Cette table-ronde se propose de revenir sur l’art de gouverner propre à de Gaulle, et particulièrement sur sa capacité à articuler des choix structurants de long terme, nourris d’un sens de l’histoire, à un art de faire face à l’évènement, et en particulier aux crises. La question des temporalités entre temps long et actuialité sera au cœur de cette table ronde.
Modérateur : Frédéric Fogacci est agrégé et docteur en histoire, spécialiste d’histoire politique. Il est directeur des Études à la Fondation Charles de Gaulle. Il a récemment publié De Gaulle et la défense de la France, d’hier à aujourd’hui (Paris, Nouveau Monde, 2017).
Présentation des intervenants :
Hervé GAYMARD est ancien ministre, président de la Fondation de Gaulle, auteur d’une biographie sur Charles de Gaulle.
Arnaud Teyssier est haut fonctionnaire, auteur d’une biographie sur Seguin et d’un ouvrage sur les relations entre Charles de Gaulle et Pompidou. Il est président du Conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle, professeur associé à l’ENS de Paris.
« Alors que nous célébrons le 50e anniversaire de la mort de Charles de Gaulle, fondateur de la Ve République, cette table-ronde se propose de revenir sur l’art de gouverner propre à de Gaulle, et particulièrement sur sa capacité à articuler des choix structurants de long terme, nourris d’un sens de l’histoire, à un art de faire face à l’évènement, et en particulier aux crises. La question de l’articulation de ces deux dimensions sera au cœur de cette table-ronde. »
Frédéric Fogacci : les activités de la Fondation Charles de Gaulle en résumé :
- Un centre de recherches et d’archives, un Conseil scientifique
- Un travail sur la pédagogie et l’enseignement de l’histoire du gaullisme et de la France des années gaulliennes.
- Une action mémorielle, notamment à l’étranger
- Une action au service du rayonnement de la France à l’étranger
- Une revue : Espoir
- Le site internet de la fondation Charles de Gaulle
la Fondation Charles de Gaulle est située à Paris, là où Charles de Gaulle a fondé le RPF. C’est une fondation qui a plusieurs champs d’intérêt, dont l’aspect pédagogique (en lien avec l’Éducation Nationale) Enseigner De Gaulle (samedi à Blois, une table ronde intitulée Enseigner de Gaulle).
Elle a un aspect grand public. Nous célébrons les 50 ans de la mort de Charles de Gaulle, les 130 ans de sa naissance, et les 70 ans de l’Appel.
Il y a actuellement l’Exposition « comme en 40 » au musée de l’armée.
L’année 40 a été décisive. C’est un acte de naissance politique.
Aspect scientifique de la fondation de Gaulle : un conseil scientifique présidé par Arnaud Teyssier. Une réflexion historique (avec des colloques) ainsi que l’actualité du message gaullien. Elle étudie les thématiques de la défense (un socle gaullien aujourd’hui), de la politique étrangère, de l’IFRI, … la science, l’art du gouvernement selon Charles de Gaulle.
On retrouve la thématique du gouvernement dans la revue trimestrielle Espoir et dans des ouvrages des années 1970 : ce sont des témoignages de première main, des collaborateurs de Charles de Gaulle du premier cercle ont témoigné. Ils nous renseignent sur le fonctionnement du gouvernement, sur la fabrique de la décision. La façon dont Charles de Gaulle se positionnait face à de grands enjeux. C’est une réflexion actualisée sur la gouvernance.
2018, conférence à l’ENA : « les compromis implicites de la Ve République ».
3 novembre 2020 : pour les 50 ans de la mort de Charles de Gaulle, colloque sur la notion de souveraineté.
Gouverner : ce n’est pas une méthodologie gaullienne. Le sujet est trop vaste.
Thématique d’actualité : la gestion du temps.
La Ve République est fondée en 1958 : il faut « donner du temps à ceux qui gouvernent » par rapport à l’instabilité politique de la IVe République (22 gouvernements se succèdent en 11 ans), l’incapacité pour ceux qui gouvernent de se projeter sur le long terme. Le temps long est quasi interdit en politique. Alors que le pouvoir des hauts fonctionnaires reste en place.
