Assassin’s Creed : Unity est le 8e épisode principal de la célèbre franchise Assassin’s Creed développée par la société Ubisoft. Sorti en 2014, ce jeu d’action-aventure transporte le joueur dans la France révolutionnaire. Le jeu commence à Versailles le jour de l’ouverture des États Généraux. Le héros, Arno, se retrouve au cœur de la Révolution Française. Mais aujourd’hui, il n’est pas question d’utiliser le jeu mais plutôt un objet commercial : la bande-annonce du jeu.

Un jeu qui a fait polémique

Peut-être est-il nécessaire de rappeler que le jeu Assassin’s Creed : Unity a créé de vives polémiques en France. Vous retrouverez derrière ces liens les éléments essentiels qui n’intéressent qu’à la marge cette activité :

  • http://www.leulier.fr/286-ce-que-nous-apprend-la-polemique-sur-assassins-creed-unity/
  • https://www.lemonde.fr/jeux-video/article/2014/11/13/assassin-s-creed-unity-est-un-jeu-video-grand-public-pas-une-lecon-d-histoire_4523111_1616924.html

Assassin’s Creed : Unity est une fiction historique. La réponse de Jean-Clément Martin et Laurent Turcot, consultants historiques sur le titre d’Ubisoft, est éclairante. Dans leur livre Au coeur de la Révolution. Les leçons d’histoire d’un jeu vidéo (édition Vendémiaire, 2014), les deux historiens interprétaient le jeu comme une œuvre de fantasy qui s’inscrivait dans une lecture jacobine de la Révolution Cf mon compte-rendu disponible sur la cliothèque : https://clio-cr.clionautes.org/au-coeur-de-la-revolution-les-lecons-dhistoire-dun-jeu-video.html.

Pour reprendre les mots de Roger Chartier :

« L’historien cherche à situer et à interpréter l’oeuvre dans le temps et à l’inscrire la croisée de deux lignes de force : l’une verticale, diachronique, par laquelle il relie un texte ou un système de pensée à tout ce qui les a précédés dans une même branche d’activité culturelle, l’autre horizontale, synchronique, par laquelle l’historien établit une relation entre le contenu de l’objet intellectuel et ce qui se fait dans d’autres domaines à la même époque »Définition de Roger Chartier, 1998, [1983], p. 59-60, empruntée à Carl E. Schorske (Vienne fin du siècle. Politique et culture, Paris, Le Seuil, 1983 (1979))

Tout cela nous rappelle à notre méthode ! Analyser un jeu, c’est avant tout analyser une oeuvre culturelle produite dans un contexte précis.

Mais cela n’excuse pas tout. C’est vrai, le jeu contient de nombreuses erreurs factuelles. Vous trouverez des pistes de réflexions dans les premières vidéos de ma chaîne Youtube. Vous excuserez j’espère la mauvaise qualité de l’image et du son :

  • une analyse des erreurs chronologiques :

  • une analyse des erreurs concernant la ville de Paris et les parisiens :

Mais ce n’est pas le jeu en lui même qui nous intéresse ici. Revenons à la bande annonce !

La bande annonce de l’E3, un document d’histoire ?

La bande annonce promotionnelle du jeu à été officiellement dévoilée lors de l’Electronics Entertainment Expo (E3) au mois de juin 2014. Elle a ensuite été largement diffusée à la télévision et sur Internet.

Le mieux est de la regarder :

Cette bande-annonce nous présente la prise de la Bastille d’après les canons de la franchise Assassin’s Creed. Les Assassins (héros du jeu) suivent l’action de la foule et facilitent l’événement. Il faut noter l’absence totale de paroles ou de textes (si ce n’est l’annonce commerciale à la toute fin de la vidéo). Le public visé est donc un public mondialisé qui peut comprendre la vidéo par les images vues et les émotions ressenties.

Elle a été réalisée par Digic Pictures, studio d’animation 3D basé à Budapest. Ce ne sont pas scénaristes du jeu qui ont été à la manœuvre, mais un studio externe (en charge des bandes annonces de tous les titres de la franchise) dirigé par l’équipe marketing. L’objectif principal de cette vidéo est de présenter le jeu et de convaincre un public ciblé d’acheter le jeu.

