La Covid-19 agirait comme un catalyseur des relations internationales. Il accélère et  amplifie des tendances géopolitiques  jusqu’alors latentes, il révèle des caractéristiques du monde qui est le nôtre. Alors quel pourrait être l’impact du virus sur la politique internationale ? 

Michel FOUCHER est géographe, ancien ambassadeur, et titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMHS). Il est l’auteur de « Le retour des frontières » (CNRS, 2016) et d’un récent numéro de la Documentation Photographique pour le thème éponyme du programme de 1ère HGGSP. 

Harendt : avait dit : « Les constructions des futurologues ne sauraient se vérifier que dans un monde où rien d’important ne se produit » (1972)

Que savons-nous ? Qu’est-ce que nous ne savons pas ? Que peut-on anticiper ?

Climat ? Quel est en fait le climat géopolitique de l’après-confinement ?

Les faits :

  • la rapidité de la propagation : 400 morts /j au printemps, 5000 morts /j en été.
  • Un espace mondialisé : 700 000 voyageurs de Chine aux EU. 3 millions de voyageurs rentrés aux EU avant la décision d’arrêter le flux aux frontières. La pandémie est déclarée officiellement en janvier à Wuhan. Elle a vraisemblablement commencé en aout. Premier cas déclaré aux Etats-Unis le 23 janvier à Seattle.

Ce que nous ne savons pas 

  • la 2nde vague (« double hit ») va tuer l’économie. 
  • Il y a opacité sur les vaccins et la méthodologie. 
  • Le nombre de morts en Chine ?
  • Le rôle joué par l’OMS, son directeur (et l’équipe éthiopienne) et ses liens avec la Chine. 
  • L’épargne est devenue élevée, et ça risque de durer…
  • La plupart des sous-traitants sont étranglés. 
  • Le plan de relance suppose des arbitrages sur les secteurs qui sont d’avenir et ceux qui seront sacrifiés.
  • L’inconnue de l’élection américaine. Le Trumpisme va de toute façon survivre à Trump.
  • Le projet de J.Biden envers l’Europe en cas de victoire aux élections.

Ce que nous savons 

  • La pandémie est moins liée à la mondialisation économique qu’à la forte circulation : 4,3MM l’an dernier dont 30% en low cost. Depuis 622 c’est la 1ère fois que le pèlerinage de la Mecque n’a pas eu lieu. La grande intensité de ces phénomènes connaîtra un coup d’arrêt. Airbus, une des grandes réussites du mécano européen va en payer le prix. 
  • Les bonnes décisions ont été prises y compris en Afrique de l’Ouest ou en Arabie qui avaient l’expérience du SRAS ou d’Ebola.
  • Depuis 1945 nous vivons une pandémie par décennie (ce qu’on a cherché à oublier). 
  • Les tensions très fortes USA / Chine étaient déjà fortes avant la pandémie ; celle-ci les aggrave. 
  • Nous vivons la plus forte régression économique en temps de paix.
  • Les États se sont fortement réengagés y compris les plus libéraux. On tourne le dos au marché, ce sont les Etats qui vont choisir les priorités : exemple, aller vers la transition énergétique mais des mines de charbon resteront ouvertes pour préserver l’emploi.
  • 8000 milliards de dollars vont être nécessaires pour contrer les effets de cette pandémie.

Ce que nous pouvons anticiper 

  • La dernière pandémie H1N1, ce furent 30 000 morts sans confinement. 
  • La santé devient prioritaire face à l’économie. 
  • La distanciation numérique favorise les GAFAM. La globalisation va perdurer en devenant virtuelle.
  • La mondialisation des chaines de valeur a par contre montré ses limites. Roselyne Bachelot avait raison mais trop tôt, ce qui a été vu (et moqué) à l’époque comme un excès du principe de précaution. On sait que la production chinoise est la plus rapide au prix d’une intégration forte des processus de production et d’un système dictatorial. Il ya des opportunités pour la réindustrialisation d’espaces désindustrialisés notamment en France.
  • On se déniaise vis à vis de la Chine et de la vieille fascination depuis les conquêtes coloniales de l’Indochine qu’exerce l’immense marché chinois. 
  • Des besoins massifs deviennent prioritaires pour les États : Protection des données industrielles, moyens à l’éducation et à la santé, au grand âge, transition énergétique…

Selon Jean-Yves le Drian, le monde d’après sera bien pire. Aura-t-il raison ?

