Fonte du permafrost, submersion marine, désertification : les terres sont transformées par le changement climatique. Certaines vont pouvoir assurer de nouvelles fonctions (par exemple, devenir cultivables), d’autres vont disparaître. Des plans pour développer l’agriculture dans le nord de la Russie à la disparition d’îles aux Seychelles, ces évolutions « terrestres » annoncent des bouleversements en matière de géopolitique ou d’aménagement du territoire.
Quels sont les symptômes du changement climatique ?
Esméralda Longepee montre le risque de subversion marine des îles, des atolls et de la mangrove et l’érosion côtière avec les répercussions sur les sociétés : grande vulnérabilité liée à la mobilité du trait de côte. Il faut le laisser varier, c’est normal plutôt que de tenter de le figer.
Pour Denis Mercier, le retrait des glaciers s’observe à l’échelle humaine, avec comme exemple la Mer de glace. À l’heure actuelle, in va vers le scénario le plus pessimiste du GIEC, à plus 4°. De nombreux glaciersVoir Atlas des glaciers, Denis Mercier, Autrement, 2024 sont condamnés, notamment les glaciers pyrénéens. Les glaciers les plus importants en surface (Groenland, Svalbard) sont moins menacés. La disparition des glaciers est visible à l’échelle humaine, mais elle s’inscrit dans un temps long, depuis 1890.
Comment rendre moins abstrait la recherche en climatologie ?
Pourquoi, quand on est géographe s’intéresse-t-on à l’histoire de l’environnement ?
DM : Il est nécessaire de replacer le recul des glaciers dans le temps long à l’échelle humaine grâce aux photographies, aux cartes anciennesVoir Les glaciers des Alpes et la photographie, Claude Reichler, Presses Universitaires Rennes, 2024 – Atlas des glaciers disparus, Sylvain Coutterand, Editions Guérin, 2023.
L’étude sur des temps géologiques s’avère éclairante : étude des conséquences des dernières glaciations en Islande, par exemple après le Pléistocène. On peut comparer les écroulements de paroi disparus aux écroulements actuels par exemple aux Drus, cela apporte des informations pour imaginer des solutions pour demain. Étudier ce phénomène de la décompression post-glaciaire en parallèle avec la chronologie des glaciations, comparer l’évolution du versant islandais avec ce que l’on peut observer aujourd’hui comme par exemple l’élévation du niveau marin. C’est l’exemple des plages bretonnes où on observe des plages de galets en altitude qui correspondent aux périodes interglaciaires de – 115 000 pour des plages de galets à 5 m d’altitude et – 416 000 pour des plages à 10 m du niveau actuel.
EL : L’intérêt de l’évolution du climat des côtes par exemple à Kiribati, Tuvalou et aux Maldives. L’enjeu, c’est de renforcer la souveraineté face à la menace de l’effet sur les zones côtières peuplées.
L’étude de certains secteurs permet de montrer que ce n’est pas forcément un rétrécissement des îles.
Dans cet exemple, entre 1969 et 2008, l’élévation de la mer est compensée par un ensablement, mais à terme la menace existe. L’élargissement n’est pas toujours naturel, il existe des politiques de remblaiement. Dans les îles non habitées la tendance est à la stabilité des surfaces. Dans ce cas, c’est l’implantation de population sur la flèche, autrefois non habitée, qui constitue la menace, très visible dans la presse.
En 1968, seuls les points hauts étaient occupés. Sur la flèche sableuse, le bâti a fortement augmenté entre 1968 et 2010. Cette occupation de la flèche sableuse est soumise à la subvention marine, on a donc construit un mur de protection, mais quand la mer est très haute, elle rentre. En fait, Il s’agit d’un problème de choix d’implantation, en situation d’exode rural depuis les îlots ruraux, non un problème de surélévation du niveau de la mer. La mer aggrave la situation, les vagues emportent le mur, elles emportent le sable. c’est une rencontre entre un aléa physique et des choix humains.
DM : Même constat possible à propos des effets de la tempête Xynthia qui additionne les effets d’une tempête, de grandes marées et de l’occupation de zones bassesLa tempête Xynthia et la cartographie des « zones noires » sur le littoral français : analyse critique à partir de l’exemple de La Faute-sur-Mer (Vendée), Denis Mercier et Céline Chadenas, dans la Revue Norois, N° 222, 2012, PUR. Quand on observe de vieilles cartes, on a des forêts, là où se trouvait le lotissement meurtrier. Ces cas sont intéressants pour analyser le retour d’expérience.
Faut-il délocaliser, face à l’élévation du niveau marin, au risque d’effondrements de falaise, de montagne ?