Pourquoi les équipes marketing ont-elles choisies cet événement pour présenter le jeu ? L’événement du 14 juillet 1789, est-il correctement représenté ? Autant de questions intéressantes à soumettre à nos élèves.

Grâce à cette activité, il est possible d’aborder la portée de l’événement et la mémoire du 14 juillet 1789. Mais parce qu’il y a des « erreurs » ou des « oublis », on peut aborder l’aspect fantasy de cette vidéo.

L’événement version Assassin’s Creed

D’après cette bande-annonce, les assassins (confrérie qui regroupe les défenseurs du libre arbitre depuis des temps anciens) permettent au « peuple » de prendre d’assaut la Bastille. Cette dernière est fortement gardée par de nombreux soldats et le commandant qui depuis le sommet contemple la ville de Paris à défendre. La musique et l’ambiance renforcent la tension visible à l’écran entre le peuple et les soldats.

Les parisiens campent sur leur barricade alors que les soldats tirent sur eux. La musique s’accélère au moment où les parisiens décident de lancer l’assaut contre la Bastille. Les quatre assassins suivent le mouvement. Deux d’entre eux ouvrent le pont-levis par lequel s’engouffre la foule armée. La bataille fait rage dans la cour intérieure de la Bastille. L’occasion pour nos amis assassins de faire la preuve de leur force et de leurs armes « peu conventionnelles ». Le commandant, totalement dépassé par les événements, menace de faire exploser la forteresse, accompagné de deux gardes. Le groupe d’assassins l’en empêche en neutralisant les gardes et en éteignant la mèche avec style.

Quelques secondes plus tard, les parisiens encercle le commandant qui doit se rendre. La caméra s’élève pour nous montrer les quatre assassins perchés sur les créneaux de la Bastille, contemplant une ville qui reste à sauver…

Une prise « express » de la Bastille ?

Le récit de l’événement s’adresse a des personnes qui le connaissent déjà. Aucun mot ne vient expliquer ce que l’on voit à l’écran.

Les spectateurs n’ont aucune idée de la raison de l’assaut. Si ! me direz vous, les soldats ont tiré sur le peuple, donc le peuple prend d’assaut la prison. La bande annonce met totalement de côté, les raisons politiques de cet événement. Elle ne mentionne pas la recherche d’armes et de munitions. Elle passe également sous silence l’attente devant la Bastille et les négociations entre le gouverneur et les parisiens. D’ailleurs, le gouverneur semble inflexible et prêt à tout pour défendre la forteresse, y compris placer son « armée » en rang devant la porte. La Bastille ressemblent plus à une garnison qu’à une prison d’État « vide ».

Évidemment, l’action des assassins est totalement inventée et est historiquement fausse. Mais c’est elle qui porte le message commercial. En substance, cette bande-annonce annonce aux joueurs : « Vous avez un rôle à jouer dans la Révolution Française ! ». Les assassins (le joueur) ne sont pas à initiative, puisqu’ils attendent l’assaut du peuple. Mais, ils en sont un acteur important, car sans eux l’événement ne se serait pas déroulé de la même manière. Quelle belle promesse. Surtout lorsque l’on sait l’événement n’est pas jouable, puisque vous êtes enfermé dans la Bastille avec le marquis de Sade. Fausse promesse du marketing.

Malgré ces défauts, ou plutôt grâce à eux, il est possible de l’utiliser comme document en classe d’Histoire !

Proposition de séquence pédagogique

Cette activité se base sur le jeu vidéo Assassin’s Creed Unity mais ne demande aucune maîtrise du jeu. Tout au plus est-il nécessaire de connaître le contenu du jeu, de la franchise et les polémiques qui ont pu exister autour de ce jeu. Cette proposition n’a pas été testée en conditions réelles. Des ajustements sont surement nécessaires. Vos retours sont les bienvenus.

