La France occupe une situation singulière dans l’espace ultra-marin européen. Un tableau des outre-mers européens est nécessaire pour identifier les spécificités de la FOM et la comparer aux autres outre-mers européens.

Jean-Christophe GAY est professeur des Universités, IAE-Nice, et membre du conseil scientifique de la chaire Outre-mer Sciences po Paris.

L’outre-mer est une notion assez floue et molle, qui s’établit sur des considérations centre-périphérie. Elle renvoie à l’extériorité.

Une gradation de l’extériorité européenne s’effectue à plusieurs niveaux

Le premier niveau correspond aux îles proches comme la Sardaigne, la Corse et la Sicile, caractérisées parfois par un statut spécial.
Le deuxième niveau correspond aux enclaves et aux îles à statuts plus spécifiques, comme Man, Gibraltar, les îles anglo-normandes, les îles Féroe (Danemark), Ceuta, Melila, Aland (Finlande).
Le troisième niveau inclut les outre-mers, c’est-à-dire des territoires sous la souveraineté d’un État européen mais à bonne distance du continent européen. Faut-il alors considérer Svalbard et Jan Mayen comme l’outre-mer de la Norvège ? Quid des Féroé ?
Il convient de distinguer les outre-mers associés, appelés PTOM (pays et territoires d’outre-mer) ; des outre-mers intégrés à l’Union européenne, nommés RUP (régions ultrapériphériques).

On dénombre 6 millions d’habitants dispersés à travers le monde dans le niveau 3.

Les plus proches outre-mers (« la bonne distance ») sont autour de 1000 – 1500 km.
L’outre-mer le plus proche s’appelle la Macaronésie (« îles des Bienheureux »). Il s’agit d’un ensemble d’îles qui va des Açores jusqu’au Cap Vert, intégrant Madère et les Canaries.
La Macaronésie rassemble environ 3 millions d’habitants.

Une situation de retard économique

9 régions ultrapériphériques (RUP) sont en situation de retard économique. Ce sont les Açores, Madère, les Canaries (2,2 millions d’habitants), et les 6 RUP françaises…
Au-delà de ces territoires, Jean-Christophe Gay rappelle qu’on distingue des espaces, les PTOM, qui appartiennent à des pays de l’Union européenne, mais qui ne font pas partie de l’espace communautaire. On peut compter 25 PTOM avant le Brexit (13 aujourd’hui).

Ces territoires ont un PIB très en-deçà de la moyenne de l’Union européenne. La crise du COVID les a davantage fragilisés.
Pour les aider financièrement, ils existent 4 fonds d’investissement structurel européen : FEDER (fonds européen de développement régional), FSE (fonds social européen), FEAMP (fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche), FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural). Ils participent ainsi à investir dans les RUP.

La France est le seul pays à avoir une telle diversité des statuts internes et européens

L’existence de DROM, COM, et collectivité unique… révèle de la complexité des statuts.
La mobilité statutaire montre des trajectoires croisées. Par exemple, Mayotte est passée de PTOM à RUP en 2014, tandis que Saint-Barthélemy est passée de RUP à PTOM en 2012.
L’objectif de Saint-Barthélemy était de sortir de l’espace communautaire pour obtenir une plus grande autonomie fiscale.
Les choix de l’intégration ou non à l’espace communautaire dépend du contexte régional, de la structure économique du territoire, de son niveau de développement, de sa démographie.

Les îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy se sont détachées de la Guadeloupe en 2007, à la suite d’un référendum, pour devenir des collectivités d’outre-mer (COM).

Pour comprendre les outre-mers, il faut connaître le legs de la colonisation

L’Europe possède 40 millions de km² de territoire colonial en 1940. Ce passé colonial se traduit aujourd’hui par des contestations.

Des ZEE sont donc contestées par des pays voisins, ex-colonies européennes. Tromelin, au Nord de la Réunion est revendiquée par l’Ile Maurice. Au Nord du canal du Mozambique, Mayotte et sa ZEE sont source de tension avec les Comores. Les îles Éparses (Juan de Nova, Bassas da india, Europa) sont revendiquées par Madagascar. Enfin, la revendication par le Vanuatu des îles Matthew et Hunter (rattachées à la Nouvelle-Calédonie) constitue un dernier exemple.

