Selon Jean-Robert Pitte, le territoire est ce que nous (habitants) en ferons. Il veut dire par là qu’il n’y a pas de fatalité à une situation et que l’avenir n’est en aucun cas écrit. Alors même que le terme qualifie en premier lieu un des fleurons de la gastronomie française, le mille-feuille, lorsque l’on parle de gouvernance a pris, selon lui, un sens très négatif.

Jean-Robert Pitte est membre de l’Institut (secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences Morales et Politiques) et président de la Société de Géographie.

Il déplore cette représentation en insistant sur le fait que la complexité du territoire français est très ancienne et qu’elle est une traduction spatiale de notre histoire. Ainsi, avec l’aide de cartes historiques, il passe en revue les enchevêtrements de petits royaumes, républiques, comtés, monarchies, principautés et autres enclaves qui parsemaient le territoire français. Selon lui, les limites de ces territoires n’existent que parce qu’elles traduisent spatialement un sentiment d’appartenance et d’identités partagées entre les individus appartenant à une ou plusieurs communautés.

Il n’y aurait donc pas de grands bons territoires et de petits mauvais territoires. Si bien que la loi de nouvelle organisation des territoires de la République (loi NOTRe) ayant pour objectif de créer des régions suffisamment grandes pour exister face aux Länder allemands serait une hérésie.

Agglomérations et  départements, empreintes des tribus gauloises aux temps de la Gaule chevelue

À la suite de ce propos introductif, Jean-Robert Pitte s’engage dans une histoire accélérée des territoires :

Les principales agglomérations et les départements seraient l’empreinte des tribus gauloises aux temps de la Gaule chevelue, puis de la Gaule romaine.

C’est entre 987 et 1483 que se constitue le territoire national autour d’une identité et d’une histoire française construites à partir de la dynastie des Capétiens. Il dit ainsi: « on a donné une histoire aux Français à laquelle ils ont cru », « il s’agit là d’un mythe vivant dans un imaginaire collectif et heureusement ». Toutefois, cette interprétation serait selon lui contestée par P. Boucheron.

36 000 communes fruit d’une double organisation

Enfin, nos 36 000 communes seraient le fruit d’une double organisation : d’une part, les relations de vassalité et de l’autre, l’émergence des paroisses. Avant l’an 1000, le territoire était organisé autour des évêchés. À partir du XIe siècle, le territoire se maille de paroisses et de seigneuries, plus ou moins fusionnelles. C’est à partir de ce moment-là que l’image d’un village constitué autour d’un château et de son église apparaît.

Les communes deviennent le lien entre les habitants d’un territoire. C’est là que l’on s’y rencontre, que l’on s’y réfugie et  que s’exprime la culture populaire. Depuis ces temps reculés, les choses n’auraient pas beaucoup changé.

À la suite de ces considérations historiques, Jean-Robert Pitte insiste sur la nécessité de gérer la ruralité en y maintenant, voire en y développant, les services, à l’image des pays scandinaves. Pour appuyer son propos, il dit que si les trois quarts des Français habitent la ville, les trois quarts du territoire français reste rural. Cette nécessité se double d’une urgence dans la mesure où le monde rural aurait été délaissé par la DATAR au cours des dernières décennies.

Favoriser la coopération intercommunale plutôt que le regroupement en EPCI

Pourtant, les périphéries des agglomérations ont des campagnes dynamiques qu’il faut soutenir. Pour cela,  Jean-Robert Pitte préconise de favoriser la coopération intercommunale plutôt que le regroupement en EPCI. Ainsi, une commune pourrait choisir de mutualiser ses moyens de gestion de l’eau avec telles communes et sa gestion des déchets,  par exemple, avec une autre. Selon lui, à l’instar de la loi NOTRe, les établissements publics de coopération intercommunale ne sont qu’un moyen détourné de fusionner les communes. Il dit d’ailleurs qu’il ne faut pas à tout prix agir sur les densités (bâti, population…) pour les augmenter car elles traduisent, à l’instar des limites des territoires, une histoire et une culture.

En parlant des adjoints communaux et autres fonctionnaires et contractuels, Jean-Robert Pitte estime à 600 000 Français qui travaillent presque bénévolement pour l’État. Or, la superposition de dispositifs en tout genre visant à les regrouper les noie sous de la paperasse, ce qui tue l’initiative des communes. Par ailleurs, diviser le nombre de communes, c’est diviser par deux le nombre de ces âmes charitables pourtant indispensables. Ains,i la réorganisation des territoires serait une gageure économique.

Dans un même élan, il invite chacun à mettre les mains dans le cambouis, c’est-à-dire s’engager, que ce soit politiquement, dans sa commune ou  dans une association. L’essentiel, c’est que l’action se passe sur le terrain et localement.

Il enchaîne en disant que si les Français détestent le pouvoir, c’est sans doute à cause d’un échec de l’Ancien Régime. Le Roi-Soleil en développant une culture de Cour a coupé la noblesse de sa base rurale. De fait, les Français considèrent le pouvoir comme lointain et source d’ennuis.

Le mille-feuille territorial français dans toute sa complexité, voire ses découpages irrationnels, est utile

Il conclut son propos en exhortant chacun à réfléchir au sens que l’on donne au territoire, en prenant pour exemple le département de la Seine-Saint-Denis. Les jeunes en se disant du 9-3, exprime à la fois un attachement au département et un élément identitaire. Bien que cet espace semble tout à fait improbable dans sa construction. Ainsi, le mille-feuille dans toute sa complexité, voire ses découpages irrationnels, est utile. A contrario, les régions n’ont pas beaucoup de sens, d’ailleurs preuve en est le budget de certaines régions qui est inférieur à celui de certains départements…

© Adrien BEREND & Pauline ELIOT, pour les Clionautes