Les déclarations du Président de la République la semaine dernière et les deux grandes annonces d’hier ont déjà éventé la plupart des nouveautés que la conférence de rentrée aurait pu présenter. Toute la question était de savoir dans quelle proportion. Nos difficultés ne se limitent guère à la question de la poussée intégriste dans les classes ou de l’organisation des examens, mais c’est un choix politique de le laisser croire. Le ministre s’est efforcé de ne pas tomber dans ce piège en listant, dès les premières minutes de son allocution, les « maux de l’école » et en n’hésitant pas à faire assaut de lyrisme pour une « union nationale autour de l’école ».

Élever le niveau

Le niveau de nos élèves a baissé, le ministre le reconnaît sans ambages : « un élève de 4ème en 2018 a le même niveau qu’un élève de 5ème en 1995 », « un tiers des élèves qui entre en 6ème ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux ». Oui la situation est grave, très grave même, et le décrochage observé en début de collège ne se résorbe pas à la sortie de l’enseignement secondaire, malgré la réussite mirifique des lycéens au baccalauréat.

Des dispositifs multiples à tous les niveaux d’enseignement

Le ministre fournit la liste de multiples dispositifs, soit nouveaux, soit existants. Citons le dédoublement des classes en grande section de maternelle dans les établissements d’éducation prioritaire et le déploiement du Plan Maternelle (formation des enseignants) dont le ministre attend un double « effet maître » et « effet taille » (des classes).  Pour le primaire, CP et CEI sont plafonnés à 24 élèves par classe, partout. Au collège, la « nouvelle 6ème » dispose d’heures de soutien, prises, sans que le ministre le rappelle, sur la Technologie. Gabriel Attal se félicite du dispositif « Devoirs faits » et réclame son ouverture à tous, ce qui est en fait déjà le cas. Il annonce par ailleurs une corrélation entre les résultats des élèves aux multiples évaluations nationales avec le contenu des heures de soutien, un « cousu main » qui paraît évident quand un enseignant n’a que peu d’élèves à sa charge, mais est-ce que ce sera le cas ? On ne voit pas comment.

Des évaluations encore et toujours

Le ministre instaure d’ailleurs des évaluations nationales en Français et en Mathématiques en classe de CM1 et de 4ème, mais il est dommage que ces évaluations n’écoutent pas les remontées du terrain. Tardives, pas toujours bien pensées, pas aussi exploitables qu’annoncées, effectuées sur des heures de cours, celles-là mêmes que le ministre entend préserver de toutes les charges administratives possibles, les évaluations mériteraient un sérieux audit.

Pourquoi ne pas écouter l’avis des professeurs ?

Des moyens très limités

La maîtrise des savoirs fondamentaux est indispensable et souvent, dans son discours, le ministre a pointé que telle ou telle mesure donnerait la priorité tantôt à la lecture, tantôt à l’écriture. Preuve de sa bonne foi, il a d’ailleurs avoué que supprimer l’enseignement des mathématiques au lycée avait été une erreur et que les nouvelles 90 minutes obligatoires au lycée corrigeraient le tout.

1h30 par semaine, est-ce un horaire à la hauteur d’une « discipline fondamentale »  ?

Si le niveau de nos élèves décroche, outre le problème jamais évoqué du rapport au travail personnel des jeunes générations, se pose la question de la modestie des horaires dévolus aux enseignements.

Un « choc des savoirs », sans le « choc des horaires », risque de ne pas peser lourd.

Et l’EMC ?

Nous en arrivons à l’enseignement moral et civique dont le ministre annonce la refonte totale des programmes de tous les niveaux, pour une mise en application à la rentrée 2024. Gabriel Attal indique que le volume des heures serait nettement réévalué. Nous sommes d’accord mais qu’est-ce que cela donnera dans un lycée complètement paralysé par les emplois du temps à la carte des élèves ?

À moins de sacrifier une autre discipline au passage, sans doute la nôtre au hasard, comment le miracle pourrait-il se produire ?

Le sujet n’est d’ailleurs pas vraiment développé, assez vite ramené à la question de la laïcité et aux efforts de formation consentis envers 300.000 personnels/an. Le chiffre est élevé mais il faudrait aussi parler de ce que sont réellement les formations par endroits. Rien qu’au sein du Comité éditorial, il n’y a rien de comparable d’une académie à l’autre.

Remplacement, revalorisations, Pacte

Les remplacements

Le ministre est revenu sur les 15 millions d’heures perdues du fait des absences non remplacées. Qualifiées d’ « entrave à la promesse d’égalité et de confiance », ces heures doivent être reconquises, notamment quand leur perte résulte de la simple organisation administrative de l’Éducation nationale qui peut y placer « des réunions pédagogiques ou des formations ». Le ministre déclare même : « L’Éducation nationale doit s’adapter aux emplois du temps des professeurs ».

Est-ce l’emploi du temps des professeurs ou l’emploi du temps des élèves ?

