Introduction :

Enrico Letta a été premier ministre italien du 28 avril 2013 au 22 février 2014, au moment de la crise de l’euro et de la crise migratoire, après la démission de Silvio Berlusconi en novembre 2011.

Il est membre du Parti Démocrate, donc pro-européen et de gauche. Il est né à Pise mais élevé par un père professeur de mathématiques à Strasbourg. Un vrai européen, par conséquence…

 

Présentation générale :

« Faire de la magie en politique », c’est une spécialité italienne. Ces derniers temps, les relations France/Italie ont été tendues entre Matteo Salvini et Emmanuel Macron; et les relations Italie/UE plus que mouvementées !

Il nous faut revenir sur les conséquences de la période 2011/2014, que l’Italie paye encore…

« Ce sont de véritables tremblements de terre économiques et migratoires » qui secouent l’Italie en avril 2013; alors que le gouvernement est une alliance Parti Démocrate/ Forza Italia. Le système parlementaire pur italien oblige à des alliances qui ont une durée de vie d’un an, en moyenne.

En juillet 2013, Silvio Berlusconi est condamné par la justice; il demande à Enrico Letta des lois pour le protéger, ce dernier refuse d’utiliser le législatif pour protéger un individu. Les tensions montent entre les deux partis, ce qui provoquera la chute du gouvernement Letta après 9 mois et 25 jours.

Enrico Letta se reconnaît plusieurs influences de personnalités européennes phares comme Romano PRODI, Jacques DELORS, Helmut KOHL et même le PAPE FRANCOIS qui en juillet 2013 fait un voyage prémonitoire sur l’île de Lampedusa où il aborde la question migratoire; avant que Lampedusa ne soit au centre de l’actualité à partir d’octobre 2013.

A l’époque, ces enfants migrants qui meurent dans la mer provoquent une émotion importante. En 2019, nous sommes devenus des « monstres de cynisme » et nous refusons l’accueil des migrants.

Première Question : pourquoi avoir quitté la politique ?

Il est temps pour moi d’avoir un métier. La politique ne PEUT PAS être un métier !

Avant, un homme politique avait devant lui 40 ou 50 ans de carrière. En 2019, cette durée est beaucoup plus brève, la lassitude de l’opinion publique rend les expériences politiques beaucoup plus courtes. Matteo Salvini dans son alliance avec le mouvement 5 étoiles a tenu 15 mois au pouvoir, de juin 2018 au 5/09 2019. Il a été renversé par une alliance Parti Démocrate/ Mouvement 5 étoiles !

Enrico Letta explique à ses étudiants de sciences po à Paris, que pour prendre des décisions compliquées, il faut être libre; et pour cela, il faut avoir un autre métier, ce qui permet de refuser une décision politique. Sinon, on accepte tout pour rester au pouvoir !

Deuxième Question : quelles sont vos solutions pour l’UE dans votre livre Faire l’Europe dans un monde de brutes ?

Deux idées majeures :  donner le droit de vote à 16 ans et élargir le programme ERASMUS, grand succès mais qui n’a touché que 3 millions de jeunes en 30 ans. Chaque jeune européen doit avoir la possibilité de partir 3 ou 4 mois dans un autre pays européen; et pas seulement des étudiants, des élèves de grandes écoles ou de sciences po. Car il faut combattre la méfiance envers tout ce qui est cosmopolite et international.

Les élections en France, en Italie et au Royaume Uni montrent un clivage entre grandes villes et petites villes, entre un mode ouvert sur l’Europe et un monde fermé sur un nationalisme étroit.

Pour justifier le droit de vote à 16 ans qui est une proposition clivante, il faut donner deux chiffres : en 1946, les jeunes étaient deux fois plus nombreux que les seniors de plus de 65 ans; en 2019, ils sont deux fois moins nombreux… Les intégrer à 16 ans, alors qu’ils manifestent déjà contre le réchauffement climatique, c’est rééquilibrer un peu cette société vieillissante, surtout en Italie.

Sinon, on sera une société de retraités; et on ne pensera pas assez à l’avenir et aux jeunes.

Troisième Question : quelle est votre réaction face à l’essor du populisme ?

Matteo Salvini, comme Viktor Orban ou Donald Trump, créent un ennemi politique et construisent l’ensemble de leur message dessus; c’est la dérive populiste la plus simple de prendre comme bouc émissaire le réfugié ou l’immigré mexicain.

Cela fait que la visite de Xi Jinping en Europe se fait seulement avec des italiens à Rome; alors qu’il rencontre Macron, mais aussi Merkel et Junker à Paris. L’Europe est à Paris !

Anecdote significative : à la mission catholique italienne de Strasbourg, le dimanche matin se mélangent les immigrés de classe populaire comme les maçons et les hauts fonctionnaires et diplomates. C’est ce mélange social qu’il faut promouvoir !

L’Europe est pluri-identitaire et c’est une richesse. Je suis fier d’être de Pise, d’être Toscan mais aussi d’être Italien et Européen. L’Europe est malade, elle doit devenir ADULTE !

En 1960,’ 21% des habitants du monde étaient européens et 6% africains.

En 2019, c’est l’inverse. l’Europe doit réagir ou décliner. Le populisme n’est pas la solution !

Quatrième Question : quels sont les défis pour l’avenir de l’Union Européenne ?

Nos données de nos mobiles sont stockées en Californie, en Chine ou en Corée du Sud. C’est le « pétrole du futur » et où est le Modèle Européen ? Que fait-on de la construction culturelle européenne ?

Nos deux défis sont l’humanisme technologique et la question environnementale.

Imaginons un instant 28 Brexit (pas 28 Boris Johnson, c’est impossible à imaginer)…

Nous serions alors 28 colonies, soit de la Chine; soit des Etats-Unis !

C’est une énorme responsabilité. Il faut renouer avec les citoyens, il faut « débruxelliser » l’Europe.

Rendons par exemple les Conseils Européens itinérants dans les diverses capitales européennes et pas toujours à Bruxelles !

Delors avait raison, il faut une fédération d’Etats Nations. Il faut ajouter les Nations et pas les effacer !

Nous devons faire une Europe à plusieurs vitesses; les 19 pays de la zone euro doivent avancer plus vite. L’Harmonisation fiscale doit se faire contre le Luxembourg, les Pays Bas et l’Irlande ( puisque Londres et Jersey quittent l’UE avec le Brexit). L’Irlande doit être forcée de toucher les 13 milliards d’euros de la condamnation d’Apple.

Conclusion :

« Letta, c’est moi !  » conclut le conférencier, dans un clin d’oeil à Louis XIV, qui provoque les rires et les applaudissements de la salle. Une heure très agréable de grand entretien qui permet de mieux comprendre la politique italienne et la politique européenne…

Attention à la règle du plus fort que Trump, Erdogan et Modi établissent à leurs frontières. Les élections américaines de novembre 2020 sont très importantes pour l’UE : Warren pourra t-elle battre Trump et changer les relations américano-européennes ?