Niveau d’enseignement :

Quatrième (Thème 1 – Le XVIIIe siècle, expansions, Lumières et révolutions / Chapitre 3 – La Révolution française et l’Empire : nouvel ordre politique et société révolutionnée en France et en Europe.

Durée :

2 à 3 heures. Ce travail comporte 5 étapes dont deux sont optionnelles, en fonction des compétences que vous souhaitez faire travailler à vos élèves OU du temps que vous souhaitez consacrer au chapitre. Il est préférable de se rendre en salle informatique, même si elle me semble réalisable en classe « normale ».

Objectif :

Cette séquence pédagogique cherche à faire construire un récit de la prise de la Bastille. Les élèves critiqueront le récit proposé par la bande-annonce à l’aide de documents sources.

Compétences travaillées :

  • Lire, utiliser, critiquer, construire une ressource numérique
  • Se repérer dans le temps : construire des repères historiques
  • Comprendre et utiliser des textes
  • (optionnelle) Rédiger un récit ou un développement construit

Notions-clés / Repères :

  • 14 juillet 1789 : Prise de la Bastille
  • Représentation / Mémoire

Déroulement de la séquence :

Distribution à chaque élève d’une fiche consigne et d’une carte mentale (imprimée en A3 pour une meilleure manipulation)

Fiche consigne élève
Carte mentale – Récit de l’événement

Vous pouvez retrouver l’activité sur Pearltrees à cette adresse : https://www.pearltrees.com/williambrou/etudier-bastille-assassin/id25518750

  • Étape 1 : 1er visionnage de la bande annonce

Les élèves visionnent une première fois la bande-annonce. Ils répondent à quelques questions afin d’exprimer leur ressenti et émettre une hypothèse de travail.

1) Que penses-tu de cette bande-annonce ? (la mise en scène, la musique, etc…)

2) Hypothèse de travail : D’après toi, le récit de la prise de la Bastille est-il réaliste ? Justifie ta réponse.

  • Étape 2 : 2ème visionnage 

Les élèves visionnent une deuxième fois la bande-annonce. Ils décrivent le déroulement de l’événement (question 3)

Les élèves complètent les cases correspondantes à chaque scène sur la carte mentale.

  • Étape 3 – La prise de la Bastille s’est-elle déroulée comme le présente la bande annonce ?

Dans cette étape, les élèves manipulent des documents sources pour confirmer ou infirmer les informations vues dans le jeu (question 4)

Les documents mis à leur disposition sont :

    • Témoignage de Louis de Flüe, chef des mercenaires suisses en poste à la Bastille, 1789.
    • Extrait de Les Révolutions de Paris, n°1, vers le 19 juillet 1789
    • Extrait de Journal politique national, n°8, vers le 28 juillet 1789
    • Prise de la Bastille par le peuple parisien, Huile sur toile, fin du XVIIIe siècle, Musée Carnavalet, Paris.
    • (optionnel) Extraits de Gazette nationale ou le Moniteur universel 23 juillet 1789

Le professeur pourra apporter des compléments d’informations. Par exemple, l’inexistence des drapeaux rouge et bleu tels qu’on les voit dans les rues de Paris le 14 juillet 1789.

Pour conclure cette étape, il me semble important de faire compléter la carte mentale avec des étapes de l’événement qui permettent de mieux le comprendre. Je pense notamment :

    • La récupération des armes aux Invalides.
    • Les délégations envoyées à l’intérieur de la Bastille pour discuter avec le gouverneur.
    • L’arrivée de six compagnies de la Garde Française avec cinq canons.
    • La libération des sept prisonniers de droit commun.
    • La décapitation du commandant De Launay.
  • Étape 4 – A l’aide de vos réponses, raconte comment s’est déroulée la prise de la Bastille.

Pour cette étape, plusieurs options sont possibles en fonction du temps disponible avec vos classes :

    • option 1 (longue) : Faire rédiger un récit de la prise de la Bastille (compétence travaillée : Rédiger un développement construit)
    • option 2 (courte) : Distribuer un récit correct de la prise de la Bastille. Vous aurez l’occasion de travailler l’écriture du récit plus tard dans l’année.

