Camille Hochedez est chercheuse à l’université de Poitiers. Ce sujet de recherche regroupe 4 scientifiques du laboratoire CAMIGRI et a débuté en 2018 en partenariat avec l’INSEE.

Les migrants ne vivent pas que dans les métropoles mais sont aussi très présents dans les campagnes françaises. Exemple : suite au démantèlement de la jungle de Calais en 2015, les demandeurs d’asile ont été accueillis dans les espaces ruraux en priorité. Ceux-ci sont juste moins visibles. Ici nous allons étudier ceux qui pratiquent une activité agricole. Ils ont un statut de travailleurs saisonniers, ou sont d’origine nord européenne et s’installent dans les campagnes pour devenir agriculteur. Nous pouvons assister à un processus d’ancrage des migrants internationaux par cet espace rural, qui est aussi un espace résidentiel et productif. Même si cette présence est temporaire à travers les saisonniers, elle impacte les espaces ruraux et les transforme.

Comment ces espaces ruraux sont transformés par les migrants ? Comment l’activité agricole peut jouer un rôle d’insertion pour les migrants dans les espaces ruraux ?

I/ Les lieux d’étude

La cartographie témoigne de la présence des migrants dans les campagnes entre 2010 et 2014, surtout dans le Sud-Ouest français.

L’étude se fait à partir des filières peu mécanisée (cueillette) et des produits agricoles.

Le premier terrain d’étude est celui de la filière de la fraise du Périgord. Elle est produite dans le sud de Périgueux dans le pays vernois autour de la commune de Vers. Il s’agit d’une culture intensive qui se fait sous plastique pour aller sur tous les marchés de France.
Le deuxième terrain est celui de la filière de production du melon charentais, label IGP, au nord de Poitiers, autour de Loudun.
Ces 2 filières ont massivement recours à la main d’œuvre étrangère. Le Melon « Rouge Gorge » est une grosse marque et possède plus de 1000 hectares de production en France. Lorsqu’on distingue beaucoup de voitures garées devant les exploitations, on sait qu’il y a des saisonniers.

Dans un dernier temps, nous nous intéresserons aux migrants d’origine nord-européenne qui s’installent dans le Périgord vert comme les retraités Britanniques en Dordogne en 1980/1990, et maintenant des agriculteurs. Cela participe à des dynamiques agricoles plus globales.

II/ Portraits

Ces migrants ont différents statuts en fonction des systèmes de productions agricoles auxquels ils appartiennent et de leur origine. Surtout dans les filières spécialisées comme le melon ou la fraise avec une organisation hiérarchisée : patron > chef de culture qui gère la partie main d’œuvre > ouvrier agricole permanent ou saisonnier. Dans le melon il y a aussi le trieur, conducteur de tracteur qui ramène dans le hangar de conditionnement et le cueilleur.

La nationalité est particulière selon poste. Les travailleurs étrangers sont au bas de la chaine du travail : dans la culture du melon, ils sont à la cueillette et au portage des seaux. Pour les calibrages et emballages « il faut du Français pour comprendre les exigences attendues sur le marché » pour ne citer qu’un patron d’exploitation…

On se rend donc compte que le travail des migrants saisonniers agricoles se fait en fonction de la pénibilité : dans le Poitou en été sous le soleil sans bouteille d’eau ni toilettes, penchés toute la journée. Cela engendre souvent des problèmes de santé. Au conditionnement on est à l’abris du soleil et debout, alors il y a moins d’étrangers.

Ces migrants sont souvent perçus comme une difficulté pour les exploitants : avec la barrière de la langue et pour constituer des équipes selon les nationalités. C’est un casse-tête pour les ressources humaines et ils représentent le premier poste budgétaire dans les exploitations.

Pour les saisonniers qui sont restés souvent dans la même forme d’exploitation, ils peuvent espérer accéder au rang de chef d’exploitation : ici pour les Fraises, c’est le cas de Portugais, mais ça arrive après de nombreuses années de service et le patron reste toujours d’origine française.

Ce modèle hiérarchique agricole se nomme le « modèle californien ». Il est expliqué par Jean Pierre Berlan : la main d’œuvre est amovible c’est une variable d’ajustement par rapport au temps. (L’immigré agricole comme modèle sociétal ? Jean-Pierre Berlan, Dans Études rurales 2008/2 (n° 182))

III/ Mode de recrutement de la main d’œuvre étrangère

Cela se fait par annonce directe qui sont postées par les exploitants eux-mêmes, ou par les agences Pôle emploi locales où un espace est dédié à ces annonces, ou par des intermédiaires de la même nationalité que les travailleurs étrangers qui doivent être rémunérés, ce qui constitue une sorte de mafia. Enfin il existe des agences de recrutement local, ce qui entraine des problèmes de droit du travail et de salaire car elles ont leur antenne dans les pays d’origine, et donc le droit du travail du pays d’origine. Ainsi l’agence « terra fecundis » est souvent en procès contre ces exploitations agricoles. Un mode de recrutement n’est pas exclusif d’un autre.

