A chaque 8-Mai, quelques médias marchent dedans. Cette année, le bobard était entre autres à imputer au JT de 20h du 7 mai sur France 2. Pas de façon flagrante, certes. La journaliste présentant le JT commence effectivement par évoquer une capitulation. Les auteurs du reportage mémoriel qui suit répètent le mot « capitulation » jusqu’au moment fatidique où sort l’agaçant  « armistice », montrant ainsi que les deux termes semblent se valoir dans un discours médiatique trop souvent marqué par l’approximation. La lutte contre les fausses nouvelles commence pourtant par le soin de bien nommer les choses en n’ajoutant pas au vacarme chaotique du monde.

Non, non et non, ce qui a été signé le 7 mai 1945 à Reims dans la Little Red School devenue le lycée Roosevelt et que l’on commémore le 8 mai n’était pas un armistice mais bien une capitulation.

Il ne s’agit pas de pinaillage car armistice et capitulation ne disent pas la même chose.

Un armistice, terme masculin, est un texte politique, même si on peut en déléguer la signature à des militaires de haut-rang. Il engage la responsabilité des États signataires et implique la recherche d’un accord de paix qui fera l’objet d’un traité. Ainsi, ce qui est signé le 11 novembre 1918 dans un wagon à Rethondes est bien un document engageant des États à signer ultérieurement une paix, ce qui est fait à Versailles le 28 juin 1919, puis lors du traité de Sèvres (10 août 1920). Celui du Trianon (4 juin 1920) suit lui aussi un autre armistice signé avec l’Empire ottoman.

Contrairement à un armistice, une capitulation n‘engage en rien le pouvoir civil. C’est la reconnaissance par des militaires d’une défaite militaire. Elle signifie qu’on dépose les armes mais n’engage en rien un gouvernement. Il est donc possible qu’une partie de l’armée capitule mais qu’une autre continue le combat sous les ordres d’une autorité politique tenue hors de portée de l’ennemi.

C’est bien cette différence entre armistice et capitulation qui sépare les décideurs français dans l’avant-dernier gouvernement de la Troisième République, celui de Paul Reynaud qui reste en place jusqu’au 16 juin 1940. Pour des hommes comme Pétain ou Weygand, il faut signer un armistice et ne pas attenter à l’honneur de l’armée en optant pour une capitulation. Cette dernière est au contraire l’option d’hommes comme Georges Mandel ou du jeune (50 ans) Charles de Gaulle, général de brigade à titre provisoire récemment nommé sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la défense nationale. Ils sont en cela soutenus par un certain Winston Churchill. Il est en effet préférable à leurs yeux que les armées capitulent en métropole et qu’une partie des forces, notamment la flotte, continue la guerre à partir de l’Empire, en particulier l’Afrique du Nord, en poursuivant l’alliance avec le Royaume Uni.

Si l’on entend bien ici la différence entre armistice et capitulation, la mémoire semble tout faire pour entretenir la confusion. A titre d’exemple, réagissant au discours de François Hollande lors de la commémoration 2012 de la Rafle du Vel’ d’Hiv, un homme politique émérite, qui fut ministre de l’Éducation au siècle dernier et demeure volontiers donneur de leçons d’histoire, avait ajouté au vacarme en parlant du gouvernement de Vichy comme d’un gouvernement de capitulation. Si l’on comprend bien qu’il voulait stigmatiser un esprit défaitiste, il n’en demeurait pas moins dans l’inexactitude car c’est bien de Gaulle ou Mandel, soutenus par Churchill, qui préfèrent la capitulation à l’armistice, justement pour continuer la guerre. C’est par ailleurs le dernier gouvernement de la Troisième République, celui de Pétain (et non « l’État français » de Vichy postérieur au 10 juillet 1940), qui signe l’armistice le 22 juin 1940 à Rethondes après l’avoir annoncé le 17 à la radio pour être dénoncé le 18 de Londres par le général de Gaulle.

Ajoutons à la confusion le fait que Staline, mécontent de l’absence à Reims d’un officiel soviétique d’un rang suffisant, avait, de son côté, décidé de répéter le 9 mai à Berlin la procédure acquise à Reims dès les premières heures du 7 mai. La commémoration du 8-Mai se retrouve donc entre la date effective de la capitulation rémoise effective du 7 et celle, plus protocolaire, de Berlin, qui permet aux Soviétiques puis aux Russes de commémorer le 9 mai la fin de la Grande guerre patriotique.

Affirmer qu’on a signé un armistice le 8 mai 1945 équivaut par conséquent à sous-entendre qu’on ait pu s’engager à négocier les conditions d’une paix avec le Reich et les successeurs de Hitler. On concédera cependant à la confusion d’aujourd’hui qu’elle fait écho à la confusion d’hier. Il en effet fréquent dans les papiers officiels comme dans les papiers privés de 1944 et du début 1945, qu’on fasse allusion à un armistice prochain, par analogie avec celui du 11 novembre 1918. Cela n’en demeure pas moins un bobard.