Le matin du 14 juillet, au moins 40.000 personnes se présentent devant les Invalides pour prendre les armes par la force. Deux forces peuvent les en empêcher, les invalides hébergés aux Invalides, qui disposent d’artillerie et les régiments qui campent sur le Champ-de-Mars, c’est à dire tout près. Ni les uns ni les autres n’acceptent de tirer sur les parisiens, les Invalides se révèlent donc sans défenseurs ! Les émeutiers forcent le passage et s’emparent d’au moins 30.000 fusils. À 10 heures du matin, les parisiens sont armés, mais n’ont pas de munition. On dit qu’il y en a à la Bastille…

La foule se rassemble au pied de la Bastille, armée avec les armes prises aux Invalides. Deux délégations sont envoyées dans la matinée au gouverneur Launay, il les reçoit mais ne leur donne pas satisfaction. En début d’après midi, les défenseurs de la Bastille ouvrent le feu sur les émeutiers qui la menacent. Deux nouvelles délégations sont envoyées au gouverneur, sans plus de succès, tandis que défenseurs et émeutiers se tirent toujours dessus. Cinq des six compagnies du prestigieux corps d’élite des Gardes Françaises entrent dans la révolte. Ils amènent 5 canons des Invalides et les mettent en batterie devant la Bastille.

Le gouverneur finit par accepter la reddition de la Bastille, contre promesse de laisser la vie sauve à tous les défenseurs. Les émeutiers s’emparent de la Bastille. Ils font main basse sur les balles et la poudre. S’attendant à trouver la célèbre prison d’État pleine à craquer de prisonniers politiques, ils sont surpris de n’y trouver que 7 prisonniers de droit commun.

Malgré les garanties qui lui avaient été données, le gouverneur de la Bastille Launay est massacré par la foule. Le prévôt des marchands subit le même sort, et leurs têtes sont promenées au bout de piques dans toute la ville. Ignorant la chute de la Bastille, et voulant apaiser les choses, Louis XVI donne en fin de journée l’ordre d’évacuer les régiments qui campent dans la capitale.

    • option 3 (évaluation) : Il est possible de réaliser une évaluation formative en distribuant un récit de l’événement contenant des erreurs. Vos élèves devant les corriger à l’aide de leurs nouvelles connaissances.
  • Étape 5 (optionnelle) – La mémoire de la prise de la Bastille

Dans le cadre d’un prolongement de la réflexion en EMC (valeurs et symboles de la République), il est possible d’imaginer un travail sur la mémoire de l’événement. C’est d’ailleurs cette piste que j’avais tenté en première intention. J’avais tenté une étude comparée de plusieurs œuvres représentant la prise de la Bastille. L’idée étant de remonter le cours du temps jusqu’à l’événement.

Je pense qu’il est possible d’évoquer la mémoire de l’événement en « magistral » sans mise en activité des élèves. Vous pouvez alors évoquer différents documents et montrer que la bande-annonce d’Assassin’s Creed Unity s’inscrit dans une histoire de la représentation de l’événement. Les différents documents présentent de manière similaire l’assaut de la prison royale.

    • Extrait du film La Révolution française, Les années lumières (Robert Enrico, 1989)

    • Timbre poste de 1971

 

Si cette démarche vous intéresse, je vous invite à consulter les articles suivants : La machine à produits dérivés : la prise de la Bastille et ses souvenirs ou Le 14 Juillet en peinture, images détournées d’un événement.

Conclusion

Comme j’ai pu l’expliquer dans un précédent article sur l’utilisation de Battlefield 1 en classe, cette activité ne doit pas être comprise comme une simple utilisation d’un jeu vidéo pour apprendre l’histoire. Cette activité vise à montrer aux élèves comment un jeu est à la fois le fruit de son temps et le résultat d’une mémoire de l’événement.

Cette activité a le mérite de faire travailler les compétences d’analyse de l’image et exercer les élèves au maniement de documents sources dans le cadre d’une critique des images. Il s’agit bien d’un travail complexe en lien avec l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI).