Cinq historiens de l’art et de l’architecture discutent de l’imaginaire du château et de la ville idéale, comme expression du pouvoir du Moyen Âge à aujourd’hui.

Lucie GAUGAIN, ingénieure de recherches au CESR de Tours, docteure en histoire de l’architecture

(thèse soutenue en 2011 : Le château et la ville d’Amboise à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance (1421-1525) : architecture et société)

L’évolution de la demeure noble à l’époque médiévale

Les grands féodaux font ériger de grandes tours résidentielles, lieux d’exercice du pouvoir et de résidence qui renferment comme au donjon de Loches, cellier, grande salle, chambres, chapelle, le tout couronné probablement de hourds de bois défensifs.


Château de Loches, en Indre-et-Loire © E. Joly

Il s’agit d’une grande nouveauté, car dans la tradition antique et jusqu’à l’époque carolingienne, la tour est seulement réservée aux ouvrages défensifs, parfois funéraire (pile funéraire de Cinq-Mars-la-Pile).


La pile funéraire à Cinq-Mars-la-Pile, en Indre-et-Loire
Source : Wikipédia

A Loches, on observe la superposition des fonctions résidentielles, avec un niveau de défense réservée aux parties les plus hautes. La tour constitue un signal dans le paysage. Eriger une tour, c’est voir et être vu. Dans un contexte de société tripartite du Moyen-Age, les seigneurs livrent bataille à leurs voisins pour chercher à accroître leur pouvoir et donc étendre leur territoire en conquérant de nouvelles contrées. En construisant de telles tours, ils cherchent aussi à manifester leur capacité financière et leur ambition, à montrer leur aptitude à gouverner par la force. Juché au sommet de sa tour, le seigneur domine et administre son territoire.

Plusieurs modèles architecturaux se distinguent. Le modèle philippien, à l’extrême fin XIIe, consiste en une enceinte quadrangulaire, cantonnée de tours, dont une tour résidentielle de plus fort diamètre. Le château de Dourdan en est un exemple.


Château de Dourdan, en Essonne (Ile-de-France) © E. Joly

Le modèle en tas de chandelle se rencontre essentiellement dans les marches du Massif central, avec le château d’Anjony et le château de Val. Il représente une synthèse, associant le modèle de la tour résidence au modèle philippien avec des courtines.


Château d’Anjony, à Tournemire dans le Cantal.
Source : Wikipédia

A la fin du XIVe siècle, on assiste à un regain d’intérêt pour la tour résidence. Charles V fait construire le donjon de Vincennes.


Château de Vincennes © E. Joly

Le duc de Bretagne édifie Largoët-en-Elven, dont la tour fait plus de 50 m de hauteur, sans sa toiture, avec un diamètre de près de 20 m. Les évêques de Soissons font construire aussi leur propre tour résidentielle, à Septmonts. Au début du XVe, on trouve ce modèle architectural chez des seigneurs qui souhaitent se tourner vers un modèle ancien, pour souligner l’ancienneté de leur famille (duc de Bretagne), ou pour adopter un modèle ancien pour des familles nouvellement anoblies (tour de Trèves construite par le chancelier de Charles VII, Robert le Maçon).


Forteresse de Largoët, à Elven, dans le Morbihan
Source : Wikipédia


Château de Trèves, à Chênehutte-Trèves-Cunault, en Maine-et-Loire
Source : Wikipédia


Le donjon de Septmonts, dans l’Aisne
Source : Wikipédia

Une nouvelle ère, à la fin du règne de Charles V, s’ouvre (entre 1380 et 1425 environ). De grands rois bâtisseurs (Louis XI et François Ier) développent un art de cour, à Paris ou en Val de Loire.
Au cours de cette période, en marge des tours résidences qui connaissent un renouveau, émerge un nouveau modèle : le palais de cour. Charles entreprend la reconstruction du Louvre tout en conservant l’enveloppe castrale de Philippe Auguste. Il nous est connu au travers de son iconographie : les Très Riches Heures du duc de Berry, et La Crucifixion du Parlement de Paris.


Le Louvre
Très Riches Heures du duc de Berry
Ms. fr. 65 f°10v (détail de la miniature des frères Limbourg), Bibliothèque du musée Condé, Chantilly


Maître de Dreux Budé, La Crucifixion du Parlement de Paris
Commencé avant 1450, musée du Louvre, Paris © E. Joly

Nombre de traits communs architecturaux du Louvre se retrouvent au château de Saumur, notamment la richesse des parties hautes, avec double couronnement, multiplication des lucarnes, des épis de faîtage et des souches de cheminée, décor fleurdelisé (y compris sur les merlons et entre les créneaux). Ces éléments peints par les frères Limbourg sont aujourd’hui attestés par l’archéologie.


