La rue politique – Espace de rencontre, de discussion, de confrontation – Un contre pouvoir

Sous la conduite de Étienne Augris rédacteur de la revue l’éléphant, les trois intervenants ont apporté un éclairage spécifique mais complémentaire sur cet espace que constitue la rue, ce qui amène à une lecture des paysages urbains.

L’écrivain libanais, Camille Aamoun a raconté dans son ouvrage, octobre Liban, sa perception de la rue à Beyrouth, au moment de la révolution d’octobre 2019. La rue est devenue un lieu de rencontre, un espace de confrontation, et si la pandémie semble avoir réduit l’impact du mouvement, il persiste, à moins qu’il n’espère, que les changements qui ont été amorcés par la rue libanaise, dans sa lutte contre la corruption de son personnel politique, ne resteront pas vains.

L’écrivain s’est intéressé à la psycho géographie, redécouverte par le Britannique Ian Sinclair, reprenant les travaux de Guy Debord. Lors de la manifestation géante du 17 octobre 2019, il y a eu une réappropriation de la rue par la population.

Parallèlement à cette réflexion sur Beyrouth, l’écrivain a poursuivi ses pérégrinations littéraires dans les rues de Dubaï. Nous avons été très sensibles à sa réflexion sur la tentative de reconstruction de Beyrouth, que les entreprises se livrant à la spéculation immobilière ont voulu transformer en copie de la ville de Dubaï. Les constructions n’ont pas été achevées, et paradoxalement il y a eu à partir de 1990, plus de destructions liées à cette reconstruction urbaine qu’à la guerre civile, dans certains quartiers.

Par opposition, Dubaï, la ville créée à partir du désert s’est inventée comme une cité échappant à ses gratte ciels écrasants. Les urbanistes ont voulu inventer des ruelles, des échoppes et des rez-de-chaussée, mais cela apparaît également comme un échec.

David Lebreton, le sociologue du corps, se présente comme un marcheur, qui arpente aussi bien les forêts des Vosges, que les rues des cités. Il aborde, dans les espaces urbains, ces nouveaux espaces comme les pistes cyclables, et depuis la pandémie, l’irruption des nouvelles mobilités, les fameuses trottinettes électriques qui échappent pour l’instant à la codification des usages de l’espace public que constitue la rue.

Pascal Blanchard, historien de la colonisation et des décolonisations, a été chargé par le président de la république d’animer la commission permettant de proposer des noms aux maires pour qu’ils puissent prendre en compte la diversité de la France. Plus de femmes, plus de personnes issues des territoire ultra marins, Emmanuel Macron espérait ainsi introduire plus de variété. La commission a pris en compte 3000 propositions de noms, et la liste finale en compte 318.

 

Le long de la rue, pour les habitants d’un quartier, semblent constitutifs de leur identité. Le long de la rue se trouve sur leur adresse, sur leur carte de visite, et il constitue un symbole fort. On passera sur les noms de rue trouvée par les promoteurs, lorsqu’ils aménagent un lotissement, qui reste, du moins pendant un temps, un espace privé. Cela explique les nombreuses rues des primevères et autres allées des myosotis.

Les rues s’inscrivent dans une temporalité politique, celle du passé, mais aussi, on pourrait dire surtout, celle du présent. À cet égard le nom des rues à Beyrouth peut changer selon le quartier traverser. La rue de Tripoli qui traverse la ville s’appelle successivement rue d’Arménie, en raison de la présence d’une communauté installée sur place, composé de rescapés du génocide. Elle devient la rue Gouraud, le nom d’un haut-commissaire du gouvernement français, pendant la période où le Liban a été un mandat de la société des Nations confiées à la France. Elle termine en s’appelant rue Émir Béchir, du nom du premier chef d’État du Liban indépendant. Dans le cas du Liban, multi confessionnel, divisé en communautés, le consensus semble difficile à atteindre, et un patronyme choisi dans un quartier, peut représenter une provocation pour les habitants du quartier voisin.

La question de la dénomination des rues suscite de nombreuses questions car l’espace n’est pas neutre. L’introduction de la diversité constitue évidemment un enjeu politique, mais Pascal Blanchard a dit clairement que pour ce qui le concernait il n’était pas question de suivre les comportements extrêmes de certains courants dont la tendance s’exprimait par le déboulonnage des statuts. De son point de vue il convient surtout de rajouter, d’expliquer, mais de ne jamais détruire.

La partie des questions au public nous a permis de rappeler qu’en matière de remplacement, il existe à Béziers, comme dans de nombreuses villes de l’art méditerranéen, une tendance à commémorer de façon assez discutable les souvenirs de l’Algérie française. C’est ce qui a été fait à Béziers avec le changement du nom de la rue du 19 mars 1962 remplacé par celui du commandant Héliée Denoix de Saint-Marc, un grand soldat, qui ne méritait sans doute pas une telle instrumentalisation.

La rue politique a permis également d’exprimer le point de vue de l’appropriation des espaces publics par certains types de comportements qui mettent les femmes dans une position d’insécurité. À cet égard, une évolution du cadre législatif semble indispensable.

La conclusion de cet échange qui s’est déroulé dans le cadre de la cathédrale de Saint-Dié a été de considérer que la rue est un espace de contre-pouvoir, et que contrairement à ce que l’on croit aujourd’hui, ce ne sont pas les actions à partir des écrans qui permettent de faire avancer les choses. La rue devient alors un espace de rencontres, de discussions, parfois de confrontation.

Parmi les regrets que l’on a pu exprimer, en rédigeant ce compte rendu, la question de l’appropriation de certains types d’espaces comme les ronds-points par les gilets jaunes, n’a pas été évoqué. Peut-être aurait-il fallu poser la question ?

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