Redéfinition des temps politiques. Capacité à se projeter à moyenne et longue échéance.
Aujourd’hui, il y a un réel manque de temps pour note régime politique, avec une incapacité à se projeter, aussi à cause des réseaux sociaux.
3 points rapides :
– Définir le Temps politique selon Charles de Gaulle : comment, à partir de 1958, Charles de Gaulle a-t-il pu créer les conditions d’une réflexion de long terme et définir de grandes orientations ? Comment Charles de Gaulle gouvernait-il ? Cela se définit aussi dans le temps court. Il s’agit de se ménager un temps de réflexion au quotidien, de prendre du recul.
– Réflexion par rapport à la notion de temps long. Quel est le rôle du plan selon Charles de Gaulle ? La planification permet de colorer l’action gouvernementale. Aujourd’hui, on recrée un commissariat au plan.
– Question du temps court en politique : la gestion de crise. Charles de Gaulle a-t-il laissé une méthodologie de gestion de temps de crise ? Est-ce une gestion qui relève d’un appareil, ou alors est-elle liée aussi au temps long ?
Définir le temps politique selon Charles de Gaulle
C’est le « maître de l’horloge » : il faut dégager du temps pour réfléchir et agir.
En 1936, il est colonel. Il plaide pour la modernisation de l’armée française. Il se rend chez Léon Blum pour plaider une transformation professionnelle de l’armée Française et un changement de stratégie. Blum lui consacre une heure pendant laquelle il est interrompu 10 fois : la conclusion de Charles de Gaulle est que Blum est détourné du sujet.
Question à Hervé Gaymard : Comment s’organise concrètement le travail de Charles de Gaulle à l’Élysée, pour aménager un temps pour la réflexion ?
Hervé Gaymard mentionne la remarque de son ancien ministre des finances, Valéry Giscard d’Estaing, qui dénonce « l’exercice solitaire du pouvoir du général Charles de Gaulle. »
Valéry Giscard d’Estaing visait juste. Cependant, il ne visait pas seulement Charles de Gaulle, mais aussi l’ensemble du processus qui amène à prendre une décision. Le Chef de l’État est seul à décider en dernier ressort. Le pouvoir c’est comme la mort, cela se passe seul. Cf: l’Appel lancé à Londres, seul avec son aide de camp.
C’est un truisme : la décision ultime est solitaire.
De plus, Charles de Gaulle avait d’abord une liberté de pensée totale. Et c’était un travailleur intellectuel. Il comblait ses lacunes. En 1944-1945, il travaille le droit constitutionnel et public ; l’économie n’est pas sa formation, donc à la fin des années 1950, il prend beaucoup de cours et de leçons d’économie.
Par définition, pour se construire soi-même, il faut travailler et avoir du temps pour travailler.
Au pouvoir, c’est le temps qui manque, comme le montre l’anecdote du temps haché de Léon Blum.
A l’Élysée, il a toujours veillé à se réserver des plages de réflexion. On ne le dérangeait pas pendant ses entretiens, sauf lors de l’assassinat de Kennedy.
Il avait une régularité de métronome pour l’exactitude des audiences. De plus, il exigeait sur son emploi du temps des plages de travail pour lire, consulter des experts.
Il pouvait faire 2 ou 3 heures de conférence de presse sans aucune note, car il se préparait 2-3 semaines avant.
Un photographe avait photographié son bureau et publié la photographie, ce qui a rendu Charles de Gaulle furieux, car on voyait plein d’ouvrages annotés sur son bureau pour un voyage en Pologne. Il fournissait un travail personnel pour ne pas être prisonnier du conformisme et des autres.
C’est lui-même qui écrivait ses discours, il n’avait pas de nègre.
Valéry Giscard D’Estaing se trompait par contre sur le fait que Charles de Gaulle prenait la décision seul : il en assumait la responsabilité seul, mais il a créé le conseil de défense de l’Empire dès juillet 1940, puis le gouvernement provisoire. Sous le RPF, il y avait un conseil de direction du RPF : naissance de la tradition du conseil des ministres. Il y a donc une réelle dimension collective du travail.