Même si nous savons que les familles tiennent à ce genre de promesse, nous n’y sommes pas favorables pour une raison simple : la mesure annonce la fuite en avant de la charge de travail hors temps scolaire, sans réelle contrepartie et sans limite. La seule solution consistera pour l’enseignant à ne plus suivre de formation ou à accepter le principe de la fin du droit à la formation. Notre association ne peut pas soutenir cela.

De la même façon, si les réunions pédagogiques sont aussi nombreuses sur temps scolaire, c’est du fait d’un calendrier administratif et de dispositifs d’accompagnement aussi lourds que rigides. Est-ce que ces deux points vont changer ? Le fait de ne pas les évoquer nommément laisse à craindre que non. En ce domaine, une déclaration sur le perron de l’hôtel de Rochechouart ne suffira pas à engager la bureaucratie du service d’éducation.

Quelle revalorisation ?

Le ministre a également listé les mesures d’augmentation de salaire, en ayant d’ailleurs l’honnêteté de ne pas inclure les missions supplémentaires du Pacte dans la définition d’une revalorisation. Là encore l’avalanche d’annonces catégorielles (AESH, enseignants, personnels de direction) ou situationnelles (vacances apprenantes, devoirs faits, etc.) pourrait induire que tout va pour le mieux, mais les faits sont têtus et les chiffres, pour positifs qu’ils soient, ne suffiront pas à compenser l’inflation de cette année et ne permettront nullement d’enrayer la mécanique baissière de nos traitements depuis quarante ans.

Le bilan

En quarante minutes, le ministre a brassé beaucoup de sujets et pour tout dire, nous avons eu du mal à retrouver le plan annoncé sur l’élévation du niveau, « l’école des droits et des devoirs », « l’école de l’émancipation ».

L’essentiel avait déjà été dit avant, que ce soit l’école inclusive ou le programme pHARe contre le harcèlement. Des mesures en vigueur sont confondues avec les nouvelles. Quelques petites mesures sont glissées ça et là sur le baccalauréat, comme la suppression des cinq minutes dédiées au projet d’orientation des élèves pendant le grand oral ou la limitation à 16 textes à étudier pour l’oral de Français en Première. On y trouve aussi quelques vagues promesses sur la marche vers les « nouveaux savoirs » (numérique et intelligence artificielle) et l’engagement, daté et qui ne coûte rien, de faire de la voie professionnelle une voie d’excellence.

Enfin, après l’été très chaud vécu par la moitié sud du pays, il y a ce vœu de rénover 2000 établissements scolaires d’ici 2027 et d’être un modèle d’adaptation au changement climatique. La France compte près de 60.000 écoles, collèges et lycées, ce qui nous donne un rythme de 3% du bâti réadapté en 4 ans. Cela pourrait être un exercice de calcul pour les élèves. À ce rythme, combien d’années faudra-t-il pour que nous soyons prêts ? Notre espérance de vie est-elle supérieure à l’achèvement des travaux ? Petit indice : non.

Décidé, ferme, le ministre sait se montrer convaincant et il n’y a pas à douter de sa volonté personnelle de bien faire, de souhaiter « proximité, simplicité et audace » dans son rapport à ses interlocuteurs. Nous avons intérêt à ce que l’école aille mieux, à ce que le « droit au bonheur » des usagers et des personnels soit mieux respecté. Même si nous craignons que devant le mur des réalités budgétaires et administratives, bien des ambitions affichées aujourd’hui fondent comme neige au soleil, nous serons là pour défendre nos disciplines et être force de propositions.

 

Question des médias

Nous retranscrivons ici les questions posées par les médias, ainsi que nos notes des réponses faites par le ministre.

Sur l’objectif chiffré de 30% de professeurs signataires du Pacte donné par le précédent ministre, où en est-on ? Question des Échos.

Le ministre dit ne pas vouloir donner de chiffre, en aura à la rentrée et s’attend à une « montée en puissance ». Pour nous, cela annonce que sur ce point, on ne trouve pas assez de volontaires. Le ministre dit avoir parlé avec la ministre de l’enseignement supérieur à propos de l’orientation (je m’attendais à Parcoursup) et il ressort que pendant les épreuves de juin, les élèves de Seconde seront mobilisés sur l’orientation. Ce n’est pas encore clair mais voilà. Pas de sortie anticipée. Je ne sais pas comment ça pourra se cumuler avec les épreuves d’examen, dans les locaux et du point de vue des personnels.

Le changement de calendrier du Bac est-il la reconnaissance d’un manque de dialogue social ? Y a-t-il une revalorisation salariale prévue dans le plan de reconnaissance des enseignants ? Question de l’AEF.

Réponse habile du ministre qui dit que les changements sont la preuve que le gouvernement écoute. Pas de revalorisation supplémentaire prévue pour l’instant. Il y a déjà les augmentations de septembre 2023 et la revalorisation passe aussi par la restauration de l’autorité des professeurs.

Les associations d’élus rencontraient régulièrement Pap Ndiaye et se félicitaient de ce contact. Quelle place auront ces associations maintenant, étant donné que les collectivités n’ont pas été citées dans votre discours ? Question de la Gazette des Communes).

Le ministre a, semble-t-il, été surpris par la question. Il s’est dit prêt à rencontrer « tout le temps » les élus et à solliciter les collectivités. Il a réévoqué la question du bâti scolaire.