La question des autodéterminations demeure un point sensible. Aux antipodes de l’Union européenne, la Nouvelle-Calédonie et le Groenland sont entrés dans un processus d’autodétermination.
Le 4e épisode de la saison 1 de la série danoise Borgen (2010) est symptomatique de la mauvaise conscience vis-à-vis du Groenland.

Dans les accords de Matignon (1988), plusieurs référendums d’autodétermination avaient été prévus. Pour donner des gages aux indépendantistes, il avait été indiqué que dans le cas où le oui l’emportait dès le premier référendum, l’indépendance serait acquise. En 2018, le non l’emporte avec 56,7 %. En 2020, le non obtient 53,3 %. Les résultats des deux premiers référendums sont perçus par les non-indépendantistes comme des défaites, alors que pour les indépendantistes, cela marque des victoires, dans la mesure où l’on pensait que l’écart serait plus important.
Si le non l’emporte à nouveau lors du troisième référendum (12 décembre 2021), il faudra sortir du statut actuel qui est transitoire et dérogatoire.

En 1995 la population des Bermudes a rejeté l’indépendance à 73 %.

Que faire des outre-mers ?

L’exemple des outre-mers néerlandais (Aruba, Curaçao, Sint Maarten) est significatif de la balkanisation de ces territoires. En 1986, Aruba s’est détachée des autres Antilles néerlandaises.
Le 10 octobre 2010 (les « trois dix »), on assiste à la dissolution des Antilles néerlandaises. Quatre états fédérés (autonomes) se mettent en place : Aruba, Curaçao, Sint Maarten et le territoire européen (divisé en 12 provinces). Trois (communes) îles à statut particulier, Bonaire, Saba et Sint Eustatius, forment les Caribisch Nederland, et sont intégrés au territoire européen néerlandais.
La gabegie et la corruption qui règnent sur Saint-Eustache expliquent sa mise sous tutelle et la dissolution du gouvernement local en février 2018.

On peut observer des ressemblances et des différences avec la France d’outre-mer : la créolité (arrière-plan colonial), la dispersion géographique, la forte émigration vers la métropole, les changements de statuts pour essayer de résoudre des problèmes d’intégration. Cependant le dialogue reste difficile entre la métropole et les îles, car les objectifs sont opposés. La métropole souhaiterait une transition concertée vers l’indépendance. L’identité insulaire antillaise néerlandaise ambitionne plus d’autonomie en faisant toujours partie du royaume. Tandis que le gouvernement recherche plus de centralisation.

Le rejet de l’indépendance ou le choix difficile des sociétés post-coloniales

Les Néerlandais de métropole souhaiteraient se séparer de ces territoires antillais (à 61 % selon un sondage).
Le maintien au sein du royaume des Pays-Bas suppose un soutien financier, l’intégrité territoriale, des garanties pour la sauvegarde de la démocratie, et une supervision administrative. Mais il apparaît par ailleurs un refus d’une « recolonisation » par la présence accrue de cadres néerlandais.
Un sondage de 2016 montre que la majorité de la population de ces îles se sent très mal considérée par les Pays-Bas.
Le problème d’intégration se traduit par des salaires plus bas.
On remarque une montée des populismes de deux côtés de l’Atlantique.

Ambiguïté d’une décolonisation à géométrie variable

La France d’outre-mer rassemble 2,8 millions d’habitants. Les différentes entités ultramarines ont des tailles différentes.
Jusqu’en 2003, on distinguait DOM et TOM. Le référendum constitutionnel de 1958 a montré que l’outre-mer a largement voté contre l’indépendance, sauf en Polynésie française. La loi-cadre Deferre de 1956 prévoyait de donner une grande autonomie à certains territoires d’outre-mer du Pacifique. La doctrine de la Ve république sur leur statut n’était pas encore définie.

