Le Site archéologique Lattara, Musée Henri Prades de Montpellier Méditerranée, nous a habitués depuis des années, à côté de son exposition permanente – en rapport avec le site de la cité antique de Lattara –, à présenter de très belles expositions temporaires.

La dernière, qui commença le 17 octobre 2015 et se terminera le 29 février 2016, est consacrée à l’une des plus énigmatiques civilisations de l’Antiquité : celle des Étrusques, dont le cœur historique se situait en Italie centrale. Il s’agissait précisément de la Toscane, autour des cités telles que Véies, Vulci, Volterra, Cortone, etc. La visite que je viens de faire m’a incité à rédiger cette chronique afin de préciser un peu où l’on en est actuellement en ce qui concerne la civilisation étrusque, concurrente de celle des Romains des premiers siècles et des Grecs installés en Italie du Sud et en Sicile. L’exposition est ciblée sur l’écriture étrusque et la société de l’Italie antique. Ajoutons que cette leçon d’archéologie et d’Histoire est co-produite par le Musée de Lattes et le Musée archéologique étrusque de Cortone, avec le partenariat – pour l’épigraphie – d’institutions telles que le Musée du Louvre et les Musées archéologiques de Florence et de Zagreb.

L’écriture étrusque (plus de 12.000 inscriptions, en général courtes et fragmentaires), orientée généralement de droite à gauche, fut pendant longtemps une sorte de mystère, en dehors du fait que l’on savait qu’elle correspondait à une adaptation de l’alphabet grec et qu’elle fit son apparition vers 700 avant J-C à partir des cités helléniques d’Italie du Sud Cumes et Ischia (colons grecs venus de Chalcis et d’Erétrie). Les Étrusques n’étant pas un peuple utilisant une langue indo-européenne, ce qui rajoute un élément à l’énigme qui les entoure, on pouvait certes déchiffrer leur langue, mais elle restait – et demeure encore au moins en partie – largement incompréhensible. Cela dit, des progrès ont été accomplis dans le domaine de la langue étrusque. On arrive ainsi à identifier, sur des inscriptions, des noms d’artisans et d’artistes, précisant « untel a fait ceci », soit l’affirmation d’une sorte de possession, ou bien des dons du type « untel à donné à telle personne ». On a aussi des documents exceptionnels comme celui de Cortone, datant du IIe siècle avant notre ère, se présentant sous la forme d’une plaque en bronze faite de plusieurs parties, et toutes sortes d’écrits en rapport avec le culte des morts (dans les tombes, les Étrusques mentionnèrent de plus en plus l’identité du défunt), et même la vie quotidienne. Il se produisit donc une réelle démocratisation de l’utilisation de l’écriture, et ceci à partir des VIe-Ve siècles. Mais, il faut dire que tout cela ne nous permet pas d’avancer énormément – malgré la grande quantité d’inscriptions en notre possession – dans la connaissance du fonctionnement en profondeur de la civilisation de ce peuple. En fait, on sait juste un peu plus se repérer dans cette écriture que pour celle des minoens utilisant le linéaire A, restant toujours impossible à déchiffrer et à comprendre – contrairement au linéaire B mycénien. Il faut signaler au passage que, pour l’aristocratie étrusque, l’écriture revêtait un aspect fondamental en tant que signe de culture et de pouvoir, surtout au cours du VIIe siècle de notre ère.

