Composé par Marc De Velder et Corinne Buisson en coopération.

Avec 3 intervenants : Pierre Musso (université de Rennes); Marc Lazar (Sciences Po Paris) et Marie-Anne MATARD BONUCCI (Université de Paris VIII).

Premier intervenant : Pierre Musso

Silvio Berlusconi est propriétaire de 3 chaînes de télévision : Canale 5/Italia 1 et Rete 4. Son arrivée en politique correspond à la fin du monopole de la télévision publique de 1945 à 1974.

Son ascension de 1974 à 1994.

Le 10 juillet 1974, la Cour Constitutionnelle autorise les télévisions privées; une télévision pirate émettait dans le Piémont depuis 1971.

En 1975, les trois chaînes publiques correspondent à 3 partis, Rai 1 pour la Démocratie Chrétienne; RAI 2 pour le PSI (socialistes) et Rai 3 pour le PCI (communistes). C’est le système de lottizzazione qui est largement critiquable…

En 1978, Berlusconi crée la Holding Financière FININVEST.

En 1980, Berlusconi crée Canale 5 et une régie publicitaire PUBLITALIA.

En 1986, il achète le club de football du Milan AC et les magasins La Standa.

En 1990; il achète la maison d’édition Mondadori. Les lois de 1990 et 2004 confortent son empire médiatique.

En 1994, Silvio Berlusconi crée Forza Italia avec les cadres de son entreprise.

Il se lance en POLITIQUE avec ses moyens médiatiques, industriels et financiers.

De 1994 à 2011, le Cavaliere concentre tous les pouvoirs : médiatique, financier et politique!

De la Néo Télévision , définie par Umberto Eco en 1983, qui combine animateur à la fois star et copain; la télé-réalité est le fait de raconter des histoires avec des héros (una stora italiana en 1993 pour Berlusconi); on passe à la néo-politique qui combine : l’imaginaire télévisuel, le personnage télé réel, le culte du corps du chef (exemple : l’obsession capillaire); le président entrepreneur et le storytelling.

C’est l’Italie rêvée au travers du rêve berlusconien du SELF MADE MAN !

Berlusconi est au pouvoir pendant 11 ans mais sur 3 moments : 1994; 2001 à 2006 et 2008 à 2011.

On peut le considérer comme l’inspirateur à la fois de Nicolas SARKOZY et de Donald TRUMP !

Deuxième intervenant : Marc Lazar.

Il a des points d’accord avec Pierre Musso : l’importance de l’Opération Mani Pulite ( Mains Propres) de 1992 à 1994 qui poursuit un député sur deux et un sénateur sur trois et chamboule les 3 partis majoritaires : la DC, le PSI et le PCI; la révolution médiatique de Berlusconi en 1994 et l’idée de Forza Italia comme laboratoire d’invention, qui sert de modèle dans les autres pays.

Mais il a aussi de fortes divergences avec Pierre Musso : l’empire médiatique : est-ce pour cela uniquement qu’il a gagné ? De plus, Berlusconi n’a jamais été majoritaire mais a eu besoin d’alliances. Enfin, la corrélation RAI/opposition et Télés Berlusconi/ Majorité ne marche que pour la ménagère de plus de 50 ans, totalement influencée par la télévision.

Il faut prendre au sérieux le berlusconisme et le contenu de son programme.

– la défense de la famille traditionnelle ( mais pas celle de sa vie privée)

– le discours anticommuniste et l’attaque des « juges rouges ».

– le discours libéral (même s’il l’est très peu une fois au pouvoir).

-le discours pro-européen (mais il fera le contraire).

-l’attaque des impôts qu’il faut réduire.

En 1994, il s’allie à la Ligue du Nord; et en 2006, il dédiabolise le fascisme d’extrême-droite d’Alliance Nationale, toujours avec la Ligue.

Il est battu deux fois par qui ?

Par Romano Prodi qui ne suit pas ses recettes, est d’un ennui mortel à la télévision MAIS est très compétent, très honnête et a un vrai projet politique. C’est l’ANTI BERLUSCONI !