Ce que peut être la vision géopolitique de l’après-Covid :

  • les USA sont absents. Le multilatéralisme est détruit, les organisations internationales, ils les ont quittés.
  • Retour à la diplomatie westphalienne des États. Le protectionnisme, le nationalisme peuvent revenir car il n’y a plus de réponses coordonnées.
  • Les régimes autoritaires ont menti sur la pandémie. Les régimes « fanfarons » EU, Brésil, n’ont pas pris la pandémie au sérieux.
  • Une nouvelle Guerre froide ? Non, l’interdépendance est trop forte. 450 MM de $ d’échanges et 300 MM de dettes US détenue par les bons du Trésor chinois. N’oublions pas qu’en 2001, ce sont les USA qui ont permis l’entrée de la Chine dans l’OMC afin que la production à bas coût augmente le pouvoir d’achat des salariés US. 
  • La marine chinoise arrive au niveau de l’US Navy en terme de matériel, mais son expérience en matière de commandement est faible. Là comme ailleurs, à force égale, l’expérience humaine fait la différence. Les Chinois y compris leurs dirigeants restent fascinés par le modèle américain. 380 000 étudiants chinois étudient aux USA et le FBI leur prend leur portable quand ils rentrent. La fille de Xi étudie à Harvard. Les princes rouges ont leurs enfants dans les universités US et leurs comptes en banque à Hong-Kong ou Singapour.
  • C’est la rivalité technologique qui permettrait à la Chine de concurrencer vraiment les USA en développant des modèles alternatifs aux GAFAM et en contrôlant les organisations internationales dont les USA se retirent. D’où la mise sous boisseau de Huawei. Sans le virus, Huawei se serait installé en Europe, au nom de la compétitivité…
  • Trump va garder à tout prix le pouvoir, y compris en faisant appel à l’armée. Si l’élection dégénère en chaos, ce sera une perte immense de crédibilité pour les démocraties face aux régimes autoritaires ou illibéraux
  • Pour comprendre pourquoi l’unilatéralisme US est appelé à durer, il faut admettre que le président est au moins en accord avec une société US qui est lassée des guerres et des interventions militaires incessantes depuis 45. 
  • La diplomatie de l’Europe s’est arrêtée avec le Covid. Il fallait récupérer les touristes et expatriés. D’autres conflits en ont profité pour se rouvrir : Inde et Chine : L’Inde est le seul pays sans accord de frontières avec la Chine (qui en a avec tous ses autres voisins). Les racines viennent du conflit frontalier de 1963, mais aussi de l’hébergement des moines tibétains en Inde et de l’encerclement de l’Inde via le Pakistan et le collier de perles des bases militaires chinoises de l’Océan Indien. L’élection du futur Dali-Lama va également peser. Hong-Kong, c’est fini à terme ; les Ouigours se voient attribuer des cousins chinois et la mer de Chine voit ses îlots contestés bétonnés et armés par la marine de Pékin. 
  • Le Sultan turc conteste les zones maritimes en Méditerranée, en brandissant le concept de « Patrie bleue », sorte de remise en cause du traité de Lausanne qui consacrait toutes les iles à la Grèce, en échange de l’expulsion de 2M de Grecs continentaux. Le pétrole en Méditerranée orientale ? Les Turcs n’en ont pratiquement pas : il est égyptien et israélien. Ankara soutient et pousse les Azéris pour obtenir un corridor turc vers l’Asie centrale turkmène. Retour au monde turc.
  • La Russie adore les conflits gelés : Géorgie, Ukraine, et le Bélarus.Le langage du corps en dit long par exemple sur la dégradation des relations entre Poutine et Loukachenvko, passé de dirigeant-frère à Sotchi à élève prenant des notes en écoutant le maître du Kremlin… et du monde russe qui se reconstitue, en alternative à Washington et à Bruxelles.

Le système est paralysé : le « grand acteur » n’en veut plus. Diplomatie contre force. Le prix qu’on paie, c’est le retour des empires autoritaires et le recours à la force dans les relations internationales. 

Une note d’espoir : les Européens et notamment le couple France/Allemagne a pris conscience de l’idée de souveraineté européenne (sanitaire, économique, technologique, militaire). La solidarité retrouvée ne fait plus regretter le Brexit car les Britanniques auraient torpillé tout projet commun. Notons que la santé n’est pas une compétence européenne mais les intérêts européens sont maintenant partagés : le sommet UE-Chine a été « franc » notamment sur les transferts de technologie imposés par les Chinois et les questions des droits des minorités. On sait ce que ça veut dire quant les diplomates parlent d’un sommet « franc »… Pour être un acteur international, il faut connaitre ses frontières et savoir où commence l’extérieur : il n’y a plus de place pour la Turquie dans l’UE et la Biélorussie est et restera dans l’espace russe (Poutine eut comme projet d’annexer la Biélorussie). Mais il faut proposer autre chose, des partenariats économiques ou de sécurité, afin d’éviter par la diplomatie les conflits à venir.