François Bost est professeur spécialiste de l’Industrie enseignant à l’université de Reims. Assez peu de géographes travaillent sur la géographie industrielle et peu de femmes selon lui.

Christian Pierret est l’ancien maire PS de Saint Dié, fondateur du FIG et a été chargé de l’industrie au ministère en 2002.

Anaïs Voy-Gillis est une doctorante qui fait sa thèse CIFRE sur les déterminants de la réindustrialisation de la France avec une dimension géopolitique puisqu’elle est à l’institut français de géopolitique, en lien avec Hubert Kirchner.

Hubert Kirchner est Partner chez June Partners, il met un point d’honneur à sauver les sites industriels menacés également.

FB : Entre 2000 et 2016 la production industrielle a diminué tandis que nos voisins outre Rhin l’ont augmentée. La part de la production industrielle dans le PIB  était de 16% en 2000 en France, et aujourd’hui elle n’est plus que de 10% en 2016. Tandis qu’en Allemagne cela a augmenté de 50% sur cette même période. A part le secteur des transports, avec l’aéronautique et le ferroviaire, ainsi que la pharmaceutique, le reste du secteur industriel perd des emplois en France.

Le terme de réindustrialisation ne connait une nouvelle jeunesse que depuis 2011/2012, avec le pacte pour la compétitivité de la France (Rémi Gallois). C’est le point de départ, parce qu’avant on parlait de mutation ou de transformation, des termes plus positifs.

En quoi la France peut-elle s’appuyer sur l’industrie pour retrouver des couleurs ?

Quand on regarde l’Allemagne, le Japon ou la Chine, ils sont plus industrialisés et imposent le respect de ce point de vue. Est-ce qu’une réindustrialisation est-elle encore possible en France ? C’est extrêmement délicat car les entreprises sont fragiles et dès qu’elles font de erreurs de stratégie, elles doivent tout de suite mettre la clef sur la porte. Cette réindustrialisation doit se fait par plusieurs fronts :

  • Par la question du développement durable et pas de la façon « greenwashing ».
  • Par la question de l’innovation, de manière organisationnelle.
  • Et par la question de la formation

M. Pierret, comment doit-on parler de l’industrie à notre époque ?

CP : En ayant une vision positive et sociétale de l’industrie. En Allemagne on est fier de vous présenter une belle usine. En France on dit : « le gamin s’il ne sait pas trop quoi faire, il aura dans l’industrie ! ». Première chose donc : aimer son industrie et pas que la voir avec des fermetures d’usine à la télé avec le ministère de l’industrie qui est le pompier qui essaye de sauver ce qu’il peut. Je pense notamment à la fermeture de Goodyear et de Moulinex à mon époque.

Après plusieurs semaines de concertation au Japon, j’ai réussi à amener Toyota dans le nord de la France. L’industrie, c’est un marché ! Les Japonais hésitaient entre la Pologne, et quelques autres pays éliminés. Pour faire leur choix, les Japonais font une série de matrice pour savoir où implanter leur entreprise :

  • Il faut un pays qui a une tradition historique industrielle. Ce qui était notre cas puisqu’en France nous avions créé l’école des Arts et Métiers ou l’école Polytechnique, Centrale…
  • Dans un second temps il faut avoir un enseignement prestigieux qui est tourné sur l’industrie. On veut des ingénieurs qui soient des ingénieurs et pas dans la finance. Cela demande une formation qui s’adapte à un milieu qui change vite. En effet, en 18 mois, tout change dans l’industrie, notamment les conditions techniques.
  • Au-delà de la culture industrielle et de la formation pour avoir la capacité d’avoir des gens vite qualifiés, il fallait ensuite que le milieu concurrentiel accepte l’implantation de l’entreprise sur le territoire ciblé. Et là dans le Nord, ce milieu concurrentiel acceptait cette venue car ils avaient besoin d’un marché.
  • Et puis il faut être capable de produire de la qualité. On a le droit de faire 1 erreur sur 200 000 pièces avec Toyota et pas le droit d’être en retard de plus de 2 min sur une chaine de production et de livraison (à cause d’un camion en retard par exemple). « Précision, juste à temps… » car les Japonais sont très exigeants.
  • Et puis enfin il y a ce à quoi les gens pensent en permanence : les coûts du travail, or là c’était juste après l’application des 35h par Martine Aubry que les Japonais ont discuté de l’implantation de Toyota en France ! Les Japonais et le PDG de Toyota se demandaient avec cette réforme les coûts de production… Mais ce n’est pas la problématique décisive, surtout qu’il a des aides à l’implantation, même si on en a de moins en moins de l’Europe.