Des statuts à la carte : 5 DOM, 5 situations différentes

La Réunion est un DROM sans possibilité d’adaptation législative (refusée en 2003), contrairement aux autres DOM. Mayotte est un DOM mais pas une région. La Guyane est une collectivité territoriale unique qui dispose d’une assemblée et d’un président. La Martinique, à l’image de la Corse, dispose d’une séparation des pouvoirs délibératif et exécutif.

Une grande diversité de collectivités d’outre-mer (COM) apparaît aussi. La Polynésie française se démarque par son autonomie. Les autres n’en sont pas dotées, mais relèvent de l’identité législative (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon) ou de la spécialité législative (Wallis-et-Futuna).

La prise en compte de l’autochtonie a été la plus forte en Nouvelle-Calédonie

Une justice coutumière a vu le jour à Nouméa, où 7 nouveaux assesseurs ont prêté serment en 2019. Elle s’applique au droit civil (adoption, filiation, mariage, divorce, régime matrimonial, succession). Le droit pénal et le droit du travail restent le domaine de la loi de la métropole
Le sénat coutumier est une institution ethnique au sein de la République, où ne siègent que des hommes. 16 sénateurs (deux par aires coutumières) délibèrent sur les lois du pays intéressant l’identité kanak.
La règle des « quatre i » s’applique dans le domaine foncier, afin de garantir une terre « inaliénable, insaisissable, incommutable et incessible ».

A l’opposé, les Amérindiens de Guyane sont tenus à l’écart de l’article 75 de la Constitution (« Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé »). Ils ne bénéficient donc pas de statuts coutumiers (pour le respect de leurs terres par exemple). Certes leur poids démographique et leur représentativité sont faibles (10 000 personnes sur 300 000 habitants vivant en Guyane).

La France n’a jamais ratifié la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation du travail (1989), unique texte vraiment contraignant concernant ces populations.

La présence des ultramarins en métropole

L’arrivée des ultramarins commence surtout dans les années 60. Cela correspond à la mécanisation de la canne à sucre, qui s’accompagne d’émeutes violentes. Pendant cette période des Trente glorieuses la France a besoin de main-d’œuvre. Les Antillais sont arrivés en premier, surtout concentrés en Ile-de-France (282 000 en 2008). Quelques années plus tard, les Réunionnais s’installent dans les grandes métropoles du Sud (108 000 en province en 2008).

On constate une surreprésentation des ultramarins dans l’Armée : 8 % des engagés (Nombreux Tahitiens à Toulon et à Brest).
On note aussi une forte présence des ultramarins dans le personnel pénitentiaire. Les Domiens représentent la moitié des nouvelles recrues en Ile-de-France. La proportion des ultramarins est passée de 6 % en 2008 à 30 % maintenant, sur les 27 000 surveillants.

L’enjeu du vieillissement de la population va se traduire par la prise en charge des personnes âgées. Les effectifs scolaires chutent dans les Antilles (à l’inverse de Mayotte ou de la Guyane). Par opposition, l’Ouest guyanais est en pleine explosion démographique.

Des inégalités sociales marquées dans la France d’outre-mer

Dans l’Ouest guyanais, 73 % de la population n’a pas de diplôme (29 % en métropole). D’autres indicateurs sont révélateurs des difficultés : 66 % de la population est sans activité professionnelle (10 % en métropole), 35 % des logements sont sans électricité (moins de 1 % en métropole).

Les bénéficiaires du RSA (en 2017) se situent entre 21 et 26 % dans les DROM (contre 4 % en métropole). En 2016, les bénéficiaires de la CMU-C s’élèvent à 38 % en Guyane et 37 % à la Réunion (contre 7 % en métropole). Guadeloupe et Martinique sont autour de 25 %. Le chômage est bien plus élevé qu’en Europe. La moitié des femmes à Mayotte souffre d’obésité, ou de surpoids.
Le diabète concerne 1/5 de la population polynésienne française.
Les boissons vendues en outre-mer sont bien plus sucrées que celles de la métropole, entraînant de ce fait des addictions.

 

On pourra se référer utilement au compte-rendu de la conférence de Jean-Christophe Gay au FIG 2018, intitulée « Les outre-mers européens : passé, présent, futur », à l’occasion de la publication à la Documentation photographique d’un numéro portant sur ce sujet.

Eric Joly pour les Clionautes