Café littéraire animé par Philippe Bertrand regroupant Philippe Minard, Kenneth Pomeranz Nora Wang. Il a eu lieu le samedi 16 octobre lors des rendez-vous de l’histoire de Blois.

Un compte rendu de conférence par Jean-Pierre Costille, un rédacteur de la Cliothèque
Photo Agnès Loth, venue de La Réunion

Repenser la Révolution industrielle

Parmi les périodes souvent traitées dans le cadre scolaire, la Révolution industrielle tient une place majeure. Jusqu’à maintenant, elle était vue comme un avènement de l’Angleterre autour du charbon et de la vapeur notamment. Pourtant au moment de la Révolution industrielle, dans une autre partie du monde, à savoir une région chinoise, on note le même niveau de production, le même type de caractéristiques pour la population et pourtant la révolution industrielle a eu lieu en Angleterre mais pas en Chine. L’historien Kenneth Pomeranz a choisi de s’interroger sur cette divergence. Il remet donc en cause certains stéréotypes sur ce phénomène majeur. Son approche s’appuie sur l’histoire globale, ou plutôt l’histoire connectée. Aujourd’hui, on s’interroge sur la mondialisation, et il est donc logique qu’on revisite certaines périodes. L’historien doit rétablir des connexions, car les archives sont nationales, alors que la révolution industrielle est par définition internationale.

Une autre méthodologie

Philippe Bertrand interroge Kenneth Pomeranz sur son parcours et sur son intérêt pour cette histoire connectée. Il rappelle qu’il a fait ses études pendant la guerre du Vietnam, donc à un moment où l’on a commencé à s’apercevoir de l’interconnexion du monde. Il rappelle également l’influence de certains de ses professeurs. Il insiste aussi sur la nécessité de procéder à des comparaisons dans les deux sens et pas seulement pour penser les choses en terme de retard de l’un sur l’autre. Il est aussi intéressant de s’interroger sur le fait que la Chine n’a pas suivi le chemin de l’Angleterre que de se demander pourquoi l’Angleterre n’a pas suivi le chemin de la Chine. Il prend comme présupposé qu’il n’y a pas de norme. Le point auquel il faut prêter néanmoins attention est la taille de ce que l’on compare. On peut donc comparer la Grande-Bretagne avec une région de la Chine.

Quelles explications ?

Kenneth Pomeranz remet en cause les facteurs explicatifs de l ‘avancée de la Grande-Bretagne qui ont un aspect culturel. Il souligne plutôt le rôle des facteurs de ressources et d’environnement. L’économie préindustrielle est fondée sur les produits de la terre. Quand l’agriculture augmente, les ressources en bois diminuent car il fournit l’énergie. Il existe donc ce que l’auteur nomme « une fenêtre pour une recherche d’innovation » pour trouver une autre source d’énergie. C’est possible en Angleterre, car le charbon est proche. C’est une dynamique créée par les contraintes et qui n’a donc aucun fondement mental ou culturel.

Vue de Chine

Philippe Bertrand demande à l’auteur comment ses travaux ont été accueillis en Chine. Ce dernier souligne la variété des réactions. Les plus vieux sont imperméables à ses travaux, tellement ils sont imprégnés de la vulgate marxiste. Le raisonnement comparatiste de Pomeranz est tout simplement hors de leur univers mental. Parmi les historiens chinois plus jeunes, certains sont obsédés par la question du développement et de la démographie : ils peuvent se montrer, à ce titre, intéressés par ses travaux. Une seule tendance dérange Kenneth Pomeranz, car il s’agit d’une fraction nationaliste qui acquiesce car cela met en valeur la Chine par rapport à l’Occident.

Les hectares fantômes

Il se méfie des idées de retard, de rattrapage. Si une part de la Chine est développée aujourd’hui, il ne faut pas forcément penser en terme de rattrapage, car il existe des raisons propres à ce développement chinois. L’auteur montre que les pays d’Europe occidentale ont développé un colonialisme et un impérialisme importants ce qui est un facteur important pour expliquer l’avance, mais pas forcément dans les termes qu’on imagine. Lorsque les Etats-unis deviennent indépendants, ils consomment encore davantage de produits anglais ce qui stimule l’économie de ce pays. Ce qui fait donc l’avantage anglais, c’est surtout une capacité à faire venir les matières premières. Elle a produit dans les colonies des matières premières qu’il n’aurait pas été possible de faire sur place. Ainsi libérée de cette contrainte première, l’Angleterre a pu se développer. Pour faire comprendre cette production à distance, Kenneth Pomeranz utilise la notion « d’hectare fantôme ». Il faut réévaluer la question de l’esclavage car cela permet du profit car produit à bas coût.

La mondialisation ce n’est pas l’élargissement du monde car quand les Européens arrivent en Afrique, ils coupent l’Afrique du reste du monde. Ce n’est donc pas un début de mondialisation.

Pour en savoir plus un article de la revue Sciences Humaines écrit par Philippe Minard, dans le hors-série sur l’histoire du capitalisme, mai-juin 2010 . Le livre de K Pomeranz est à présent traduit : une grande divergence, Albin Michel.

L’ouvrage de Pomeranz a été présenté pour la Cliothèque par Dominique Chathuant

http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2960