Il avait un respect scrupuleux entre ce qui relève de l’Élysée et de Matignon : c’était la première fois que l’Élysée avait autant de pouvoir, mais aussi la première fois que Matignon en avait autant. Il faisait confiance à son premier ministre. Tous les 6 mois, il recevait individuellement chacun de ses ministres.
Il y a une solitude intrinsèque qui permet de se construire soi-même et de se faire sa propre opinion, mais aussi une délibération collective. Il arrive ainsi qu’en conseil des ministres, il fasse un tour de table pour avoir tous les avis : par exemple lors de l’automne 1968, la dévaluation est non décidée.
Il est rarissime de voir ces tours de table.
Une ambiguïté : de Gaulle donne l’image du grand chef solitaire qui n’écoute personne, mais c’est bien plus compliqué que cela.
Frédéric Fogacci : Cela nous en dit beaucoup sur aujourd’hui : sur la réflexion et le temps long qui permet la prise de décision.
Réflexion par rapport à la notion de temps long
L’articulation du temps politique et du temps administratif
Un autre aspect de la refondation de la Ve République est la question de la capacité à articuler le temps du politique et le temps de l’administration.
La Constitution de la Ve République a une administration qui préexiste (sous Napoléon).
Arnaud Teyssier : lors du discours d’Épinal en 1946, Charles de Gaulle évoque la succession des gouvernements et la Constitution depuis la Révolution et la chute de l’Empire. Il compare cet élément de discontinuité avec la continuité de l’action de l’État en profondeur.
Pour de Gaulle, l’État c’est le politique et l’administratif qui travaillent ensemble.
Charles de Gaulle est un homme du temps long et du temps court. Il a une double dimension. Il est lecteur de Bergson, et en retient que le temps ne se calcule pas à la découpe. Ce n’est pas passé, présent, avenir, mais un mouvement continu. L’Histoire est vivante. La Politique, c’est une histoire vivante qui se projette dans l’avenir.
De Gaulle a le sens de l’immédiat et du temps long.
Le constat de Charles de Gaulle est que pendant 150 ans, la France a une disjonction entre son système institutionnel qui change plusieurs fois (monarchies constitutionnelles, …) et pendant ce temps, il n’y a pas de crise de substance : il y a une stabilité des « masses de granit » (Napoléon) : une stabilité de l’administration.
De Gaulle est dominé par cette idée. La politique d’une grande démocratie est l’articulation du temps long et court, et du politique (calendrier) et de l’administratif (porté dans la durée) : c’est la vision de la Res publica de Charles de Gaulle.
En 1944, nous avons choisi la démocratie et la République : la démocratie, c’est le jeu politique ; la République, c’est la dimension substantielle, l’action publique dans la durée.
Charles de Gaulle agit en 1944-1945, il a une œuvre globale en tête. Il pense à créer la Sécurité Sociale, à rénover la Constitution. Il pense qu’il y a eu défaillance du recrutement de l’administration. Il a aussi un projet de refondre la politique. Mais quand il part en 46, il n’a fait que la moitié : il a doté la France d’une constitution administrative, il a fait une réforme profonde de l’administration en 1945 (avec la création de l’ENA : avoir un « ouest point » administratif qui donnera l’impulsion à la machine administrative) et développe le système interministériel, avec une dynamique globale.
A la lumière de cela, en 1958, Charles de Gaulle réajuste les 2 éléments, il les réconcilie. Cela donne à la Ve République une force institutionnelle colossale.
Cela explique aussi la densité extraordinaire de cette période de 1958-59 à 1969, durant laquelle il mène une œuvre intérieure et extérieure.
Une faille du système : Mitterrand parle d’un « coup d’État permanent » en 1964 : « de Gaulle gouverne avec les hauts fonctionnaires qui sont comme les régents d’un royaume … » Peut-être que c’est trop lourd à porter pour la société des années 1960. Une des explications de 1968, c’est peut être l’effet de cette sorte de régime un peu puissant pour un organisme qui n’était plus prêt à le supporter. (Il y a un paradoxe, un malentendu sur ce que de Gaulle entendait par l’État chez ceux qui avaient travaillé avec Charles de Gaulle)
Frédéric Fogacci : le gouvernement est vu comme une réconciliation du temps long et court, du temps politique et administratif.