Le coût de l’heure en Allemagne dans l’industrie en supérieur mais pas ils se rattrapent dans les services par rapport à la France. Le prix final en France d’un bien industriel est composé environ pour 1/3 du coût de la production, de 13% du coût salarial, d’un 1/3 du coût de la commercialisation et enfin pour 1/3 des services après-vente.

On peut avoir une fierté française de penser que PSA a racheté Opel, firme allemande, dont les serrures électriques et des sièges sont fabriqués à Saint Dié aussi par exemple.

Tout dépend de l’injection de R&D, d’innovations aussi, et là on est moins bons que les Allemands ! Parce que l’effort national de R&D dans le PIB est plus bas, on s’adapte moins vite. Et tout est là : TOUT EST LIEÉ A CETTE INNOVATION. On trouve toujours une parade par l’innovation. L’essentiel c’est l’innovation.

FB : Ce cas de Toyota implanté à Valenciennes est intéressant, tout comme la question industrielle de l’automobile. Toyota est la dernière grosse entreprise automobile à s’être installée en France, en plus Toyota a doublé son usine, elle est très productive pour les Japonais. 9% de l’emploi en France est fait par la filière de l’automobile. Vous souvenez-vous du temps où l’usine Renault de Billancourt était appelée la  » forteresse ouvrière » et où Maurice Bokanowski disait « quand Billancourt éternue, la France s’enrhume ». (Note personnelle : C’était il y a mille ans. Maintenant, l’Ile Seguin est une friche industrielle)

Quand a commencé le moment où on pouvait réespérer à un renouveau de l’industrie française M. Kirchner ?

HK : M. Toyoda a choisi son n°1 pour sa succession qui est français, et c’est l’ancien président de l’usine du Nord. Nous sommes devenus les patrons de Toyota tellement on était bon ! Or Toyota est leader incontesté de la qualité automobile. On chasse le Mudanote personnelle : Muda peut être traduit par gaspillage, sans utilité, futilité ! Sur cette idée de charge lourde sans valeur, s’appuie toute la logique du Lean : distinguer ce qui a de la valeur de ce qui n’en a pas (aux yeux du client), alléger le processus de tout ce qui n’apporte pas de valeur. Est considéré comme gaspillage toute activité qui consomme des ressources et ne crée pas de valeur. Les 8 pertes décrites par le Lean sont :Défauts et Retouches (Defects and Rework), 2. Surproduction (Overproduction), 3. Transport (Transportation), 4. Attente (Waiting), 5. Stock (Inventory), 6. Déplacement (Motion), 7. Surtraitement (Inappropriate processing), 8. Sous-utilisation des collaborateurs (Underutilization of employees) en « quantité » mais aussi en « intelligence » !) dans les ateliers !

Nous sommes optimistes depuis 2-3 ans sur l’avenir de l’industrie en France. On commence à vivre une révolution industrielle dans les usines, et pour cela on prend du recul sur le temps. Au début on travaillait à la main, puis il y a eu les outils à main au XIXe, puis début XXe siècle on a eu l’arrivée des machines-outils qui font toutes seules les tâches les plus pénibles, puis aujourd’hui on a la machine à commande numérique complétement électronique. Le gros de nos usines de nos jours est encore avec des machines-outils avec commande numérique qu’on alimente en amont et où l’on récupère les pièces en aval. Mais la révolution industrielle qu’on commence à vivre c’est la commande globale de l’usine par le logiciel. En sortie de la main d’œuvre on a une machine outils et un convoyeur qui recommande vers la machine suivante. Cela peut se faire sur une partie de l’usine ou de bout en bout. En Alsace par exemple dans ce type de production on a « Cuisine Schmidt » à Sélestat. Ils ont une usine qui est totalement automatisée de A à Z. On commande une cuisine et le concepteur pilote la production jusqu’à la livraison. Avec cette ubérisation, la délocalisation ne vaut plus le coût, il y a trop de risques, c’est mieux l’automatisation sur place. Grâce à cela on va créer de nouvelle usine. A Figeac, dans Figeac Aero, le PDG disait « soit je fais une usine au Maghreb non automatisée, soit dans mon village en France totalement robotisée et moins de risque » et c’est ce qu’il a fait !