L’expansion commerciale et militaire des Étrusques fut spectaculaire en Méditerranée centrale et occidentale entre le VIIe siècle avant J-C et le IIIe siècle. Sur le plan commercial, ils développèrent un commerce maritime en longeant le plus souvent les côtes, vendant dans des amphores des produits caractéristiques de l’agriculture méditerranéenne (notamment du vin, pour les banquets) et des fabrications artisanales ou artistiques (statuettes, etc). C’est dans ce contexte qu’ils s’installèrent souvent dans le cadre de comptoirs commerciaux, voire d’établissements pouvant correspondre à une certaine forme de peuplement de type colonial. Sur ce plan, la présence étrusque à Lattara – par exemple – est attestée par des éléments portuaires, une première fortification, des amphores et des inscriptions épigraphiques (des graffites) dès le VIe siècle avant J-C. On ne sait pas toutefois quelle était l’importance de cette présence, qui, de plus, mit le peuple toscan au contact avec des populations essentiellement indigènes, ligures ou celto-ligures. Un autre établissement important fut celui d’Aléria, en Corse ; c’était même une véritable colonie étrusque. Et il convient de signaler la présence de ce peuple au contact de la Rome des origines (dès le VIe siècle) et jusqu’en Grèce ou même en Afrique du Nord ! Au niveau militaire, l’expansion étrusque entra inévitablement en concurrence avec celle des Romains (surtout du temps de la République) et des Grecs venus de Phocée (en Asie Mineure) qui fondèrent la cité de Massalia (Marseille). Les guerres furent continuelles entre ces trois puissances au moins jusqu’au IIIe siècle avant J-C. Ainsi, c’est vers 540 avant notre ère qu’eut lieu la bataille de la mer de Sardaigne, qui vit la cité grecque des Massaliotes battue par les Étrusques. Inversement, ceux-ci subirent une cuisante défaite navale devant la cité de Cumes face au tyran Hiéron de Syracuse, ce qui entraîna immanquablement une période de repli de leur puissance en Méditerranée occidentale. Puis, après que les Romains se soient emparés de la cité de Véies en 396 avant J-C, on assista à une succession de guerres entre ces derniers et les Étrusques au cours du IVe siècle. Par la suite, dès les débuts du IIIe siècle, Rome arriva à conquérir les cités du peuple toscan, qui perdit progressivement son indépendance et connut un processus de romanisation.

Les objets archéologiques, dont un bon nombre sont parfaitement mis en valeur dans le cadre de l’exposition au Musée de Lattes, révèlent des éléments fondamentaux sur la civilisation étrusque, dont les cités se structurèrent à partir du VIIe siècle avant notre ère. Ainsi, pour la navigation, avec les épaves de bateaux que l’on a pu retrouver. Pour la religion, avec tout ce qui tournait autour de la divination (ce que les Romains appelèrent « Etrusca disciplina »). Pour la vie quotidienne, avec des outils en bronze servant à divers usages. Pour la condition de la femme, apparaissant comme beaucoup plus libre qu’en Grèce ou à Rome. Enfin, pour la conception de la vie, semble-t-il plutôt optimiste, avec le célèbre « sourire » des statues étrusques, tel ceux, célèbres, de ce couple allongé sans doute pour un banquet.

La fin, puis la redécouverte de la civilisation étrusque, sont très intéressantes à analyser. En effet, il y a d’abord la façon dont ce peuple avait lui-même envisagé sa fin, son déclin, en ce qui concerne la durée potentielle de sa civilisation. En effet, une sorte de « prémonition » les amena à affirmer très tôt que leur culture ne durerait que pendant huit générations. Or, c’est exactement ce qui se passa, puisqu’on assista à la disparition pure et simple de la langue étrusque au profit du latin lors du Ier siècle de notre ère, vers l’an 1 – précisément à l’époque de l’Empereur Auguste. L’Étrurie devint alors une simple région de la nouvelle Italie romaine. Disparition, et pourtant ce peuple légua des éléments civilisationnels importants à Rome, notamment dans le domaine de la religion, avec tout ce qui avait trait à la divination, aux augures, aux haruspices, etc. Ce qui est curieux et qui maintient le mystère de ce peuple et de cette civilisation jusqu’au bout, c’est à la fois la disparition extrêmement brutale de sa langue, puis – des siècles et des siècles plus tard – à partir des XVIe-XVIIIe siècles de notre ère, l’intérêt ultérieur que leur civilisation suscita…
Les Étrusques – écriture et société dans l’Italie antique

  • Les Étrusques en toutes lettres, Écriture et société dans l’Italie antique, Catalogue de l’exposition du Musée Henri Prades, Silvana Éditoriale, 2016, 224 pages
  • Site internet : museearcheo.montpellier3m.fr
  • Site Archéologique Lattara, Musée Henri Prades, 360 avenue de Pérols, 34970, Lattes
  • Les Étrusques, Dominique Briquel, PUF, Que sais-je ?, 2012, 128 pages
  • Les Étrusques : Pouvoir-religion-vie quotidienne, Davide Locatelli et Fulvia Rossi, Hazan, 2010, 384 pages