« Des années 70 à aujourd’hui, on voit les villes et les campagnes muter et faire bouger la société ; pour le pire et le meilleur. »

Présentation des participants au débat :

Jean Vogel, ancien maire, qui a signé l’appel de Sâales :

https://reporterre.net/L-appel-d-un-petit-maire

Vincent Grimault, journaliste d’Alternatives Economiques, qui a écrit « La renaissance des campagnes »

Jean-Philippe Blondel, écrivain et professeur d’anglais à Troyes. Son dernier roman, « Il est encore temps ! », aborde l’urgence climatique du point de vue d’une adolescente.  

Olivier Razemon, journaliste indépendant, spécialiste des mobilités, auteur de « Comment la France a tué ses villes ».

Le temps du retour à la campagne est venu

Robin Huguenot-Noël : la 1ère question concerne l’éventuel retour à la campagne, lié à la concentration des populations en ville arrivant à saturation. Par ailleurs, le confinement a manifestement redonne sens aux bienfaits de la ruralité.

VG : est venu au village de Sâales voir les campagnes en crise et a vu des campagnes qui vont mieux qu’on ne le pense. C’est vrai pour la vallée de la Drôme par exemple. Or l’imaginaire de l’exode rural pèse. Sait-on que depuis 75 le solde excédentaire s’est inversé ? Ce que le confinement a généré est le désir de retourner à la campagne. Les villes sont rattrapées par leur densité, le prix du m2, la pollution de l’air, la durée des transports. Les campagnes sont un tissu économique beaucoup plus large que les simples services aux personnes. On a maintenu de la vie, les taux d’équipement sont méritoires (15 èlèves par classe en Lozère, 23 en Essonne).

RHN : si les indicateurs sont bons, le ressenti est différent.

JV : Inversion certes ; l’afflux des plus de 50 ans est positive ; les agriculteurs valorisent leur production. Mais l’Etat et l’administration produisent quantités de textes contraignant pour les maires qui lorsqu’ils veulent agir se trouvent souvent dans l’illégalité. Le principe de subsidiarité est plus que nécessaire.

OR : pour répondre à JV : l’action normative de l’administration est plus tournée vers le contrôle des gros et les petits ne sont pas visibles… On pense dans les villes moyennes (de Granville à St Etienne) à une fatalité de fermetures des commerces, à un nombre de logements vides, parfois de l’ordre de 30% sur toute la ville. On a en fait réorganisé la ville en dehors de la ville : piscines, centres commerciaux et hôpitaux. On étale la ville, en copiant les attributs des métropoles. Le Grand Paris a été voulu non pour les Parisiens mais pour la grandeur de la France dans la compétition mondiale (Sarkozy).

JPB : je viens de Troyes la Champagne-Ardennes de la diagonale du vide : quelques grands céréaliers, le vignoble, le record des pesticides devant la Gironde, 250km de champs de betteraves et des maisons délabrées avec des vieux panneaux 3615… De très fortes inégalités sociales, et l’absence de services d’éducation supérieurs sur place. Nos élèves choisissent donc par défaut leurs études supérieures. 

Surmonter les problèmes en agissant localement

RHN : Quelles pistes de réflexion pour surmonter les problèmes, et sur place ?

VG : l’opposition entre les territoires, leur compétition et leur obsession pour l’attractivité coûtent cher ! L’étalement urbain, c’est étaler sa puissance contre les voisins, afin d’attirer les populations et exporter ses richesses. Selon l’économiste Laurent Davezies : sur 100€, 19€ représentent ce qui est exporté et 81%, ce que produisent et génèrent les habitants en moyenne. Pourquoi alors se concentrer sur les 19% ? Si on sort de la compétition, on a des territoires qui vont mieux car qui résolvent les problèmes localement, et qui deviennent fiers de ceux qu’ils font. Les statistiques montrent que les résultats des élèves ruraux sont égaux à ceux des villes mais au supérieur, ils s’auto-censurent… Ceci dit, à côté des initiatives locales, l’Etat doit assurer les infrastructures nécessaires. 

JV : le maire est sincère mais il lui manque souvent courage et vision à moyen et long terme. La moyenne d’âge des maires est de 70 ans… Il faut un réveil de la société civile qui doit s’organiser et prendre le présent en mains. Il faut que des jeunes reviennent mais aussi que ils partent pour acquérir d’autres expériences. La panique du risque tétanise toute initiative de mobilité.

OR : la fameuse métropolisation n’est pas le seul ennemi. Les choses sont plus complexes car les critiques viennent aussi de l’intérieur des métropoles. Prenons un sondage récent demandant « Quel est votre lieu de vie idéal ? »  la réponse majoritaire (et fantasmée) : « le village, avec une boulangerie ». Mais de nombreux villages n’ont pas de boulanger, et d’ailleurs aucun commerce. De même, ce fameux « village » existe aussi dans certains quartiers des grandes villes…

Questions du public :

  • Comment arrêter l’étalement urbain ?
  • Telétravail, une solution ? Pour la campagne ou les zones périphériques ?

JV : il ne faut pas penser en chef d’entreprise mais travailler au lien social dans ce qui existe déjà, par exemple l’habitat mitoyen pour lequel il y a de l’offre mais qui ne correspond pas à une demande de maison individuelle. Or les Hollandais ont montré que l’habitat mitoyen, c’est 3 fois moins de suicides et de dépressions que l’habitat individuel.

VG : il faut un conditionnement sévère des zones périphériques et arrêter de voter pour les maires bétonneurs. Le télétravail ? Il ne faut pas s’attendre à une révolution technologique, mais s’il y a retour des « cerveaux » à la campagne, il y a risque de gentrification de territoires jusqu’ici abordables sur le plan foncier.

Remarques des auteurs :

Cette table ronde montre les limites de l’exercice quand les interventions sont de l’ordre de témoignages, certes très intéressants, comme ceux du maire de Sâales, ou les enquêtes d’Olivier Razemon qui ont pris le poul de nombreuses villes. Il aura malgré tout manqué la parole d’un géographe aménageur pour mieux cerner les mouvements démographiques ville-campagne (limités à l’inversement de l’exode rural depuis 75, notion quantitative ne reflétant pas la déprise continue du tissu rural bien après cette date), ou préciser ce qu’on entend par les ruralités, la périurbanité…