Le château de Saumur
Très Riches Heures du duc de Berry
Ms. fr. 65 f°9v (détail de la miniature des frères Limbourg), Bibliothèque du musée Condé, Chantilly

On observe à la fin du XIVe siècle une forte inflexion de l’architecture palatiale, centre du pouvoir et de la gouvernance. On réinterprète essentiellement les parties hautes, qui se détachent dans le ciel, pour voir et être vu, avec l’impression de dresser des châteaux sur des châteaux. Ce couronnement qui semble émaner des toitures propose une très forte mise en abyme du motif, qui devient l’expression même du pouvoir et du bon gouvernement, que l’on reconnaît au juste équilibre de ses formes et à sa proximité avec le ciel.
A la fin du Moyen-Age, le double couronnement (château de Langeais, d’Ussé) connaît un grand succès et caractérise le paysage ligérien.


Château d’Ussé, en Indre-et-Loire
Source : Wikipédia

Ce dispositif permet d’aménager de nouvelles pièces dans le château. Ce sont des chambres hautes, de 2 à 4 mètres carrés, chauffées, placées au sommet des tours (château du Plessis-lès-Tours), accessibles par la principale tour d’escalier. Ces très petites pièces sont dédiées au travail, à la réflexion. Les logis princiers s’installent sous les combles. On peut se demander si l’investissement de ces parties hautes n’est pas liée à la volonté de tendre vers les cieux.


Château de Plessis-lès-Tours
Source : Wikipédia

La construction de la tour de Babel avait pour ambition première d’élever un temple qui permettrait d’approcher Dieu, de faciliter la communication avec le divin. Dans cette idée, le seigneur féodal dans sa chambre haute gouvernerait-il mieux en s’approchant de son propre Seigneur ? A l’image de Chambord, le prince de pouvoir divin ne s’inscrit-il pas mieux dans le cosmos en tendant vers une spiritualité, en habitant entre ciel et terre, en se plaçant à proximité du souverain des cieux.


Château de Chambord © E. Joly

Delphine RABIER, docteure en histoire de l’art, spécialiste de la peinture des anciens Pays-Bas et de la mystique flamande, ATER à l’Université de Tours et au CESR

A partir de quelques représentations picturales de l’architecture du XVe siècle, l’exposé cherche à montrer les rapports qu’entretiennent les images de la production artistique flamande avec le gouverner. Il s‘agit de s’intéresser au symbole des pouvoirs sacré et civil, mis en scène dans ces images où le rendu de l’architecture et du paysage participe à fournir un portrait complet de la puissance et de la supériorité politique et religieuse du personnage représenté.

Le polyptyque de L’Agneau mystique des frères van Eyck

Le monumental polyptyque de l’Agneau mystique, commandé aux frères van Eyck par Joos Vijd et son épouse Elisabeth Borluut, se compose de 12 panneaux de chêne. Il se trouvait à l’origine dans la chapelle Vijd de l’église Saint-Jean-Baptiste, aujourd’hui cathédrale Saint-Bavon à Gand. Le commanditaire a connu une brillante carrière politique. Il est admis dans la bourgeoisie locale et devient échevin, diplomate et bourgmestre. L’œuvre est achevée en mai 1432. A travers ce retable, le couple affirme tant ses aspirations sociales que religieuses.


Joos Vijd
Hubert et Jan van Eyck, L’Agneau mystique (détail), cathédrale Saint-Bavon, Gand
Source : site web : Closer to Van Eyck, rediscovering the Ghent Altarpiece

Par la représentation très fidèle de la ville de Gand et un traitement très précis du rendu de la lumière, van Eyck fait dialoguer le polyptyque et l’architecture dans laquelle il se situe. La majeure partie du temps, le retable est fermé durant la semaine et le carême. On y voit les deux saint Jean (traités en grisaille) entourés par les deux donateurs agenouillés et en prière. La partie supérieure est consacrée au thème de l’Annonciation.


