Table ronde organisée par l’APHG
Ont participé à cette table-ronde : Jean-Pierre Azéma, Aleth Briat (APHG), Joëlle Dusseau (présidente du jury national du concours du CNRD), Henri Ecochart (Français libre, part de La Rochelle, à 17 ans alors qu’il est lycéen à Tours, il participe à la libération de la Provence), Christine Lévisse-Touzé.

Joëlle Dusseau :
Pour commencer, il faut rappeler à quel point les six premiers mois de 1944 sont durs, avec une répression violente de la Milice de l’Etat français, des Allemands.
Il faut rappeler la complexité de la Libération du territoire hexagonal : les colonies sont libérées très vite, la Corse aussi. Mais il faut entrer dans le détail, avec les écarts chronologiques. Des territoires, des villes, sont libérés puis repris.
Le retour à la République se fait apparemment très vite, il est préparé de très longue date, des juristes travaillent à ce que devra être le retour à la République, sous la houlette de Jean Moulin et à Alger, bien que les Américains veuillent mettre en place l’Amgot.

Henri Ecochart :
Il combat de 1940 à 1943 en Afrique. Il débarque en Provence, deux ou trois jours après le débarquement. Il participe à la Libération de Lyon et va jusqu’à Strasbourg. Fin 1944, il est envoyé du côté de la Rochelle pour aider la poche de résistants. Mais des combats en Alsace l’obligent à revenir. Les Américains voulaient que les Français se replient en deçà de Strasbourg, ce que de Gaulle refuse, car moralement, il était impensable que des Français abandonnent l’Alsace. Puis sa division est envoyée en Italie, ne rentre pas en Allemagne mais reconquiert la frontière entre la France et l’Italie.

Jean-Pierre Azéma :
Il participe ce soir à une conférence sur les commémorations, il n’était pas prévu . Il nous livre donc en primeur quelques réflexions.
Il y a des libérations et pas une Libération de la France. La mission première de Das Reich est d’éliminer les bandes, répandre la terreur et seulement après, éventuellement, elle gagnerait le front. Les bombardements anglo-saxons sont minorés dans le discours commun, mais 20% du tonnage de bombes larguées sur l’Europe de l’Ouest sont tombés en France, (entre 50 et 70 000 morts sous les bombardements alliés pendant l’été 1940). Le raid du Havre, en septembre 1944, fait 2000 victimes. Il faut se guérir d’une approche franco-jacobine : il faut tenir compte des tirailleurs sénégalais, des goumiers marocains. Leclerc a dû « blanchir » la 2ème DB sur ordre des Américains. On oublie les Républicains espagnols qui entrent dans Paris, on parle peu des Canadiens, des Polonais. Les MOI sont oubliés également. Les Alliés ont été traités avec désinvolture.
Les Soviétiques sont les grands absents, comme si l’armée rouge n’avait pas immobilisé des blindés allemands sur son sol. Les Anglais sont oubliés, sauf dans le Nord et le Pas-de-Calais. C’est Jean-Louis Crémieux-Brilhac qui rappelle, à travers le SOI, créé par Churchill, tout ce que les Français doivent aux Anglais.
A cette époque, la France est atomisée, paralysée par les destructions. La Libération est une juxtaposition de micro-histoires de territoires. Dans le Limousin, la petite ville de Mauriac a un comité de Libération dès juin : rien à voir avec Tulle, Oradour…Donc cette histoire de la Libération est à la fois commune et distincte, donc toute description univoque d’un Français libéré est à proscrire.
Le premier réflexe dans les villes est explosion de joie, mais aussi une peur du retour de l’occupant et des représailles, une peur de la mort, et l’attente du retour pour les proches des absents. Il y a ambivalence des sentiments (Laborie, L’Opinion publique sous Vichy), il faut tenir compte des vaincus de la libération.
Les maquis sont écrasés, ils pensaient libérer le territoire et mettre en place des Républiques libres (la République libre du Vercors).

Christine Lévisse-Touzé :
La République est organisée, le retour est proclamé. Depuis le 3 juin 1943 à Alger, il y a la coprésidence Girault-de Gaulle. Les enjeux sont le retour à la République, l’abolition des lois discriminatoires de Vichy et la mise en place d’une commission d’épuration pour les élus, les fonctionnaires, le gouvernement et Pétain ; enfin la mise en place d’institutions, symboles de la République. La France n’est pas toujours associée aux décisions de l’Etat-Major allié. Il y a d’abord la séparation des pouvoirs civils et militaires pour être conformes à la pratique républicaine. De Gaulle, à Brazzaville, déclare vouloir demander l’avis du peuple. A l’automne 1943, les mesures discriminatoires contre les Juifs d’Algérie sont supprimées.
L’assemblée consultative provisoire est inaugurée le 3 novembre 1943 à Alger. Sur les 103 sièges, la moitié est occupée par la Résistance intérieure, et l’on retrouve 20 députés parmi ceux qui ont refusé les pleins pouvoirs, on note donc une volonté de continuité. Une place importante est accordée aux résistants, majoritairement de gauche, qui sont méfiants à l’égard des Algérois. Cette assemblée est la préfiguration de ce qui doit se passer, elle a un budget, 60 séances au cours desquelles on discute de la réforme de l’Etat, du statut de la presse, du droit de vote des femmes…. Cela marque la fin de la IIIème République et la mise en œuvre des pouvoirs publics à la Libération (commissaires de la République). Des organismes coordonnent et suscitent, au sein des Résistants, des gênes à l’égard des Allemands. En juin 1944, cela devient le GPRF, il a aussi pour but de contrôler les libérations du territoire. 400 ordonnances ont été prises, pour éviter l’Amgot sur le territoire français. Le CNR a aussi un volet « action immédiate » pour contrôler la coordination des actions militaires en France. Mais les FFL sont aussi là pour cela, et c’est in extemis que les Anglais permettent que les Résistants aident les Alliés.
La Libération de Paris est bien plus complexe qu’on ne le dit, c’est une mission politique et morale, confiée à Leclerc avec 22 nationalités et 3603 soldats de l’Empire. La 4ème division américaine est présente.