Aujourd’hui, ne vit-on pas une crise profonde ? Il y a le sentiment que le temps politique intervient de plus en plus en réaction. Il semble compliqué de rester maître des horloges.
Peut-on considérer qu’on a un peu perdu la maitrise du temps politique, avec la réforme du Quinquennat ? Ou reste-il quelque chose de gaullien dans la maitrise du temps politique ?
Hervé Gaymard :
– Concernant la question sur le quinquennat, Hervé Gaymard considère que le septennat serait bien si les députés étaient eux aussi élus pour 7 ans, sinon cela provoque des périodes de cohabitations.
– le temps politique, du fait de la société, de la médiatisation, s’est accéléré. C’est ainsi. On ne sommait pas les présidents jusqu’à Mitterrand de se prononcer chaque semaine sur tel ou tel sujet …
Quand Chirac a été élu, en 1995, son obsession était de revenir au début de la Ve République. Mais dès que le chômage augmentait, la presse demandait des comptes au président.
Il y a une dialectique entre l’évolution de la société, le système des médias et l’organisation des pouvoirs.
Faut-il se féliciter ou pas d’avoir des institutions qui sont une minerve sur un grand corps malade ? Faudrait-il aujourd’hui pour la France des institutions plus molles (proportionnelles, comme dans le modèle belge) qui sont censées mieux représenter les aspirations de la société, ou des institutions plus dures qui tiennent ?
Étude de cas sur le temps long : la question nucléaire, civile et militaire. Tout commence en Juillet 1944 à Ottawa au Canada. Charles de Gaulle y rencontre Roosevelt. Dans un interstice de l’agenda, un jeune scientifique cherche à voir Charles de Gaulle : pour lui dire que les États-Unis sont proches de la bombe. La France avait beaucoup d’avance avant-guerre grâce à Jolliot Curie, la France ne doit pas oublier son avancée d’avant-guerre.
En 1945, Charles de Gaulle crée le commissariat à l’énergie atomique.
Sous la IVe République, cette politique est maintenue.
Système de conseil restreint dans tous les domaines de l’action publique sont un outil privilégier des politiques de long terme.
L’importance du plan chez de Gaulle
Frédéric Fogacci : le long terme est une obsession gaullienne. Il disait souvent : « il faut maintenir notre volonté » : assurer le suivi des décisions et ne pas les dénaturer. Maintenir un cap.
Le plan :
Question à Arnaud Tessier : quelle est la place du plan et son utilité réelle ?
Ce n’est pas une planification soviétique, mais l’idée de donner un cadre durable à l’action publique.
Cela apparaît à la libération, Jean Monnet est maître d’œuvre. Pour définir des priorités.
En 1958, Charles de Gaulle retrouve l’instrument mais le place dans une perspective plus dynamique, pour garantir la souveraineté de la France dans des secteurs stratégiques.
Ce n’était pas que de la prospective, mais aussi de la stratégie : c’est une mise en œuvre sur le moyen terme. Cela permet d’assurer à Charles de Gaulle que malgré les accidents du calendrier, la politique va perdurer.
Ce qui était intéressant dans l’approche gaullienne du plan était l’approche interministérielle. Il faut une vision globale de l’action publique.
Le champ d’action est plus complexe aujourd’hui. On n’a pas les mêmes outils et champs d’actions. La France gaullienne était sous pouvoir centralisé. Dans un pays décentralisé, les politiques ne peuvent pas être mises en œuvre de la même façon, ni un État engagé dans la construction européenne.
Le temps court en politique : la gestion de crise
Il y a des contingences : il faut faire face à l’inattendu. Aux crises, aux situations potentiellement dangereuses.
Charles de Gaulle est aussi un gestionnaire de crises. Il est considéré comme un maître de gestion de crises, du tempo et comme quelqu’un de capable de voir vite.
Deux questions : pour Charles de Gaulle, la décision de crise relève-t-elle de la capacité à appréhender rapidement ou du long terme … ?