FB : Vous vous demandez sans doute, « et l’emploi dans tout ça » ? La désindustrialisation se traduit par la diminution des emplois (10% de la main d’œuvre salariée est manufacturée en France aujourd’hui)

AVG : Un robot coûte 30 000 euros, l’équivalent d’un salaire annuel. Il ne faut pas voir la technologie comme l’ennemie de l’homme. Elle offre de nouvelles compétences. Il y a aussi des petits robots pour venir assister dans les taches les plus difficiles les ouvriers qui vont pouvoir ainsi se focaliser sur des taches plus valorisantes. Et puis il y a la maintenance de tous ces robots avec la création d’emploi d’ingénieurs. A-t-on les savoirs faires en France pour les former ? Les territoires gagnants sont les métropoles : un chef d’entreprise pour développer ses capacités de R&D ne trouve pas dans son bassin de vie les compétences pour, du coup il est souvent obligé d’aller à Paris où les coûts sont plus élevés ! Donc il y a un manque d’adaptation des formations sur ce sujet et pas de formation continue. Il faudrait des temps libres dans l’usine pour que les employés soient prêts à s’adapter aux nouvelles technologies. Il faut se faire une raison, les usines de 10 000 salariés, cela n’existera plus !

FB : J’ai eu l’occasion de visiter une usine de meuble tout automatisée dans la découpe notamment et me suis demandé « où sont les gens ? » Le chef d’entreprise m’explique « rassurez-vous je continue d’embaucher… ». L’inquiétude vient du fait que l’on sait que les emplois vont encore baisser dans l’industrie. L’intérêt est de savoir si les pertes d’emplois vont coïncider avec de nouveaux métiers. Et si oui, au même moment ?

CP : 60% des métiers dans les années qui viennent vont disparaitre. On va perdre 30% d’emplois à cause de l’automatisation et de l’intelligence artificielle. Cette IA peut apprendre de ses échecs et dialoguer. Elle réagit au réel et pas seulement par rapport à sa programmation et peut s’adapter, changer. Même le métier d’avocat pourrait être réalisé par une IA qui irait aller chercher de la data, de la donnée dans les décrets, des lois. L’IA le fera peut-être mieux que l‘homme. Mais pour prendre la décision et faire la synthèse, ce sera l’avocat qui resterait. Le véritable défi est : « comment changer notre système de qualification ? » Nous sommes obligés de faire cette transformation, on ne pourra pas casser les machines. Le stock de robot dans l’industrie industrieuse allemande est de 300 000 et nous on en a 5 fois moins : les salaires allemands dans l’industrie sont plus élevés ! Cela va détruire de emplois et représenter un problème humain immense ainsi qu’un phénomène d’incompréhension. Ce n’est pas une question de parti politique, mais on ne fait pas assez pour prendre les mesures nécessaires pour coller la formation aux besoins. Nous n’avons pas un système de qualification assez agile, il ne s’adapte pas assez à temps.  Le PIB industriel en 10 ans de la France est passé derrière celui de la Grande-Bretagne !

HK : Je suis optimiste, même si c’est vrai les robots ne sont pas assez développés en France. Cependant, il y a 3 fois plus de chômage qu’en Allemagne pourtant plus robotisée ! Donc nous n’avons pas besoin d’avoir peur des robots. L’un des emplois le plus répandu en 1918 était celui palefrenier. Le moteur a créé une multitude d’emplois tout en détruisant ce métier ! Nous sommes de plus en plus efficaces pour produire, se développer et travailler. On a toujours de l’emploi. Le taux de chômage n’est pas dû aux robots mais plutôt aux formations.

AVG : Oui, nous allons mourir si l’on ne robotise pas ! En Chine, dans l’entreprise Foxconn, le PDG a remplacé du jour en lendemain 100 000 hommes qui « lui prenaient la tête » par des robots. Et nous à côté, on est lent !

PC : En Chine, sur la côte Est, il y a 20 millions de salariés qui sont intégré au marché du travail chaque année, ils n’ont pas les mêmes techniques d’employabilité et de licenciement. Il s’agit en France de ne pas se battre pour des chimères, pour des batailles perdues d’avance, mais d’aller dans le futur de l’industrie.

