Attaqué d’emblée pour son manque d’expérience et le contexte difficile de son arrivée rue de Grenelle, Gabriel Attal s’est fait fort durant la torpeur estivale d’apparaître sur tous les fronts, de la visite d’écoles incendiées pendant les émeutes au voyage dans l’hémisphère sud pour accompagner la rentrée précoce de La Réunion, en passant par la traditionnelle grand-messe de la conférence aux recteurs. Sur le terrain de la communication, on peut difficilement trouver à redire.

Toutefois, la situation de l’Éducation nationale est à ce point grave que la seule communication n’y suffira pas. Il y avait les failles bien connues de l’École, le double décrochage du niveau des élèves et de la rémunération des personnels, la lourdeur administrative à tous les échelons, l’incapacité à embrasser les grands défis technologiques du XXIème siècle… Il y avait aussi l’impossible service après-vente des grandes réformes de ces cinq dernières années, dont aucune n’apporte satisfaction, que ce soit celle du Baccalauréat ou de la « revalorisation historique » des traitements. Depuis la semaine dernière, s’ajoute l’exercice de commentaire composé des déclarations tendancieuses du Président de la République au Point, dont on ne sait si elles resserrent le nœud gordien ou si au contraire, elles n’offrent pas une diversion bienvenue aux problèmes cités plus hauts.

Fin des épreuves de spécialité en mars, fin des problèmes ?

La première annonce de taille est tombée la veille de la conférence de rentrée avec la fin des épreuves de spécialité en mars et le retour au grand chelem des compositions de juin. Nous ne pouvons pas dire que nous soyons surpris. Cela fait plusieurs mois que c’était sur toutes les lèvres. Ainsi s’achève un suspense qui n’en finissait pas et qui risquait une fois encore de parasiter nos premières semaines de travail.

Cette décision, nous la soutenons, parce qu’en l’état, c’était la moins mauvaise des options sur la table. Les épreuves en mars causaient un dommage exorbitant pour un bénéfice dérisoire. Renseigner Parcoursup pouvait s’entendre à condition d’avoir une harmonisation de l’examen entre les spécialités. Ce n’était pas le cas et c’était manifestement vain de l’espérer. Dans l’affaire, la réforme vient de subir, après l’abandon des épreuves communes de contrôle continue (E3C), son second grand revers et il est infligé par… le Président de la République lui-même. Il n’a échappé à personne que l’annonce est venue de l’Élysée.

Si le report en juin est fondé, il ne met pas fin à tous les problèmes. Le bac Blanquer a tellement modifié le lycée que toucher un détail bouleverse en réalité tout l’édifice. D’abord, désormais, c’est tout le programme qu’il faudra assurer avec les élèves, ce qui signifie un rythme très soutenu de travail jusqu’au bout et partant, un très gros volume d’apprentissages pour l’examen, avec le retour en fanfare des bacs blancs intermédiaires. Ils avaient disparu en maints endroits, on ne voit plus ce qui empêcherait leur retour en grâce. Soit. Ensuite, la préparation au Grand Oral se faisant jusqu’ici d’avril à juin, on ne voit pas bien à quel moment elle s’intercalera désormais. Non pas que nous soyons de grands défenseurs d’une épreuve qui peine à dépasser le stade de l’exercice de communication mais disons qu’il faut annoncer les choses clairement : le Grand Oral sera sacrifié. Surtout, placer l’ensemble des épreuves en juin pose un problème dans la gestion de l’examen. Peut-on raisonnablement assurer le travail de jury d’oral le jour avec la correction des copies la nuit ? Nous sommes sûrs que non et nous espérons vivement que ce problème sera anticipé, sachant que les nombreux déboires signalés partout depuis trois ans nous ont rendu méfiants.

L’interdiction des abayas

La seconde annonce choc de la soirée est venue du ministre sur le plateau de TF1 : les abayas seront interdites à la rentrée. Après une année marquée par l’inflation des signalements des atteintes à la laïcité (4710 signalements l’an dernier, +150% par rapport à l’année précédente), la réaction de l’exécutif est très nette et, nous l’espérons, devrait permettre de tranquilliser les personnels confrontés aux abayas.

Nous ne sommes toutefois pas assez naïfs pour conclure que l’interventionnisme religieux cessera d’un coup. En nommant précisément le vêtement qu’on interdit, on prend le risque qu’assez vite, une nouvelle tenue le remplace au jeu du défi et bénéficie d’un vide réglementaire. Il y a eu les bandanas, les jupes très longues, les abayas, et demain ?

Autre point. En désignant expressément ce qui est religieux de ce qui ne l’est pas, l’État se donne un pouvoir qui lui sera vraisemblablement contesté en justice. Ce n’est pas que cela nous concerne au demeurant : il s’agit de choix politiques qui engagent nos dirigeants. Mais dans la mesure où les personnels de l’éducation seront en première ligne pour les faire respecter, notre seule préoccupation est que le cadre réglementaire de cette annonce soit fixé au plus tôt et dans des termes clairs.

Bilan provisoire des annonces

Même si les deux annonces feront beaucoup parler, elles restent modestes devant la montagne de défis que nous avons listés plus haut. Il est même surprenant que la première sur le baccalauréat, technique et limitée aux seuls élèves de Terminale, ait été annoncée par l’Élysée, plutôt que la seconde, éminemment plus significative politiquement.

Peut-être que demain, la conférence de presse ira plus loin.

Ce n’est pas certain.