hypermarché, mais celle des circuits courts, du renouveau de la campagne…

Nous avons participé au défilé de la fête du travail à Saint Etienne et on se retrouve pour la rentrée scolaire dans le Gers, où les écoles primaires fermaient. Une femme nous a confié qu’à 40 ans, elle ne pouvait qu’être auxilliaire de vie dans le Gers en termes de visée professionnelle ! Sinon elle devait aller à Toulouse. A Miélian près d‘Auch dans le Gers, le maire avec sa moustache à guidon nous a serré la main en nous disant fièrement 636 ! Et oui, 636 habitants dans sa commune. 11% de sa commune était composée d’Anglais mais aussi de néo ruraux qui pour lui ont aussi une importance.

AD : Puis vous êtes allés dans l’Allier, dans une ville d’histoire et de mémoire : Vichy, une pastille difficile à avaler

PH : Vichy porte un peu toute seule le fardeau de la collaboration. Au syndicat d’initiative, on avait une visite à thème qui nous plaisait: « Vichy, capitale de l’Etat français » et où on devait passer devant le bureau du Maréchal Pétain. Elle était complète, il fallait réserver depuis 6 mois!

PA : René Fallet est né dans un petit village de l’Allier. Philibert avait choisi un stage d’immersion lorsqu’il était en école de journalisme au comptoir d’un bistrot à Jaligny où l’écrivain René Fallet était né.

AD : Et l’histoire de Peters Sprunke ?

PA : Et oui, sur les hauteurs de Vichy, nous avons fait une rencontre : le fabuleux voyage de Peter Sprunke, et sa grande barbe blanche, il réalisait un voyage de Brême à Gibraltar, il avait construit de ses mains sa voiture. « Si vous allez à Munich, allez voir les statuettes que j’ai ramenées de Papouasie » nous disait-il.

PH : C’est un anti-manuel qu’on a écrit finalement, car les enfants dans l’histoire de G. Bruno ont, eux, 7 ans et 14 ans et lorsque l’un se brise la jambe, on apprend par là même l’anatomie. Nous on a bu et péché.

PA : En effet, les enfants croisent un homme qui a bu dans les bistrots et une morale sur l’ébriété s’ensuit, un commerce d’ailleurs en voie d’extinction en France. On cultive sa cirrhose à domicile de nos jours. Dans les années 1980, un journaliste du Nouvel Observateur allait d’ailleurs dans les bistrots quand il arrivait dans une ville. On a appris beaucoup dans un bistrot de Saint Dié sur cette ville à notre arrivée. Par exemple que Jules Ferry est né pas loin de Saint Dié d’où la statue proche…et l’Amérique est née dans les Vosges…

PH : On voyage sans préjugé.

PA : La France tient par le sport. On a fait une rencontre drôle à Dijon, pendant les élections, on parle d’Emmanuel, et quelqu’un nous a fait l’hypothèse que c’était le vrai nom du Christ et que ce qui nous arrivait c’était peut-être le nouvel évangile ! Le terrain de Football permet de voir si un village va encore bien en regardant si le terrain de football est en friche ou en action avec des jeunes… A Lens, on a assisté à un match, le football est le spectacle de la vie. Nous posons le constat d’une France fracturée entre les jeunes et les plus vieux, où ils se retrouvent peu, mais dans les stades de foot ce phénomène s’inverse ! A Dieppe, les gens quand ils veulent fêter leur joie vont aller en centre-ville par exemple. Avec les matchs de la coupe du monde, on a eu un retour au bistro, on sort de chez soi ! Mais aussi il ne faut pas oublier la violence du sport et la corruption…

AD : A Paimpol, racontez-nous la nuit chez un gardien de phare…

PH : Oui, c’était l’un des derniers gardiens de phare en activité en France. Il y a aussi un phare à terre au Cap Fréhel. Mais à Paimpol, le gardien François mettait plusieurs heures pour rejoindre par beau temps son phare. Ce métier a quasiment disparu. Les gens viennent visiter un phare comme on va au zoo… Avec quel métier fait-on rêver les jeunes de demain aujourd’hui ? C’était un métier de l’enfance avant, gardien de phare… En règle générale, les gardiens partaient en binôme et chaque jour en mer cela demandait un entretien considérable. Ce patrimoine est en péril parce qu’ils sont trop peu entretenus, juste des agents de la DDE viennent une fois l’an faire de la maintenance.