Dans un second temps il en va différemment des Nords-Européens qui s’installent en tant qu’agriculteurs : il s’agit parfois exploitation maraichère en couple, ou de néerlandais qui reprennent des exploitations laitières dans le nord Dordogne.

IV/ Quels sont les origines et les raisons de migration des ces étrangers allant dans les milieux agricoles ?

Dans la fraise c’est le Portugal qui prédomine dès les années 1980. Il y a 2000 saisonniers chaque année dans les Fraises qui viennent du Portugal. Dans le Melon les habitants pointent du doigt, mais ces saisonniers étrangers y sont minoritaires dans l’ensemble de la main d’œuvre (13%). On retrouve ce discours stigmatisant de la part des exploitants agricoles. Les exploitants se sentent obligés de les prendre car ils trouvent peu de Français voulant faire un travail avec une si grande pénibilité.

Dans les melons, on constate une évolution des nationalités chez ces travailleurs : d’Européens du sud aux étudiants d’Afrique de l’Ouest inscrits en thèse à l’université de Poitiers qui vivent en cité U, à 1h de route de Loudun. D’ailleurs, cela pose souvent un problème d’accidents routiers…Ce groupe-là est supplanté par les travailleurs originaires de Bulgarie et de Pologne, facilités par les agences pour l’administration.

Il s’agit souvent d’un job d’été de 3 mois payé au SMIC et qui permet de financer leur loyer dans la cité U. Pour les Bulgares et Polonais, travailler en France leur permet d’être mieux payés que dans leur pays, au niveau de vie différent. Mais de plus en plus on assiste à des contrats saisonniers de 6 mois qui donnent droit au chômage et qui impliquent les migrants à rester en France…

Les saisonniers agricoles ne vivent pas vraiment dans l’endroit de l’exploitation parfois. Ils viennent alors en voiture ou covoit depuis Poitiers.

D’autre part, pour ceux habitant dans le même endroit que l’exploitation, la mobilité dans ces espaces peu denses est problématique ; leur espace de vie c’est l’exploitation et le soir l’endroit où ils restent.

Pour les exploitants venant du Royaume-Uni, d’Allemagne, de Belgique ou de Hollande, les raisons de l’installation dans le Périgord vert sont la recherche d’aménité, ils veulent changer de vie par une reconversion professionnelle qui permet de redonner du sens à leur existence. Souvent originaires de métropoles très urbanisées avec un foncier cher, ils sont en quête d’espace et d’une maison en habitant à la campagne. Le fait de vivre en France (gastronomie, climat plus clément pour le maraichage…) les attire aussi. Ils retapent souvent la maison/la ferme. Certains entament cette reconversion après un burn out/ un licenciement. Ils suivent alors une formation à la ferme Sainte Marie dans la Beauce pour construire une micro-ferme. Certains d’entre eux sont consultants donc peuvent travailler à distance en Belgique. Ils possèdent toujours la sécurité sociale en Belgique mais ont une résidence secondaire en France ! Le but est de s’accomplir dans un nouveau mode de vie comme dans le nord de la Dordogne où les prix sont encore très attractifs par rapport à la gentrification rurale due aux Britanniques dans le sud Dordogne. Alors qu’on avoisinait les 100 000euros le m² dans le pays d’origine, on atteint ici les 1000 euros/m², ce qui leur permet d’avoir un grand terrain autour de la ferme. C’est donc un investissement plus immobilier qu’agricole.

V/ Innovations apportées par les migrants dans le milieu agricole

  • Les cultures s’adaptent à la durée des contrats

Contrat d’au moins plus de 3 mois pour rendre plus attractive la venue de la main d’œuvre bulgare => Adaptation de cultures spécialisées pour l’avant et l’après melon pour que les salariés travaillent au moins 6 mois donc. Par exemple on va faire de la fraise jusqu’en avril au milieu des melons, rajouter des vergers de pomme et de poire. Bref, diversifier les cultures.

  • Innovations techniques

Dans les fraises, on va avoir de plus en plus de culture hors sol qui se développe pour plus de confort des travailleurs (cueillette à hauteur d’épaule) et plus de rendement.

  • Les migrants contribuent à maintenir certaines filières en crise et à changer les paysages agricoles

On retrouve une crise dans la fraise à cause de la concurrence depuis 1990 et dans la production laitière à cause des quotas. La crise des fraises libère du foncier, car on ne retrouve pas de repreneur, mais les anciens ouvriers agricoles saisonniers s’installent et reprennent cette filière fraisière. Dans le village de la Douze, on parle même de « la rue de Lisbonne » à cause des micro-exploitations détenus par les Portugais entre 1,5 hectare ou 4 hectares pour les plus grandes. Cela conduit à une intensification des paysages : tunnels en plastique qui se développent.

