Le data center, un défi géographique

Sous l’impulsion de grandes firmes transnationales, une succession d’innovations majeures apparues ces dernières années bouleverse les structures sociétales, économiques et géopolitiques. 

Le boom des data centers, la mise en réseau du monde et l’essor de l’intelligence artificielle reconfigurent les territoires et les rapports de forces mondiaux. 

Atlas de la mondialisation, Laurent Carroué, éd. Autrement, 2025, 96 p., 24 €

 

L’arrivée de masses de données stockées par les clouds des GAFAM, puis celles utilisées pour nourrir les requêtes fournies par l’IA change la donne. Il faut construire de plus en plus de ces batiments dont la taille et le nombre grandissent au fur et à mesure que les besoins en stockage et circulation de données augmentent.

Voilà donc un produit qui bouleverse l’ensemble de nos pratiques sociétales. 

… tant le numérique investit les territoires…

La domination des clouds des big tech USTout ce qui est sur notre smartphone ou notre PC est abrité dans des data centers des Google, Apple, Facebook, Amazon,  Microsoft, et ce sans aucune transparence pour les usagers dont beaucoup voient comme virtuel ce qui relève bel et bien d’espaces et de constructions physiques.

Ce qui fait que 70% des données numériques françaises sont hébergées aux États-Unis, pays des GAFAM.

 

Jean-François Perrat, « Notions en débat. Le virtuel et le réel dans la géographie du numérique », Géoconfluences, janvier 2020.

 

… tels de gigantesques usines-bunkers

Le bâtiment est fermé aux intrusions et à la chaleur. Il faut gérer la fiabilité du matériel électronique (serveurs et onduleurs) en majorité responsable des accidents, savoir disséminer la chaleur produite par l’eau ou l’air. La température doit être maintenue entre 24 et 27° pour éviter la destruction des données. 

On remarque autour ce certains de ces bâtiments de grandes batteries prévues pour suppléer les défaillances du système de refroidissement primaire. Si les batteries étaient à plat, la relève énergétique pourrait se faire avec les cuves à fuel également à proximité du bâtiment.

Enfin, le data center  ne peut fonctionner que connecté à un réseau de fibre optique. D’où la nécessité de trouver des lieux proches de hubs à même de faire circuler les données en fonction des demandes. Beaucoup de géographes insistent sur les câbles maritimes parce que c’est spectaculaire, mais il faut garder à l’esprit que les ¾ des câbles sont terrestres.

Raccourcir le temps de latence est essentiel : le dernier câble optique entre Portugal et Brésil permet la transmission de données en 3 milisecondes de part et d’autre de l’Atlantique. 

Mondialisation numérique et inégalités socio-spatiales

L’implantation des data centers et des câbles optiques reproduisent les inégalités territoriales produites par la mondialisation. Les grands opérateurs prennent en compte trois enjeux majeurs pour se positionner sur le plan territorial : 

  • la compétitivité via l’innovation :

L’impact de la révolution de l’IA

    • les innovations de rupture entraînent une explosion des données numériques avec les clouds, le streaming vidéo et les IA générales.
    • Les GAFAM ont massivement organisé des entrepôts spécialisés. 8000 en 2023, aujourd’hui 10 000. Le nombre est connu mais la quantité de données hébergées, non.
    • La puissance d’investissements est unique dans l’histoire du capitalisme : 1600 MM d’investissements soit le PIB de l’Indonésie, notre pays invité. 
  • le côté énergivore du système :
    • l’implantation des data centers supposent des capacités énergétiques à proximité ou à disposition sur place. Amazon et Microsoft ont investi dans la rénovations de centrales nucléaires US, Oracle finance la construction de 3 SMR (Small Modular Reactors).
    • Le charbon étasunien pourrait faire son grand retour pour alimenter les énormes besoins actuels et surtout à venir. Le gouvernement fédéral s’emploie a faire tomber les précédentes barrières législatives environnementales et encoure la prolongation de vieilles centrales au gaz et de mines de charbon.
    • 40% de l’offre des GAFAM en France, c’est Netflix. Or la bande passante étant souvent en limite de saturation, on active des CDN (Centre de Diffusion de Contenu). Il s’agit d’un processus de déconcentration de la bande passante qui décentralisent le transfert des data par clonage pour éviter une congestion des sites US.

L’IA accentue les conflits d’usage

  • la souveraineté et les rivalités entre les puissances :
    • les États-Unis possèdent 33% des sites mondiaux, mais qui génèrent 70% de la puissance de calcul.
    • En règle générale, il y a peu de visibilité sur la quantité de données gérée, du fait de la féroce concurrence entre firmes.
    • Les GAFAM et les 2 plus grandes entreprises de data centers mondiales Digital Reality Trust, inc. et Equinix inc. https://www-blackridgeresearch-com.translate.goog/blog/top-data-center-companies-in-usa-united-states?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=rq  dominent le marché. Ils organisent l’espace mondial en clusters Ils sont présents en Île de France où il louent des espaces dans les data centers existants. Ce qui n’empêche pas une concurrence féroce entre elles (cf. OpenAI de Sam Altman contre GrokAI de Elon Musk)
    • La Chine et la Russie construisent également de gigantesques data centers. Mais ils ont tendance à limiter les données disponibles pour des raisons de censure politique et de souveraineté nationale. 
    • L’exclusion des pays les moins développés se justifie à cause de capacités énergétiques et électriques défaillantes.