Jean-Pierre Azéma : revue des questions qui font débat :
– les Français se sont-ils soulevés ou ont-ils attendu l’arrivée des Alliés ?
Le Comac est le bras militaire du CNR et les communistes en son sein veulent une insurrection sur le modèle de la Corse (soulèvement populaire préparé par le Front national sans aucune intervention des Alliés, les Forces françaises d’Afrique débarquant ensuite). Puis la démocratie est mise en place, avec des votes à main levée. De Gaulle a retenu la leçon, il pense que la Libération ne peut se passer d’une insurrection. Mais il gomme ce terme après, il parle « d’actions en force généralisées et de courte durée », puis il parle de « soulèvement général » sur ordre des autorités responsables (CFLN). C’est le débat sur l’action immédiate : le PC voulait une action populaire avant l’arrivée des Alliés ; les autres, les attentistes, avaient choisi le camp de la Résistance, n’étaient plus vichystes, mais il fallait attendre l’arrivée des Alliés pour limiter les pertes. Eisenhower, sur les conseils du SOI, a mobilisé tous les réseaux chargés des plans d’action dont les plans vert (chemin de fer) et blanc (routier). Les maquis mobilisateurs furent écrasés par la Wehrmacht. Pour les uns, l’insurrection était un couronnement, pour les autres, un moteur décisif avant la révolution. Philippe Button (Les lendemains qui déchantent) a réalisé une classification des types de libération. Le premier type concerne les FFI et la population qui se battent contre les occupants (2% du territoire, mais incluant Marseille, Lille, Limoges, Thiers, Paris). Dans le deuxième type de libération, les FFI sont présents mais la population reste population passive (13%). Dans le roisième type, les Allemands s’en vont, les Alliés arrivent (85%). Paris devient le symbole à elle seule des libérations de la France. Aucune insurrection, ce qui pose problème au PC.

– Le PC a-t-il voulu prendre le pouvoir ?
Le PCF a plus de 200 000 adhérents en 1944, il contrôle 30% des membres des comités de la Libération. Mais depuis l’hiver 1942-1943, un compromis historique est conclu avec la bourgeoisie patriote, en fait gaulliste. Grâce à Stalingrad, il y a une russomania et le modèle corse est envisageable. Mais Staline maintient le compromis, car rien ne doit retarder l’écrasement du nazisme. Thorez a été amnistié (grâce amnistiante) par de Gaulle, il est porteur de directives impératives de Staline et la prise de pouvoir politique n’est pas décidée. C’est bien le PC qui prépare et met en œuvre à Paris le soulèvement populaire, et de Gaulle met en place sa prise de pouvoir, en s’appuyant sur la légitimité populaire qui l’adoube le 26 août. L’accueil de Bayeux est modeste. A Paris, il adopte une froideur calculée : dès le 27 il dissout le CNR et le 28 les FFI et surveille l’installation des commissaires de la République. C’est une prise de pouvoir occultée par le défilé et le Te Deum.

– Y a-t-il eu une guerre civile ?
L’épuration ne déclenche pas la guerre civile, les ultras sont haïs et très minoritaires, partent en Allemagne. Sinon, personne n’a intérêt à la guerre civile. Pétain incite les Français à ne pas participer aux combats, il prend ses distances, une guerre civile l’aurait délégitimé. De Gaulle aurait été le grand perdant de cette guerre car veut être le rassembleur et les Résistants ne voulaient pas diviser leurs forces.

– La Libération a-t-elle facilité le fait que la France se retrouve dans la cour des Grands ?
De Gaulle veut faire croire aux Français qu’ils ont contribué à leur propre libération de manière décisive, pour forcer la main aux trois Grands. La France est au conseil de Sécurité car les Anglais ne veulent pas se retrouver seuls face à l’URSS. Les arguments de De Gaulle sont la participation militaire aux combats et le calme ensuite du retour à la République. C’est cette maîtrise qui impressionne les Américains. La France est redevenue une puissance guerrière.

Joëlle Dusseau : Rôle fondamental de Jean Moulin et du programme du CNR en mars 1944. Il est effectivement appliqué.
Jusqu’en juillet, il y a une menace d’Amgot sur la France, pays occupé-libéré. Le gouvernement se met en place, sans démocratie puisqu’il n’y a pas d’élections. Pétain a laissé la place libre en allant à Sigmaringen, pour les ministres d’Alger qui arrivent. Il n’y a donc pas de cohabitation délicate.

L’atelier Ressources pour le CNRD a suivi cette table-ronde : il présente les ressources disponibles pour travailler ce sujet. Voir le compte rendu dans Clio-Lycée E. Gayme