Hubert et Jan van Eyck, L’Agneau mystique (retable fermé), cathédrale Saint-Bavon, Gand
Source : site web : Closer to Van Eyck, rediscovering the Ghent Altarpiece

Au centre de cette scène, on distingue une fenêtre ouverte qui laisse voir une ville. Selon le procédé de réactualisation de l’événement sacré, il s’agit bien d’une ville flamande qui apparaît sous nos yeux. Le degré de précision est tel que l’on peut aujourd’hui identifier cette ville à celle que dirigeait Joos Vijd à Gand. La vue de la ville du retable de Gand présente un caractère historique puisque l’on peut reconnaître un quartier de la cité.


Hubert et Jan van Eyck, L’Agneau mystique (détail), cathédrale Saint-Bavon, Gand
Source : site web : Closer to Van Eyck, rediscovering the Ghent Altarpiece

On sait que cette représentation correspond à la vue que Joos Vijd et son épouse avaient réellement depuis le second étage de leur demeure. En établissant un lien direct entre l’œuvre et la ville dans laquelle elle se trouve, l’artiste a ainsi intégré l’incarnation du Christ dans la réalité quotidienne de l’observateur. Cela souligne aussi le pouvoir du commanditaire : c’est bien dans sa ville prospère et calme que le Christ pourra voir le jour.


Hubert et Jan van Eyck, L’Agneau mystique (détail), cathédrale Saint-Bavon, Gand
Source : site web : Closer to Van Eyck, rediscovering the Ghent Altarpiece

Le caractère intemporel du pouvoir du donateur prend une nouvelle dimension lorsque l’on ouvre le retable. L’ensemble traite de la Rédemption universelle.


Hubert et Jan van Eyck, L’Agneau mystique (détail), cathédrale Saint-Bavon, Gand
Source : site web : Closer to Van Eyck, rediscovering the Ghent Altarpiece

Avec le détail de la fontaine, qui fait référence à l’Apocalypse, van Eyck crée un contact avec l’emplacement originel du retable, grâce à la lumière. En effet, au niveau de la partie métallique de la fontaine, on peut apercevoir, par un jeu subtil de reflets, la fenêtre de la chapelle Vijd. Ce détail du reflet sur un élément de décor fictif montre un lien entre l’espace de la chapelle Vijd et la Jérusalem Céleste. Pouvoir temporel et pouvoir intemporel semblent s’entremêler discrètement au cœur de l’image.


Hubert et Jan van Eyck, L’Agneau mystique (détail), cathédrale Saint-Bavon, Gand
Source : site web : Closer to Van Eyck, rediscovering the Ghent Altarpiece

Le Retable de Middelburg de Rogier van der Weyden


Rogier van der Weyden, Retable de Middelburg, vers 1445, Gemäldegalerie, Berlin
© E. Joly

Un autre tableau, attribué à Rogier van der Weyden, le Triptyque de la Nativité, montre la ville de Middelburg. Le donateur, Pierre Bladelin, trésorier de l’ordre de la Toison d’or, était un riche notable de la cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. A partir de 1440, il a acheté et fondé la ville de Middelburg. En 1444, le duc de Bourgogne promeut les terres de Bladelin en seigneurie, où il construit par la suite un château (résidence d’été à partir de 1450). Il ne reste aujourd’hui presque plus rien de cette ville médiévale. Contrairement à celle qui figure dans le polyptyque de Gand, la cité qui apparaît dans le triptyque de van der Weyden, a été idéalement représentée.


Rogier van der Weyden, Retable de Middelburg (détail), vers 1445, Gemäldegalerie, Berlin
© E. Joly

En réunissant dans une même image l’espace urbain que Bladelin a érigé et dirigé, ainsi que son portrait de dévotion, nous comprenons que cette peinture offre un réseau complexe de superposition de sens. Elle est révélatrice à la fois de la piété personnelle et de la piété urbaine de cet homme influent. Si Bladelin s’est éloigné du réseau de la ville pour entrer dans la vie intérieure et avoir cette vision de la Sainte famille, la présence de Middelburg, à l’arrière plan, nous rappelle qu’un homme de sa fonction fera sans cesse l’aller-retour entre vie active et vie intérieure.

La Vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck


Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin, vers 1435, musée du Louvre, Paris
© E. Joly

La pluridimensionnalité de la trame urbaine et de l’architecture comme symbole de pouvoir à leur représentation des tableaux de dévotion, nous amène à regarder la Vierge du chancelier Rolin.
Chancelier de Bourgogne et de Brabant en 1422, Rolin était l’un des hommes les plus riches et puissants de la cour de Bourgogne. Grand mécène et donateur de son époque, on lui doit les hospices de Beaune.
Ce tableau de dévotion était destiné à la chapelle Saint-Sébastien de l’église Notre-Dame-du-Châtel d’Autun, où se trouvaient enterrés les membres de sa famille et où il a été baptisé.


Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin (détail), vers 1435, musée du Louvre, Paris
© E. Joly

Le chancelier semble s’être idéalement transporté dans les hauteurs célestes d’une loggia sacrée. Le décor de la pièce dominé par l’arcade tripartite, symbolisant la Trinité, est organisé autour des deux thèmes centraux : le sacrifice du Christ et le salut de l’humanité.
Le jardin de la Vierge, hortus conclusus se présente comme un espace à la fois clos et ouvert. Il impose une distance entre la scène de contemplation au premier plan et l’espace profane, où se situent les deux guetteurs, tout en ouvrant sur le paysage. Il apparaît comme un espace de transition, essentiel dans le tableau, puisque c’est par son passage que la vision du dévot se purifie, avant de se diriger vers le fleuve et la ville à l’arrière plan, avant de revenir à la représentation de la vision intérieure du chancelier.


Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin (détail), vers 1435, musée du Louvre, Paris
© E. Joly

On peut reconnaître certains éléments architecturaux appartenant à la ville de Maastricht. Le commanditaire et l’artiste ont sans doute voulu un espace urbain imaginaire, puisqu’il appartient à la vision intérieure du chancelier Rolin. Dans ce paysage, la lune (dans la baie de gauche), brille en même temps que le soleil. Les quatre éléments y sont représentés (la terre, l’air, l’eau et le feu). Sur la rive droite, une tâche infime de jaune, suggère l’incendie d’une maison.
Le chancelier aurait pu exiger un portrait intime et sacré, sans réalité terrestre. Au contraire, derrière la Vierge et Rolin, le peintre a intégré dans le panorama où le fleuve scintille, une ville animée par de minuscules personnages qui vaquent à leur occupation quotidienne.


Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin (détail), vers 1435, musée du Louvre, Paris
© E. Joly

Si du côté de la Vierge, la ville dominée par une imposante cathédrale gothique peut être assimilée à la Jérusalem Céleste, du côté de Rolin se dresse un édifice religieux aux dimensions plus modestes. L’église s’élève au cœur d’une ville terrestre aux accents réalistes : des hommes, des femmes et des enfants se réunissent sur la Grand place, certains sont à pied, d’autres à cheval.
Pour qui pénètre avec attention dans cet univers, la présence des maisons, des commerces, des jardins, ainsi que des champs et des vignes bien entretenus, peuvent être lus ensembles comme une allégorie du bon gouvernement, que seul le chancelier pourrait diriger.


Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin (détail), vers 1435, musée du Louvre, Paris
© E. Joly

Le portrait de Rolin ne peut être lu sans son arrière plan, où apparaissent paysage et architecture qui doivent être perçus comme des symboles de pouvoir. A travers cette représentation réelle, imaginaire et allégorique, le chancelier met en scène les vertus salvatrices de son pouvoir et donc de son bon gouvernement sur ses possessions.

 

Olivier PRISSET, doctorant allocataire à l’Université de Tours

(Thèse en préparation : Alfred, Henry et Louis Dauvergne (1851 – 1937) : Expansion et réussite familiale d’une agence d’architectes)

Le XIXe siècle est le siècle d’or pour les châteaux, en raison du nombre de constructions.

Comment définir un château à la période contemporaine ? Où se situe la limite entre château, forteresse, et manoir ? Dans les dictionnaires de la fin du XVIIIe siècle, la définition renvoie au système féodal (position de défense), au manoir principal d’un fief, au lieu de justice du seigneur. Avec la Révolution française, selon ces définitions, le château disparaît. Il ne reste alors plus que des manoirs. Au XIXe siècle, la maison de plaisance (notion qui existe depuis les années 1640), dédiée au délassement, se développe.
Depuis les années 1750, avec le goût pour le néoclassicisme, le château doit faire la preuve de sa viabilité, dans l’esprit des Lumières. Au sortir des guerres napoléoniennes, le château est un espace à réinventer et à réinvestir.
Le Parlement de Grande-Bretagne (palais de Westminster par Charles Barry et Auguste Pugin), dans un style néo-Tudor, correspond à la notion de gouverner encore depuis un château. Autre exemple, le parlement hongrois.
Le château gothique va passer par la commande privée. Le château de Challain-la-Potherie (1847-1854, René Hodé, architecte) constitue un vrai manifeste royaliste. Pour la noblesse légitimiste, le château prévaut par sa valeur de représentation.