Arnaud Teyssier : oui, pour De Gaulle il y a une inscription de la crise dans l’histoire. Il faut être préparé, anticiper la crise. Par exemple, en politique étrangère, Charles de Gaulle a anticipé des phénomènes lourds : avec sa formule « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » dont on s’est souvent moqué, car on n’imaginait pas les transformations qui se sont produites ensuite. Charles de Gaulle voit loin car il pense l’inscription dans l’histoire. Il pensait qu’il y aurait un bouleversement, que le système communiste aurait une fin.
En plus, Charles de Gaulle agit, gouverne dans une période d’expansion, des Trente Glorieuses, et pourtant Charles de Gaulle voit au-delà : il pense que ce système entrera en crise, que le capitalisme se trouvera confronté à ses propres contradictions, avec de nouvelles aliénations : Charles de Gaulle les voit à 30 ans.
Pour Charles de Gaulle, la crise c’est le lot commun. Une nation, une démocratie comme la France est un corps sans armure : elle doit être armée car le régime normal est la crise, et la parenthèse c’est le bonheur … comme le montre l’histoire des tragédies collectives et l’histoire de la France des années 1970.
Le Référendum en avril 1969 parle de cela. Les Français ne comprennent pas bien. Il parle des sujets de l’entreprise, de la gestion de l’entreprise. Il faut associer des forces vives : cela ne date pas de 1969. 1968 ne lui a pas fait comprendre des choses, il le savait avant. Mais il ne s’attendait pas à la forme du mouvement de 1968 (le mouvement par des étudiants est déconcertant pour Charles de Gaulle). Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est l’effondrement des élites et du système.
Cela l’a renforcé dans l’idée que même une démocratie aussi armée est fragile en quintessence. Nous sommes un corps sans armure, il faut être conscient de la fragilité d’une construction démocratique.
Frédéric Fogacci : et la question des institutions ? On compare souvent à l’Allemagne où le temps de la décision est plus long.
Hervé Gaymard nous conseille de lire sur le site de l’INA le discours d’Oxford de 1941 ; celui du 1er mai 1950 ; ainsi que les derniers vœux aux Français le 31 décembre 1968. Il y a la quintessence concernant les transformations de la société.
En ce qui concerne la question de la gestion de crise militaire, Charles de Gaulle, tout au long de sa vie, en a toujours tiré des enseignements. Ce qu’il retient de la Première Guerre mondiale (il est captif en Allemagne, et voit l’effondrement de l’Allemagne en 1918) ; c’est que le pouvoir militaire doit obéir au pouvoir civil. Le contre-exemple absolu de l’Allemagne est la France, avec l’armée qui obéit à Clémenceau.
Son premier livre est la discorde chez l’ennemi. Il y dit que le politique doit commander au militaire, alors que lui-même est un militaire.
Dans les années 1930 – 1940, il dit qu’il faut un chef. Il tire deux enseignements : il faut une politique de long terme sur les armements (il n’y a pas de suivi de politique d’armement dans la IIIe République finissante alors qu’on a l’industrie, les ingénieurs, et les capacités pour le faire). Aussi, il se rend compte qu’il n’y a pas de pouvoirs : en 1939, il parle d’Albert Lebrun : « pas de chef, pas d’État ».
En 1945 : pourquoi, part-il le 20 janvier 1946, de son propre chef, alors qu’il a été élu à l’unanimité en novembre 1945 chef du gouvernement provisoire ? Une des raisons est que dès la fin 1945, lors de la discussion du budget militaire, ça recommence à pinailler. Il ne supporte pas que l’on chipote sur ces questions qu’il considère intrinsèquement liées à la souveraineté. Il en titre la leçon que le chef des armées est le chef de l’État. Il se rend compte qu’en 1940, il n’y a pas de chef de l’armée. Reynaud n’a pas le pouvoir politique de virer Gamelin pour le remplacer par quelqu’un de plus compétent.
Aujourd’hui, l’exemple de l’affaire la plus récente, c’est l’affaire malienne : François Hollande décide en 2 jours. Il a eu la capacité de décider d’intervenir si vite au Mali, impossible pour tous les autres chefs d’État au monde. La France a un outil politico-militaire qui permet de décider rapidement : c’est un héritage de Charles de Gaulle.
Débat : faut-il une autorisation du parlement avant la décision ?