Géopolitique de l’architecture du numérique

Data centers et Défense

La DGSE part de son implantation historique Boulevard Mortier pour investir dans le Château de Vincennes. Ces sites sont ultra-secrets et non comptabilisés dans les données mondiales. 

Sébastien Lecornu, ministre de La Défense d’Emmanuel Macron depuis 2017, a poussé au développement de l’IA pour les armées : des centres sont en cours d’installation en Bretagne à Chateaubriand) et à Paris au Mont Valérien.

Les data centers de la NSA, regroupant les données des 18 agences de renseignement US dans l’Utah et en Virginie, près de Washington. Plusieurs ministères y sont hébergés, 40 000 salariés y travaillent. On notera avec intérêt qu’il est doté d’un super calculateur capable de casser les codes du monde entier… 

Le camp militaire à proximité a accueilli tout récemment les 700 officiers généraux des armées US pour un briefing de Pete Hegseth, le Secrétaire à la Guerre (ex. Secrétaire d’État) de Donald Trump, à propos des nouvelles missions de l’armée…

L’IA, nouvelle architecture de la puissance géopolitique US

Toujours plus d’investissements, de data centers, une rentabilité toujours à venir…

Les milliards d’investissements forment une énorme bulle spéculative, car aucune firme de l’IA fait actuellement des bénéfices. Il faut 3-4 ans pour construire un data center. Pour qu’un robot médical puisse faire un diagnostic fiable il faut que 500 techniciennes indiennes analysent des centaines d’images pour arriver à une information fiable. 

…mais un enjeu géopolitique de leadership mondial pour les Etats-Unis…

Les États Unis au centre de la géopolitique du numériqueCar le gouvernement US et les firmes de la Big Tech sont convaincues que l’architecture nécessaire pour assurer la primauté des IA étasuniennes est un objectif non seulement économique mais stratégique face à la Chine et dans lequel l’Europe ne pèse pas lourd.

Faudra-t-il dominer la planète pour que ce soit rentable ? 

… ainsi qu’un complet bouleversement sur le rapport à la science et à la connaissance pour l’humanité.

Questions du public 

Q1 : les data centers sont-ils contestés par les populations ?

Il y a une vraie opposition aux éoliennes, soit pour des raisons patrimoniales, notamment en France, mais aussi du fait de leur intermittence. On l’a vu de façon spectaculaire avec la gigantesque panne en Espagne et au Portugal cette année.  

Dans la course à l’IA, Musk veut rattraper Open AILa critique des data centers a d’abord été socio-économique : ils sont créateurs de très peu d’emplois. Les chiffres des constructeurs mélangent à dessein tous les emplois : construction, maintenance, gardiennage. Dublin et Taïwan ont décidé de limiter les constructions, les data centers engloutissant des ressources électriques qui seraient utiles à des industries plus créatrices d’emplois. Ensuite, on le voit ci-contre à Memphis ou est construit en temps record (on parle de quelques mois !) le plus grand centre de xAI la société-mère de Grok, le ChatBot d’ Elon Musk. Celui ci veut rattraper à coup de milliards son retard sur OpenAI.  

Sans compter que Les risques de pollutions environnementales liés aux rejets toxiques des turbines à gaz et à l’utilisation intensive de la nappe aquifère de Memphis, inquiètent les populations riveraines. 

Q2 : Quid de l’effacement accidentel des données ? 

Les data centers on pu être le théâtre d’incendies avec des pertes importantes de données cruciales pour les entreprises et pour les particuliers. Les data centers actuels, on l’a vu plus haut, sécurisent leur matériel technique avec des boucles énergétiques diversifiées.

Le risque est plutôt civisationnel. Nous sommes globalement dans une rupture culturelle.

Notre culture est menacée. Va-t-on tout perdre de nos oeuvres ? 

Merci à Laurent Carroué pour son autorisation d’utiliser ici ces diapos et pour sa relecture. 

Annexe du rédacteur de ce compte-rendu de conférence :

Des Data Centers plus écologiques en Scandinavie et en Suisse ?

  • « Se chauffer grâce aux data centers, la bonne idée finlandaise ? » de Courrier International, source Bloomberg.com, article publié le 30 août et mis à jour le 16 octobre 2025. Pour lire l’article (réservé aux abonnés) en lecture augmentée par l’IA, c’est ici.
  • Web & Cloud Infomaniak a mis en service en janvier 2025 le premier data center souterrain, valorisant la totalité de l’énergie qu’il utilise à Genève.https://www.courrierinternational.com/article/energie-se-chauffer-grace-aux-data-centers-la-bonne-idee-de-la-finlande_231283

La vodéo de la conférence