Château de Challain-la-Potherie
Source : Wikipédia

Le château de Schwerin est un pastiche de Chambord. Ici l’idée du pouvoir, du monarque qui revient sur ses terres, est davantage convoquée que le château français.

Château de Schwerin, en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale
Source : Wikipédia

Le château de Pierrefonds est destiné au Prince impérial par Napoléon III. A défaut d’être un château de gouvernement, il a pour vocation d’être une résidence de plaisir.

Maquette du château de Pierrefonds © E. Joly

Sur le thème de l’imaginaire du château, la figure de Louis II de Bavière a toute sa place, avec la reconstruction de Neuschwanstein. Son père avait réédifié le château d’Hohenschwangau à proximité. Ces hommes de pouvoir se retranchent dans la nostalgie d’une période médiévale rêvée.

Château de Neuschwanstein, en Bavière
Source : Wikipédia

A l’image de Louis II, le château du Haut-Koenigsbourg (restauré entre 1900 et 1908), en Alsace, est le pendant prussien. Guillaume II s’est investi dans la reconstruction archéologique de ce château afin de marquer son emprise à l’ouest de son État. On peut y voir un symbole opérationnel de la politique du pangermanisme. Pourtant, à cette époque, la noblesse allemande montre son goût pour le style néofrançais. Le château de Neudeck, le Versailles de Haute-Silésie (dans l’actuel Pologne, mais aujourd’hui détruit), avait été construit par l’industriel allemand Henckel von Donnersmarck, la deuxième plus grande fortune allemande.

Château de Neudeck, avant son incendie en 1945
Source : Wikipédia

D’autres exemples sont présentés par Olivier Prisset dans un « style château » (« chateauesque ») : aux États-Unis, le domaine Biltmore (Richard Morris Hunt, architecte) à Asheville en Caroline du Nord ; le château de Frontenac à Québec (Bruce Price, architecte, 1892-1893), les châteaux de l’industrie comme la filature Motte-Bossut à Roubaix (1843-1845). Le château de Voisins à Saint-Hilarion dans les Yvelines, celui d’Artigny à Montbazon au sud de Tours. En dépit de leur architecture, le modernisme domine ces demeures.
Le château a survécu dans le gratte-ciel…
Olivier Prisset achève sa présentation avec l’évocation du château « Louis XIV » (2008-2011) à Louveciennes, pastiche de Vaux-le-Vicomte, construit par Mohammed ben Salmane, qui aurait coûté 275 millions d’euros.

Domaine Biltmore à Asheville en Caroline du Nord
Source : Wikipédia

Château de Frontenac à Québec
Source : Wikipédia

Ancienne filature Motte-Bossut à Roubaix (aujourd’hui Archives nationales du monde du travail)
Source : Wikipédia

Margot RENARD, docteure en histoire de l’art contemporain

L’imaginaire des symboles du pouvoir dans les productions animées des studios Walt Disney à travers les représentations de l’architecture.

Au regard de la présence très forte de l’architecture dans les films d’animation, il existe peu d’études sur ces questions.
L’imaginaire construit par Walt Disney offre un regard nostalgique (à rebours des phénomènes de mode), mais aussi optimisme. Pour produire l’armature contextuelle de ses récits, Disney fait ressurgir un ordre social ancien, un mode de gouvernement monarchique (obsolète).
D’un point de vue esthétique, la référence à l’art européen (français et germanique) est évidente (Blanche Neige et les sept nains, 1937 ou La Belle et la Bête, en 1991). Les studios se sont inspirés de Pierrefonds et de Neuschwanstein. Ils s’appuient sur une architecture qui elle-même, déjà, revisite un imaginaire du château médiéval et Renaissance.
Le château de La Belle au bois dormant s’inspire du Louvre, tel qu’il est représenté par les frères Limbourg dans les Très Riches Heures du duc de Berry.
Dans Frozen (La Reine des neiges, 2013 puis 2019), le château d’Arendelle s’inspire de l’art scandinave. La princesse rejette le joug du pouvoir et cherche un nouveau destin où elle crée son lieu de pouvoir qui s’avère être un château de glace !
Toutes ces références sont puisées dans des ouvrages regroupés dans une immense bibliothèque réservée au personnel. En effet, Walt Disney a entrepris un tour d’Europe où il a récolté des ouvrages d’architecture.

Eric Joly pour les Clionautes