Hervé Gaymard pense que non, pas pour la gestion de crise : ça doit appartenir à l’exécutif. Le Parlement doit être immédiatement informé (c’est écrit depuis 2008), et dans un délai de 30 jours, le Parlement doit se prononcer par un vote pour l’intervention extérieure, c’est un bon compromis : l’initiative et la gestion de crise sont pour le pouvoir exécutif, et le Parlement est informé et un mois après, il peut pousser le gouvernement à faire autrement. La révision de la Constitution de 2008 est donc un bon compromis.
L’Article 16 est un des ressorts de la Ve République. Il est tellement puissant que personne n’ose le mentionner. Sauf juste avant le confinement : il permet à l’exécutif d’avoir une gestion complète de la crise et de constat de crise.
Conclusion
Frédéric Fogacci présente un résumé de la table ronde :
Être gaulliste, c’est avoir vécu 40 : la faillite de l’État.
Une dimension solitaire, mais avec de la complexité. C’est paradoxal : la décision collective prend du temps. Et en période de crise, tout repose sur l’appréciation d’un homme.
Le plan, le nucléaire : ce sont des choix stratégiques. Faire fonctionner l’interministériel également.
La démocratie est un corps fragile, malade, mais les institutions, le lien pouvoir démocratique et politique sont une armure, une « minerve » : le cadre institutionnel de la décision est essentiel. Articuler les deux temps, politique et administratif. Se dépolit la puissance institutionnelle, qui est aussi puissance réformatrice.
Encore une question : Charles de Gaulle agit dans une société dans les années 1960 où l’État est plus centralisé, moins interpellé, bénéficie de plus de crédit, de confiance, qui donne du temps pour réfléchir et agir. Actuellement, il y a une soumission du politique à l’immédiateté des médias (réseaux sociaux), mais ces réseaux sociaux sont remis en cause aujourd’hui.
Peut-on envisager que le politique et le président en particulier puisse s’extraire de cette dictature de l’immédiateté, ne plus twitter … Est-ce envisageable, souhaitable ?
Hervé Gaymard pense que c’est souhaitable, que la dictature de l’instantané est délétère. Pour lui, les chaînes d’information en continu sont presque pires que les réseaux sociaux. Il faut créer de l’événement quand il n’y en a pas. Cela suscite de faux experts. C’est une vermine de la démocratie ? il n’est pas sûr que l’on puisse la réduire. Le courage des gouvernants doit être, tout en informant, de résister à la pression d’intervenir à tout bout de champ sur tous les sujets : cela recréerait de la crédibilité. Édouard Philippe a eu le courage politique de dire dans la crise covid : « sur ce sujet, je ne sais pas ».
Selon Charles de Gaulle, il faut faire toujours confiance à l’intelligence des citoyens, et ne pas croire à leur crédulité. Il faut s’adresser à l’intelligence et pas à la prétendue crédulité des citoyens. Sinon, on est dans la dévaluation intellectuelle compétitive permanente.
Arnaud Teyssier pense qu’il y a une responsabilité du politique : quand on commence à twitter, on s’emprisonne dedans. En plus, concernant Charles de Gaulle en 1969, on peut dire ce qu’on veut de la Constitution de la Ve République, mais au moins si on veut gouverner, on peut.
Le Referendum est mal utilisé, mal compris, tout comme la dissolution : on en a fait un usage fâcheux, le politique hésite à s’en servir.
Il faut de la distance vis-à-vis des réseaux sociaux, sans anachronisme, pour mieux maîtriser temps politique. Il faut beaucoup de courage.
Question : concernant l’image de Charles de Gaulle comme héros solitaire : correspond-telle à l’image du héros roi de France ? Peut-on en faire un parallèle avec Macron Jupiter ?
Arnaud Teyssier : Charles de Gaulle ne se comportait pas comme un monarque car il n’aimait pas les courtisans.
L’élection au Suffrage Universel répondait à quelque chose de profond : il voulait resacraliser la fonction présidentielle. Il ne pouvait pas le faire par la religion (comme Richelieu), mais par le seul moyen dont il disposait : le Suffrage Universel. En plus, cela permet la réhabilitation de l’individu en tant que citoyen. La révision de 1962 permet cela.