PA : L’île de Sein, fin de la terre au Finistère, 1 métre 40 d’altitude, ville balayée par les vagues et le vent. Tous les hommes sont partis à Londres ; la belle des trépassés. La pointe du Raz, un parking où une demie heure est gratuite, mais impossible à pied de faire la pointe du raz aller/retour en une demie heure ! Sauf si on est Usain Bolt. Nous avons pu rencontrer aux abords de la centrale de Plogoff des résistantes au projet de centrale nucléaire. Les femmes de Plogoff, qui se sont dressées contre les CRS avec leur habit traditionnel.

AD : On retrouve des références à Albert Camus dans votre livre

PH :  On a voulu remplacer la Mer de Trenet par les Noces de Camus, mais le soir j’étais sans le livre, donc je me suis redit dans ma tête Camus, bonheur royal.

AD : Quels étaient vos appréhensions pendant ces 6 mois ?

PA : Moi j’avais une peur de la haute mer. Cela rejoint la question de l’aventure, ce voyage. Alors que le moindre arpent de terrain est cartographié, est-ce que l ‘aventure est encore possible de nos jours ?

PH : On a eu aussi le goût des ennuis, des emmerdements et des pépins. Rouler dans une épave y a contribué…

PA : Le goût des gens qui font les lieux également. Les habitants font les pays !

AD : Racontez-nous le Canal du Midi à bicyclette de Sète à Bordeaux !

PA : On est passé par l’autoroute à vélo où on a avancé au rythme des écluses. Nous avons remarqué que nos platanes étaient malades, or c’est le symbole des vacances ! Ils sont atteints d’un champignon qui viendraient des caisses des minutions des GI’s dans les années 1940. Donc, on les abat car ils sont malades.

PH : Quand la voiture nous a lâché à Clermont Ferrand on a continué en « car Macron », en bateau-stop et auto-stop et là un quincailler nous a vendu des vélos, qu’il a fallu remettre sur pied à partir de son garage en fait…

AD : Carnet, livre ? Comment l’écrire à deux ?

PA : J’étais le seul à conduire la voiture car PH n’a pas le permis. Il a donc plus écrit, pris des notes, sur les régions qu’on traversait. On a écrit un chapitre chacun, comme des personnes qui se répondraient. D’où la nécessité de beaucoup scénariser avant d’écrire.

PH : Deux copains qui roulent à vélo finissent par rouler à la même allure. Nous sommes rentrés il y a un an de ce voyage, en mai on a écrit tout de suite en rentrant.

*Lecture dialoguée du livre*

AD : Gravures dans le livre G. Bruno, et vous ?  Des photos ?

PH : On avait pensé originellement ce livre comme un pastiche véritable avec des gravures de la France d’aujourd’hui (des éoliennes et des centrales nucléaires…). Et on a été pris par le temps, certes on a pris des photos mais de moins en moins, surtout quand on est devenus piétons, comme le crayon était notre appareil photo. Donc c’était un vrai choix.

AD : Votre livre est malicieux, vos dédicaces étaient : « à nos mamans »

PA : Nos mamans nous manquaient quand même, on les appelait souvent.

Questions :

* Augustine Fouillée et G. Bruno, quel lien ?

C’est un pseudonyme comme c’était une femme. G. Bruno était un hérétique brulé à Fiori. Le côté très moraliste du livre n’est pas à oublier, mais derrière tout ça, ce n’était peut-être pas si moraliste de sa part car son fils était anarchiste… On a un retour à la terre natale à la fin : nous c’était Paris et pas Phalsbourg, nous avons passé la nuit dans un terminal de Roissy-Charles de Gaulle, puis nous sommes rentrés à pied jusqu’à Paris, en passant par la tour à Bobigny, le long du canal de L’Ourcq.

* Dans l’ancien livre, il y avait des références religieuses et à dieu :

Nous avons visité le couvent de Tourette. Après 1905, c’est la fin des allusions religieuses dans le livre. On parlait du « petit livre rouge de la République »

* Et les enfants, quelle rencontre durant votre voyage ?

Certainement qu’ils rejoignaient les villes les plus grandes pour leurs collèges. Mais enfin, à Violey, des jeunes ont arrêté notre voyage et notre voiture : c’était des conscrits. « La ville dont le prince est un enfant ». Et nous avons aussi vu des étudiants à Bordeaux. Où est la jeunesse ? Après 17 ans, on va à l’université et grande transhumance vers les grandes villes sans doute.

 

© Pauline ELIOT, pour les Clionautes