Combien manquera-t-il de professeurs cette année, sachant qu’il y avait un manque de 3000 enseignants l’année dernière et qu’entre-temps, des milliers de postes de titulaires ont disparu (question de France Culture) ?

Cette question a vraisemblablement été préparée par contre, car la réponse était nettement plus précise. Le ministre a félicité les personnels sur la préparation de la rentrée. Il a rappelé l’engagement du président de la République sur un professeur devant chaque élève. Il a également dit qu’aux concours, il y avait eu une progression du nombre d’admis de l’ordre de 6 à 7% dans le premier et second degré. Il évoque également un « plan attractivité » sur les concours, à construire dans les prochains mois. Le ministre donne également le chiffre de 90% de professeurs contractuels reconduits.

Peut-on avoir des informations supplémentaires sur la suppression de l’abaya ? Question de l’AFP.

Gabriel Attal rappelle que l’ecole doit accueillir tout le monde, sans stigmatiser personne et que justement, cela doit se faire sans entorse à la laïcité. Les tenues comme les abayas/quamis, « lorsqu’elles sont portées dans un cadre scolaire, permettent d’identifier l’appartenance religieuse ». Il énonce sa conviction que c’est le flou dans la gestion du problème qui a permis au conflit d’apparaître. Il estime que dans « l’écrasante majorité des cas, les choses se régleront assez facilement par le dialogue ». Du point de vue réglementaire, la circulaire de l’année dernière ne sera pas supprimée. Il y aura par contre une note de service, un « ensemble de textes », et la réactualisation du Vademecum de la laïcité. Une lettre du ministre sera envoyée aux chefs d’établissement qu’ils pourront transmettre aux familles. Promesse enfin d’un accompagnement humain.

Qu’en est-il des moyens alloués aux vies scolaires/AED, des cartes des établissements REP et plus largement de la question de la mixité sociale et des rapports avec l’enseignement privé ? Question de Mediapart.

Le ministre affirme que l’éducation prioritaire est l’enjeu majeur du gouvernement depuis 2017 (+30% de budget) et rappelle les mesures de dédoublement. Il dit que si on devait réactualiser la carte de l’éducation prioritaire avec l’IPS, il y aurait 200 établissements à sortir de la liste et 200 autres à faire entrer. Le ministre ne donne pas de calendrier mais souhaite une démarche « progressive », avec déploiement de « contrats locaux » pour les établissements qui sont proches des critères mais pas encore dedans. Le ministre attend que la carte des quartiers de la politique de la ville soit revue d’abord.

Y aura-t-il de nouveaux financements autour de la lutte contre le harcèlement, une clarification de ce qu’est le référent harcèlement aux chefs d’établissement ? Question de News tank education.

Le ministre parle du décret de cet été sur la possibilité d’exclure l’élève harceleur et de prendre des sanctions disciplinaires pour les cas de cyberharcèlement. Le ministre répète la mise en place du pHARe et promet la publication d’un texte cette semaine sur le référent anti-harcèlement.

Les abayas seront-elles définies ? La négociation restera-t-elle locale avec les élèves portant ces tenues ? Sur un autre plan, la formation hors temps scolaire sera-t-elle obligatoire ? Question du Café pédagogique.

Le ministre sera clair dans ses textes. Il affirme qu’il n’y a pas de « négociation » mais de la « pédagogie ». Il n’y a pas de demande de définition de ce qu’est l’abaya mais une demande de clarification de la position à tenir.

Pour la formation, 100% de la formation continue doit être proposée en dehors du temps élève. [C’est bien ce que nous pensions. Ce n’est pas le temps administratif qui s’adapte à l’emploi du temps du professeur, comme le ministre l’avait dit, mais le temps administratif qui s’adapte à l’emploi du temps des élèves].

Ce n’est pas pénalisant de ne plus garder les notes de spécialité pour Parcoursup ? Question de France Inter.

Oui, les notes de spécialité ne rentreront plus dans la procédure de Parcoursup. C’était le fonctionnement avant, donc cette organisation ne sera pas nouvelle. Pour le contrôle continu, il faut pouvoir mieux harmoniser. Le ministre annonce que pour l’examen, pour les épreuves de spécialité, il y aurait, fourni aux établissements, non seulement les notes des élèves mais aussi un indicateur de comparaison de ces notes avec les moyennes académiques et nationales, avec des établissements de même catégorie. [L’association avait demandé que les enseignants disposent d’indicateurs plus précis sur l’examen afin de mieux guider la préparation à l’examen l’année suivante. Cette mesure est intéressante et nous attendons sa mise en œuvre, sachant qu’elle peut représenter aussi une source de remise en cause malveillante. ]

En quoi les remplacements de courte durée sont une bonne solution dans le sens où si deux heures d’HG sont perdues, elles peuvent être remplacées par deux heures de maths, et pas par deux heures d’HG ? Question de Libération.

Le ministre ne répond pas directement. En fait, le ministre considère [et c’est difficilement contestable], que mieux vaut deux heures de cours que deux heures sans cours. Il veut d’abord supprimer les heures perdues.