La table ronde réunit Pierre-François Souyri, spécialiste de l’histoire du Japon, Johann Chapoutot, spécialiste de l’histoire du nazisme, et Valéria Galimi, chargée de recherche en histoire contemporaine à l’université de Florence, spécialiste de l’empire colonial italien. Christian Ingrao, qui a la fonction de modérateur, invite chacun des intervenants à s’exprimer pendant une dizaine de minutes.

Le colonialisme italien

Valéria Galimi présente l’histoire du colonialisme italien comme « la longue histoire de tentatives et d’échecs ». Elle rappelle quelques grandes dates :

  1. La gifle de Tunis, une des tentatives de prendre part à la division de l’Afrique du Nord, le début d’une rivalité avec la France. L’Italie se concentre ensuite sur la colonisation de la corne de l’Afrique. 1896.

1896. Adoua. L’Italie change alors d’orientation et se tourne vers la Libye dont commence la conquête, qui va durer jusqu’à 1934. Le projet colonial italien a donc débuté à la fin du 19e siècle dans l’Italie libérale. Cette politique est reprise et amplifiée par le fascisme, pour des raisons idéologiques et bellicistes

1931. Le Japon instaure un état fantoche en Mandchourie, reconnu par… le Japon et le Vatican.

1935. Agression contre l’Ethiopie

6 mai 1936. Mussolini déclare qu’il existe désormais un empire italien ; le roi Victor Emmanuel trois est proclamé empereur. C’est à cette époque que le régime fasciste bénéficie d’un consensus social maximum.

La politique coloniale italienne a alors trois objectifs : résoudre la crise économique, affirmer l’idée d’empire, mener à bien la « mission civilisatrice ».

  1. L’Albanie sera le dernier territoire occupé.

En conclusion de son intervention Valéria Galimi affirme le profond renouvellement de l’historiographie du fascisme dans une période récente, très largement ignorée en France par manque de traduction. Néanmoins ce renouvellement a peu concerné la politique étrangère et la politique coloniale, à l’exception d’études sur la société coloniale.

Le colonialisme japonais

Pierre-François Souyri rappelle que l’Etat japonais s’est construit de manière expansionniste, vers le nord d’abord (Hokkaido), puis vers le sud (archipel des Ryukyu avec Okinawa). Ces deux territoires sont les seules colonies japonaises stricto sensu. Les Japonais ayant constaté que, si les Occidentaux sont plus forts sur la scène mondiale, c’est parce qu’ils sont mieux armés, décident, pour être reconnu égaux aux Occidentaux, de se doter d’une armée efficace, munie d’un bon service de renseignement et capable de déployer des troupes. Il est vrai que les Occidentaux vont alors porter un autre regard sur les Japonais et procéder à une révision des traités inégaux.

Le Japon devient une puissance coloniale, agresse ses voisins, en commençant par la Chine. La victoire est totale, les Occidentaux les freinent et les obligent à négocier. Le Japon perd toute influence sur la Corée, sur la Mandchourie, mais on lui donne Taiwan qui était une colonie chinoise. Le Japon exploite, investit, développe les territoires.

1904-1905. Guerre russo-japonaise. La Corée devient un protectorat et la Mandchourie est annexée.

1941. Arrivée des Japonais dans les colonies occidentales : Indochine, Malaisie, Indonésie. L’effet des images montrant les Japonais vainqueurs des Occidentaux est immense. L’impérialisme blanc est pour la première fois vaincu.

1945. Effondrement total de l’empire colonial. Les Alliés entendent se réinstaller mais on va assister au début du mouvement de décolonisation.

Le colonialisme allemand

Johann Chapoutot évoque « la rencontre inachevée entre les Allemands et le colonialisme », et se propose de déterminer les facteurs de « non projection coloniale » : tradition continentale, division en une multitude d’Etats, absence de traditions maritimes. La Hanse ne peut être une objection dans la mesure où elle illustre plutôt une tradition fluviale, de cabotage dans la Baltique. Il y eut certes une tentative de colonisation en 1683 de la part de la Prusse, par imitation de Louis XIV, une expédition aussi sur la côte ouest de l’Afrique. Mais la colonisation ultra marine ne débute qu’à partir de 1871. Bismarck n’est pas intéressé, il estime que coloniser aboutit à dilapider les forces allemandes. Les initiatives privées furent donc essentielles ; elles furent ensuite soutenues par des interventions du Reich qui accorda sa protection, ainsi la Tanzanie la Namibie puis la Chine furent-elles l’objet d’intervention allemandes. Par contre Guillaume II veut faire du Reich un Reich mondial avec un empire colonial ; on assiste donc à des initiatives d’Etat à partir de 1890.

Mais c’est vers l’Europe continentale que l’Allemagne entend principalement se tourner. L’imaginaire de l’Est est très fort ; la loi de 1886 prévoit la germanisation par la colonisation. A partir des années 1890 les élites allemandes prennent conscience de l’expansion démographique : + 67 % en 43 ans. Apparaît alors la thématique du peuple sans espace, la race germanique a besoin d’un biotope qu’il lui faut conquérir. Cette conquête est d’autant plus justifiée que le racisme est très fort à l’égard des populations de l’Europe centrale et orientale (homothétique à celui de la France pour les Arabes et les Noirs).

Johann Chapoutot insiste sur le fait que c’est l’Allemagne qui a gagné la guerre à l’Est en 1918 : la victoire est absolue et le traité de Brest-Litovsk est un triomphe.

Approche comparative

La seconde partie de la table ronde est consacrée à une approche comparative des politiques coloniales. De  cet échange, nous retiendrons ici les éléments qui nous ont semblé majeurs.

Au milieu des années 1930 l’Italie mit en place une politique d’administration coloniale basée sur la race. En 1936-1937 furent promulguées des lois racistes établissant une sorte d’apartheid.

Les Japonais « ne savent pas administrer ». En conséquence, ils envoient des expéditions pour étudier les modèles français et anglais d’administration coloniale. Ces expéditions comprennent des anthropologues, des archéologues, des historiens. Ils choisissent plutôt le modèle français de « despotisme colonial ». A Taiwan, où il n’y avait pas d’Etat avant la conquête, les choses se passent plutôt bien pour les Japonais, mais en Corée qui disposait d’un très ancienne Etat, des résistances se font jour.

Les Japonais créent des universités dans les colonies. Le projet des Japonais est « développementiste » : tout en exploitant, il s’agit de développer la colonie. De cette époque datent les fondements de l’industrialisation de Taiwan, de la Corée et de la Mandchourie. La logique est donc très différente de celle de l’Italie et de l’Allemagne. Etre japonais c’est être de langue et de culture japonaise, et cette culture peut s’acquérir. Les Japonais veulent donc faire des Coréens et des Taiwanais, des Japonais. Il ne s’agit pas d’une conception raciale. L’idée de marier des Japonais à des Coréennes est tout à fait admise, mais jamais l’inverse néanmoins. L’asiatisme consiste à unir les peuples d’Asie pour chasser les blancs hors d’Asie. Les Japonais étant le peuple le plus avancé, cela peut se faire sous leur direction. Les Chinois étant asiatiques, l’idée d’attaquer la Chine n’a pas été populaire, alors que l’attaque des Etats-Unis en décembre 1941 a été très populaire.

J. Chapoutot établit une différence entre l’Empire et Reich. Le Reich n’est pas seulement un espace est une structure politique. Parler d’Empire, c’est « se projeter en dehors de l’histoire, dans un au-delà qui permet