EL : Il y a peu de délocalisation dans les atolls. La principale question est : comment s’adapter à l’élévation du niveau de la mer ? Les solutions fondées sur la nature comme la mangrove ou des relocalisations internes en faveur des îles les plus élevées. Aux Maldives, il existe des mesures d’artificialisation comme, le bétonnage du littoral, mais on s’interroge sur la durée de ces solutions. Pour Tuvalu, une migration est en négociation avec l’Australie. En fait, cette délocalisation est déjà en cours et l’accord prévoyait un déplacement de 280 habitants par an pour une population totale de 10 000 habitants, en échange de la possibilité pour l’Australie d’installer une base militaire. 280 habitants migrants chaque année, c’est la situation déjà actuelle. Ce qui est plus embêtant, c’est que il y a un risque de perte culturelle, d’où l’idée de créer un double digitalTuvalu, menacé d’être englouti par les eaux, crée son double digital, article de Géraldine Giraudeau, professeure de droit public, Paris-Saclay (UVSQ), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ)sur le site de The Conversation . Les Fidji proposent d’accueillir les Kiribat, une annonce, mais rien de plus en fait.
DM : Plus réel le déménagement de la capitale de l’Indonésie. Abandon de Jakarta, menacée par la montée du niveau de la mer, mais surtout le poids du bâti et les pompages dans la nappe phréatique qui accentuent le risque au profit de Nusantara.
En Alaska, il existe des exemples de relocalisation, face à la menace des tempêtes sur les îles basses et de la fonte de la banquise, la population a choisi une relocalisation sur le continent.
Après la catastrophe de La Berarde (Isère), le 21 juin dernier, se pose la question de la reconstruction du hameau. La lave torrentielle réoccupe la totalité du cône de déjection. Elle est due à la conjonction exceptionnelle de deux phénomènes : importance des pluies (100 mm de pluie sont tombées dans la région dans les 48 heures qui ont précédé la catastrophe) plus une fonte nivale importante, due à un manteau neigeux encore épais et fragilisé par des températures élevées. La masse d’eau disposait, en raison du retrait glaciaire, de matériaux non stabilisés par une reprise de la végétation qui se sont déversés sur le cône de déjection du torrent des Étançons Intempéries en Isère : retour sur la crue hors norme au hameau de La Bérarde, Franceinfo 22/06/2024 reportage en vidéo : https://www.francetvinfo.fr/meteo/inondations/intemperies-en-isere-retour-sur-la-crue-hors-norme-au-hameau-de-la-berarde_6619797.html. On a aussi parlé d’une poche sous glaciaire comme cela a pu être le cas par exemple à Saint-Gervais, les 12-13 Juillet 1892.
Il y a aussi des exemples dans l’histoire récente en Inde.
On pourra envisager des relocalisations dans des lieux moins vulnérables. Il faut noter l’écart entre la vision média et celle des chercheurs, comme l’ont montré les travaux de l’université de Caen après Xynthia. Le travail des experts avec les habitants et les décideurs est fondamental.
EL regrette de n’avoir pas eu d’interaction avec les populations lors de la réalisation de sa thèse sur les atolls. L’atout des géographes est d’avoir, à la fois, une formation de sciences et de sciences humaines.
Même s’il a une connaissance des écosystèmes, le chercheur n’est pas dans la prise de décision. Par exemple, à Mayotte où je travaille sur la mangrove qui a une double fonction de capture du carbone et de protection du littoral, le rôle du géographe est de montrer les limites de l’interdiction de l’utilisation humaine de la mangrove. En éloignant les hommes de cet écosystème, on les éloigne aussi de sa défense.
Le géographe expert a un rôle utile. DM donne l’exemple des travaux sur les îlots de chaleurs urbains en Bretagne, où les géographes participent au Haut Conseil Breton pour le Climat.
Des travaux universitaires à Caen comparent le bénéfice de certains espaces pour des personnes fragiles, la Normandie pourrait devenir un refuge climatique par temps de canicule. Les données utiles pour la recherche deviennent force de proposition d’aménagement à destination des politiques. Même remarque pour des travaux sur le recul des falaises, les modèles permettent de prendre des décisions à échelonner dans le temps, en Normandie, grâce à l’interface entre science de l’environnement et sciences sociales.
Quels sont les enjeux actuels en quelques mots ?
EL souligne l’importance de la comparaison pour comprendre ce qui se passe sur place. Le changement climatique a bon dos, l’impression qu’on n’y peut rien. Le géographe rappelle que la connaissance permet de montrer de petites solutions pour agir localement.
DM : Le changement climatique est une réalité, ses conséquences sont évidentes, mais le lien n’est pas toujours aussi simple pour un événement précis. Le rôle de l’homme, les choix de société sont importants. Il faut s’adapter et prendre en considération le temps long. Le changement climatique ne doit pas dédouaner la responsabilité humaine et politique.
En réponse à une question sur la fonte du permafrost, DM évoque la fonte de la couche active. Le dégel du pergélisol russe et canadien, qui libère du méthane, est surtout un facteur de déstabilisation des infrastructures, bâtiments, oléoducs… et en montagne d’écroulements des versants.