Enfin en 2011, son modèle est usé, il n’a pas compris la révolution numérique et l’importance des réseaux sociaux, ce qui le différencie d’Obama ou de Trump.

Au contraire, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles jouent à fond les nouveaux moyens…

Pierre Musso intervient en fin de cet exposé pour rappeler  que ce qui l’intéresse et justifie son analyse, ce n’est pas de savoir si Berlusconi a gagné ou pas, mais d’étudier sa réponse à la crise politique et surtout de déterminer en quoi sa stratégie a été innovante. Il établit également un parallèle entre Berlusconi et Prodi, puisque ce dernier incarne également le rôle d’un chef d’entreprise, mais un « chef d’entreprise publique», ce qui ne lui semble donc pas contredire ses analyses selon lesquelles le culte du chef soit  une réponse à la crise des systèmes politiques dans les démocraties et une réponse au vide. Enfin, il estime que pour expliquer l’échec de Berlusconi face à Prodi, il faut également prendre en compte l’usure du pouvoir.   

Troisième intervenante : Marie Anne MATARD BONUCCI.

Contrairement à ses prédécesseurs, ses discours se caractérisent par l’absence de toute référence à une période précise de l’histoire mais incluent de nombreuses « petites histoires » et « plaisanteries ». Berlusconi se vante d’ailleurs de collectionner les blagues comme il collectionne les femmes. La récurrence des ces « blagues » ont fini par le caractériser. En écho, Berlusconi photographié ou filmé par exemple à la plage, en maillot avec sa petite bedaine, a fabriqué l’image d’un « je suis comme vous » et ont contribué à forger l’image d’un homme jovial.
        En analysant la rhétorique de ses blagues, des sujets sont particulièrement récurrents: ses blagues concernent les femmes, la deuxième guerre mondiale avec de nombreuses références à la Shoah et au racisme. Ainsi,  Berlusconi interrogé sur la politique diplomatique de l’Italie face aux Etats-Unis n’a pas hésité à qualifier Obama de « président jeune, beau et… bronzé ». Précisant ensuite  qu’il aurait pu « dire que Poutine est petit, Medvedev aussi et moi-même d’ailleurs, et c’est vrai », il a de facto ainsi affirmé qu’être bronzé est un défaut, ce qui laisse songeur.  
        Mises en perspective avec d’autres interventions, discours ou documentaires, ces « blagues » prennent une autre dimension. Dans un discours prononcé le 27 janvier 2012 à l’occasion de la commémoration de la Shoah sur le quai de la gare, Berlusconi a complètement atténué la responsabilité de Mussolini. Son « gouvernement »  aurait eu peur d’Hitler et se serait vu imposer les lois raciales comme la participation à l’extermination des Juifs. Ce faisant, non seulement Berlusconi a présenté le fascisme comme un régime dans lequel le pouvoir du chef était limité, mais il a encore profité de l’occasion pour affirmer que dans bien des domaines, la politique de Mussolini avait donné d’excellents résultats. Ce faisant, il n’a pas hésité à contribuer à rétablir et légitimer le fascisme.
        Ce qui pose une question. Dans quelle mesure l’a-t-il fait dans une dimension électoraliste? A-t-il simplement récupéré ou surfé sur une vague fasciste qui se développe depuis la « crise de l’anti-fascisme des années 1990« ? Il y a bien une défascisation du fascisme que l’on retrouve également face à l’hitlérisme comme au communisme et induit plusieurs formes de révisionnismes, qui passe par différentes phases.
        En conséquence, la rupture de style nette avec Berlusconi correspond également à une stratégie bien préparée. S’il contribue à la réhabilitation et la banalisation du fascisme, il s’affranchit également de l’Histoire comme des valeurs sur lesquelles la République italienne a fondé son histoire récente. En définitive, contribuant à modifier les mémoires, son objectif semble être la fabrication d’un « peuple sans mémoire », la disparition de la Mémoire.  
En conclusion, on peut se demander si Matteo Salvini est dans la continuité de Berlusconi, qui lui même doit son début de carrière à Bettino Craxi du PSI…On peut aussi s’interroger sur la banalisation du fascisme dans l’Italie de 2019/2020…