Pour le lait, l’isolement de ces terres rurales rend difficile la collecte du lait et les seuls qui reprennent les exploitations sont des Hollandais. Ils mutualisent en gros élevage de 150 hectares avec par exemple 80 vaches laitières…. Le profil des Hollandais est déjà ceux d’agriculteurs dans leur pays qui veulent se développer mais comme en Hollande le prix du foncier est cher, ils viennent dans le rural français. La chambre d’agriculture dit qu’ils fonctionnent en vase clôt et entre eux…

  • Ces migrants peuvent même créer une filière de toute pièce

Le maraichage, qui n’a pas sa place au sol granitique de Dordogne va émerger, souvent sur bien immobilier à la base et pas agricole. Ils créent des toute pièce leur culture par de petites exploitations qui n’ont pas le statut d’exploitation agricole, mais plutôt un statut d’association où il faut juste adhérer et pas dégager de revenus, tout doit être réinvesti dans l’association sur les 1500km² de champs aux petits fruits. La technique est alors adaptée aux surfaces du jardin et de la micro-parcelle avec un système de planches de 80m d’écartement de jambes pour l’exploitation manuelle des courges, fraises…

Ces migrants s’installent en bio ou en permaculture, car c’est leur projet de vie recherché dans le cadre de la migration : celui de rompre avec le système dominant, avec un objectif d’autosuffisance. Cela passe aussi par du petit élevage comme des chèvres ou poules qui ne vont pas être commercialisés. On réinvestit la fiente de poule pour l’engrais de culture, on valorise la proximité pour la commercialisation, les circuits courts et la vente directe, à la ferme, dans un local aménagé, une biocoop’ ou au marché. Pour cela, ils utilisent les réseaux sociaux, sont visibles sur Facebook, ce qui révèlent la compétence de ces gens, anciens cadres de la communication par exemple. Ils mettent en place des événements, des ventes de plants, des festivals, des marché paysans, sous des grandes serres avec DJ !

VI/ La question de la mobilité et de l’hébergement

Comment fonctionne l’hébergement temporaire des saisonniers ? Parfois les départements donnent l’autorisation ou pas d’héberger les saisonniers sur l’exploitation à titre gracieux, en Dordogne par exemple mais pas en Vienne. Ils logent dans des mobil home par exemple. Dans les melons des solutions alternatives se développent face au refus des collectivités : le camping, à 5euros juste pour eux. Ils louent parfois des apparts à plusieurs aussi. Cela remet à niveau le parc immobilier local. Autre solution : investir des anciens villages de vacances, comme « l’Escale », au nord de Loudun. D’ancien gite particulier pour les touristes se spécialisent dans la location pour les étrangers.

Lorsqu’un ancrage résidentiel a lieu si le contrat dure plus de 6 mois, les étrangers doivent trouver d’autres activités comme la taille des arbres en hiver ou un boulot au noir de réparation dans les garages. Cet ancrage se retrouve dans l’espace. Par exemple on constate les besoins des Portugais avec une alimentation particulière : au mois d’avril des rayonnages avec des produits importés du Portugal, ils reprennent parfois des bars, seul commerce du coin… Cela donne lieu à de nouvelles dynamiques démographiques, avec un solde migratoire qui va devenir alors positif, dans le canton de Vergt à Luire. Ce phénomène d’installation conduit à étoffer ces campagnes françaises riches de nationalités différentes

Quelle politique d’accueil pour ces migrants ?

Il existe des initiatives locales d’accueil comme des actions menées par des associations, une maison de la saisonnalité, un centre de ressources qui propose des aides dans le recrutement et dans l’hébergement ou des dispositifs dans les campings pour faciliter les arrivées et la facturation. L’association prend parfois tout en charge moyennant une contribution de l’exploitant, ce service social a alors un coût (ex : Barnum avec équipement (micro-onde)). Il y a même des animateurs sociaux dédiés pour gérer les conflits entre migrants agricoles et les touristes des campings. Un exemple d’association : « communiquer lire écrire » qui aide les Bulgares à parler et écrire Français ou encore « dynamob » qui prête des moyens de locomotion léger pour la mobilité des migrants.

Dans un deuxième temps on remarque une politique agricole régionale, avec Pôle emploi pour faciliter le recrutement, le ring pour l’emploi, des job dating où les candidats se renseignent sur les exploitations.

Pour les européens du Nord, il existe un accompagnement lors de l’installation d’agriculteurs en Dordogne. La moitié des exploitants sont des hors cadres familiaux en Dordogne Les PAIT (point accueil installation) sont des passages obligatoires et ils bénéficient parfois du DAGI (subventions pour les néo agriculteurs) auxquelles ils ont droit. Un réseau sur base professionnelle agricole les aide à s’intégrer : association bio, syndicat bio, des formations techniques pour échanger leurs savoirs faire…

Conclusion :

On peut constater en lien avec ces flux migratoires une sorte de nouveau capitalisme agricole. Cette géographie agricole des migrations rejoint celle de l’alimentation. Vous ne mangerez plus jamais des fraises de la même manière maintenant !

 

Pauline ELIOT, pour les Clionautes, 05/10/2019