KH : A Saint-Dié-des-Vosges, on s’est fait plumer par les Chinois sur le textile, ils nous ont piqué tous nos emplois et pris nos machines textiles. Mais à Saint-Dié, on peut rattraper cette époque : en effet, les consommateurs se mettent de plus en plus à acheter sur l’internet, on pourrait faire un scannage du corps en temps réel pour se faire confectionner ses vêtements avec l’invention d’un robot qui confectionnerait les vêtements et hop, plus d’invendu, juste la demande !

FB : Taxer les robots, bonne idée ou ineptie ?

CP : Les autres vont les utiliser et gagner la bataille de la concurrence. On ne peut lutter que par l’intelligence et la qualité et la formation. Les Allemands payent plus cher la main d’œuvre. Les Suédois ont une taxe sur les gaz à effet de serre à 120 € la tonne émise, tandis qu’en France c’est 3 € ! Ils sont au dessus de nous sur l’aspect social. En Allemagne, l’excédent de la balance commerciale est de 300 000 milliards d’€, tandis qu’on est à 60 milliards de déficit pour le France au même moment pour 2500 milliards de PIB pour la France. Donc c’est totalement absurde de taxer les robots, taxer plutôt l’ignorance ! (Vaste chantier).

HK : Trump tue l’industrie Ford américaine et le client paye la concurrence.

AVG : Adieu aux investisseurs étrangers si on taxe les robots. L’impôt sur les sociétés s’élève à 33% pour les PME ou NTI mais les fiscalistes le baissent par des contournements. En Suède, l’impôt sur les sociétés est à 17% mais ils ont supprimé les niches fiscales donc ils se font plus d’argent grâce à ça.

CP : En Lettonie, l’import sur les sociétés est plus faible. La Chine va laisser ses entreprises aller à l’extérieur aussi en Europe, car derrière ces emplois il y a le software, des méthodes. Il faut donc nous ouvrir aux investissements chinois, si on ne fait pas, d’autres le feront !  Vivre le libre échange ! Trump mène un bas de fer avec la Chine et il détruit l’action de l’OMC, cela va entrainer la réduction de la croissance mais à court terme c’est sûr que c’est vendeur pour les élections.

KH : On doit craindre de se faire dépasser : l’industrie c’est comme le poisson, c’est la tête qui pourrit en premier. Les patrons doivent veiller à la productivité par rapport aux concurrents. Ce n’est pas possible qu’on soit aussi peu modernisé dans certaines entreprises ! Chez Faber/Brandt (machine à laver et micro-onde) par exemple, on pourrait gagner 1/3 du temps en changeant la manière de produire, ils étaient dépassés ! Les Allemands ont plus de robots et moins de chômage.

CP : 2 points de PIB de moins par an par rapport à l’Allemagne, on a un appareil de production plus vieux qui intègre moins de robots et l‘innovation. Lorsqu’on investit, c’est pour remplacer et non pas pour progresser. Il faut donc une vigoureuse action. Quand on n’a plus d’industrie, on n’a plus le reste de l’économie ! La différence d’investissement est cruciale !

AVG : Faut-il avoir peur des étrangers ? Ce qui a sauvé l’industrie britannique, c’est M. Thatcher qui a attiré les services, et des entreprises étrangères ont alors racheté des entreprises anglaises (exemple de Tata Steel achetée par les Indiens). Les marges des entreprises n’ont plus la capacité d’investir : le système bancaire est plus frileux en France qu’en Allemagne.

Questions :

  • Innovation industrielle et énergie ?

ð  On a loupé le coche des éoliennes suédoises et voir du côté des hydroliennes ? L’énergie n’est pas le seul secteur sur lequel il faille se recentrer. Les entreprises peuvent se former seules et on ne doit pas attendre l’Etat sur le sujet. Même si des subventions existent, pour éviter que l’Allemagne nous passe sa production de charbon et nous empoisonne l’hiver. Le nucléaire c’est 400 000 emplois en France, et la Chine a ouvert le premier EPR, à 80% chinois et 20% de technologie française. L’équilibre économique entre production d’éolienne et gaz doit être un projet par exemple… personne n’est prêt à mettre des mille et des cents pour isoler son bâtiment. L’énergie solaire avait bien démarré avec F. Fillon mais il y a eu un coup d’arrêt, donc c’est compliqué et le kilowattheure est trop cher.

  • Intervention pour que le futur de l’industrie soit aussi avec les pays transfrontaliers de la France et que l’Europe construise un avenir industriel commun. La France ne doit pas être centrée que sur elle-même à ce sujet.

 

© Pauline ELIOT, pour les Clionautes