Une conférence d’Eric Alary, dimanche 13 octobre, sous le chapiteau du salon du livre, introduite par son prédécesseur à la chaire d’histoire de la khâgne de Tours, Jean Vassort.

À propos de son livre Nouvelle histoire de l’Occupation (Perrin, 2019)

C’est « un livre de prof de khâgne », destiné à combler des manques. Notamment sur l’attitude des Allemands.

La question en se posait pas il y a vingt ans : on se serait fait accuser de les réhabiliter. J’ai voulu rassembler diverses études sur la présence allemande. Avec la difficulté d’oublier le point de vue français, que j’avais considéré exclusivement pendant des dizaines d’années.
J’avais alors rencontré des « enfants de Boches », des miliciens…

Ce livre permettra, j’espère, de lancer d’autres chercheurs sur des pistes autres que la répression et les persécutions.

Jean Vassort remarque que la carte de Paris occupé résume celle de la France occupée.
Réponse : les Allemands s’installent là où il y a un central téléphonique, des rotatives… et des lambris dorés. Ainsi, il y a peu de chose dans l’Est parisien.
Ils font tout pour rouvrir les cabarets. Il faut bien distraire le soldat qui s’ennuie.

Felix Hartlaub (Paris 1941, Actes-Sud, 1999) note en arrivant, en décembre 1940, que les officiers ont l’air de bien connaître Paris, au contraire des soldats.

Ces officiers ont des préjugés sur la France, empruntés aux auteurs pangermanistes (par exemple Das Ende des Frankreichs, un ouvrage d’avant 1914, comporte une carte avec une ligne de démarcation) et à Friedrich Sieburg. Les Français seraient gavés et ne penseraient qu’aux loisirs. On a le sentiment d’être entré, en 1940, comme dans du beurre. Ernst Jünger, dans ses journaux, n’échappe pas à ce modèle.

Le commandement militaire allemand en France (Militärsbefehlshaber in Frankreich ou MBF) est arrivé porteur d’une cartographie des grandes institutions, confectionnée on ne sait quand. Entre mai et juillet 1940, on cartographie les régions de la gendarmerie, jusqu’à l’échelon de la compagnie.
Cet été-là, comme les Anglais refusent de faire la paix, il y a quelques semaines de flottement, qui s’achèvent à la fin de juillet.

On occupe avec peu d’hommes : 80 000 au début de 1941.

Hartlaub se demande ce qu’il fait là et a l’impression d’un grand fouillis, encore en 1941.

Le régime est polycratique et les services s’opposent les uns aux autres.

Dans les rapports finaux écrits au cours des derniers mois, ils se renvoient les responsabilités. Ainsi le patron de l’occupation sur le plan économique, Elmar Michel, déplore que tout le pays n’ait pas été d’emblée occupé.

Pour le pillage des œuvres d’art, Abetz commence par s’opposer à Göring et à Rosenberg mais tous finissent par se répartir le marché afin d’éviter qu’il leur échappe.

En ce qui concerne la répression des résistants, y a-t-il beaucoup de représailles ou des sanctions mesurées ?

En 1941, un sentiment d’insécurité commence à se faire jour dans la correspondance des soldats. Berlin durcit sa position sur les otages. Des procès à grand spectacle sont organisés au Palais-Bourbon (mars 1942) puis à la Maison de la chimie en avril.

Le Reich réagit au coup par coup puis essaye d’entraîner Vichy dans l’engrenage de la répression. On a retrouvé une directive d’un colonel enjoignant de tuer des civils dans la région du Vercors.

Dans l’été 1942 il n’y a pas plus de 40 000 soldats, puis l’effectif remonte jusqu’à 95 000.

En ce qui concerne le pillage économique, le marché noir est allemand à 90 % (chiffre établi par Fabien Grenard). Il est assuré par une pègre nazie mafieuse, comprenant des officiers. Vichy a mis en place une économie dirigée dès juillet 1940, de sa propre initiative, puis navigue à vue. La construction du mur de l’Atlantique, décidée par Hitler, donne un grand pouvoir à Fritz Sauckel, à la tête du recrutement et de la répartition de la main-d’œuvre.

Hitler est au sommet de tout.

Vichy est pris dans un engrenage. La France est une pièce essentielle du dispositif économique allemand, fournissant 35 à 50 % des approvisionnements, suivant les estimations. En 1944, 77% de la production automobile part en Allemagne.

 

Questions de la salle :

 

  • Combien d’Allemands sont tués par la Résistance ?

Eric Alary n’a pas de chiffre en tête et renvoie aux études de Gaël Eismann.

  • Comment concilier l’idée d’une polycratie et l’affirmation que « Hitler est au sommet de tout » ?

E A : c’est difficile à comprendre pour les historiens français, qui ont peu travaillé sur la question.

  • Le Silence de la mer est-il représentatif de l’atmosphère de l’occupation ?

E A : un certain nombre d’officiers allemands voyaient la France ainsi. C’est tout de même un homme cultivé.

  • Comment fonctionnaient les préfectures ? Obéissaient-elles à Vichy ou à l’occupant ?

E A : le préfet n’a pas le choix lorsque les Allemands ordonnent l’arrestation d’Untel ou Untel. Tous les cadres ne sont pas d’accord et certains entrent en résistance. Pour les détails, voir Marc-Olivier Baruch.

Conférence suivie par François Delpla