Leçon inaugurale, festival Les Géopolitiques de Nantes, 23 septembre 2022

Pascal Boniface

 

 

 

PASCAL BONIFACE – Géopolitologue, directeur de l’IRIS

La guerre en Ukraine bouleverse les équilibres géopolitiques depuis février 2022. Pascal Boniface livre ici son analyse en mêlant histoire, actualité et prospective. Sa leçon inaugurale du Festival « Les Gépolitiques de Nantes » nous éclaire sur le sujet.

Le festival commence en rappelant la part citoyenne de la géopolitique, et son succès actuel, en lien notamment avec sa place dans l’enseignement en 1ère et terminale HGGSP.

L’importance de la géopolitique aujourd’hui se révèle dans un monde incertain. La géopolitique est nécessaire car elle complète une connaissance.

 

Un contexte historique important

Pascal Boniface, dans sa leçon inaugurale des Géopolitiques de Nantes, commence en rappelant que la géopolitique n’est que rarement porteuse de bonnes nouvelles. Sur la guerre en Ukraine, le chercheur évoque que la première victime de la guerre du point de vue de l’analyse et de la réflexion est la vérité; la deuxième étant la nuance.

Deux convictions sont alors proposées. La première porte sur ce qu’il estime être des erreurs à l’égard de la Russie. Il évoque une « trahison de l’Ouest » dans la pérestroika. Ainsi pour le chercheur, l’Ouest n’a pas soutenu jusqu’au bout le processus initié sous Gorbatchev. C’est pour lui une erreur stratégique de l’OTAN reconnue d’ailleurs en son temps par F.Mitterand et N.Sarkozy. La thèse qui circule dans l’OTAN est alors celle d’une Russie agressive. Pour la contenir, il faut élargir l’OTAN, c’est le concept de containment élaboré par G.F Kennan. Concept qui a été dénoncé par les deux présidents français.

La deuxième conviction de P.Boniface est que ces erreurs ne justifient pas la guerre. Pourtant, il faut dès aujourd’hui réfléchir à l’avenir des relations avec la Russie lorsque la guerre sera terminée. Réfléchir aussi, en même temps, aux erreurs commises par l’OTAN sans exonérer Poutine et ses méfaits.

Le chercheur entrevoit malgré tout une bonne nouvelle : le fait que le recours à la guerre pour résoudre des conflits soit un échec.

Ce recours à la guerre a surpris bon nombre de scientifiques car cela dérogeait à la stratégie de Poutine de son arrivée au pouvoir en 2000 jusqu’au 24 février 2022 (début de la guerre en Ukraine).

Dès le départ, le président russe a souhaité restaurer la stature de la Russie, symbole d’une nostalgie de grandeur passée, la disparition de l’URSS étant perçue comme une catastrophe. Le dirigeant estime que seule la brutalité peut fonctionner. Son erreur que cette stratégie constitue davantage qu’un crime, une faute.

Poutine a déjà perdu la guerre en Ukraine

C’est un échec depuis le début car les chars russes n’ont pas atteint Kiev du fait d’une insuffisance dans la mobilisation, d’erreurs stratégiques et manquements logistiques. Il n’ a pas réussi à mettre en place un gouvernement fantoche. Qui plus est, l’agression russe, les crimes, les viols, font que l’Ukraine se définit par opposition à la Russie avec le réveil d’un sentiment nationale.

Il voulait montrer montrer la division des européens et de l’OTAN, c’est l’inverse qui s’est produit avec notamment l’adhésion de la Suède et la Finlande. De même ses choix devaient permettre d’afficher  la puissance de la Russie, mais l’armée s’est révélée indisciplinée.

Selon le chercheur, la décision récente de mobilisation partielle aggravera les conséquences de sa future défaite.

Le plus important est la réaction russe : fuite de 200 000 citoyens.  Il ruine son héritage et sa place dans l’histoire de la Russie. En tous les cas, la Russie est la deuxième victime de cette guerre. Bien entendu, première victime, l’Ukraine par le nombre de morts et de blessés. Mais l’Ukraine, elle, a gagné un statut. Zelensky est passé de président peu crédible à l’échelle internationale a un statut de leader, chef de guerre reconnu. L’Ukraine était un pays où on ne les entreprises ne souhaitaient pas investir car miné par la corruption (Zelensky étant cité dans les Pandora Papers). Les dirigeants ukrainiens depuis 1991, sont tous corrompus, la  population étant martyre des dirigeants. Rappelons que 7 millions d’ukrainiens ont fui le pays depuis 1991.

 L’objectif, une fois la guerre gagnée, sera de savoir si la société civile reprendra le dessus ou les oligarques qui contrôlait le pouvoir auparavant. Reste à savoir quelle sera la bonne décision à prendre vis-à-vis de l’intégration ou non de l’Ukraine dans l’Union européenne.

Des ruptures stratégiques pour les pays de l’UE

Pour l’Allemagne, ce conflit l’entraîne dans une perspective de changement de modèle économique avec la fin des matières premières bons marchés.

En France, l’inflexion est stratégique avec une volonté d’être un interlocuteur de Moscou réduite presque à néant, ce qui réduit aussi l’autonomie stratégique européenne. Le président Macron doit rendre des comptes aux Etats-Unis dans chaque décision. C’est aussi un changement majeur pour l’OTAN. Le président français évoquant une mort cérébrale de l’organisation en 2019. Aujourd’hui l’ensemble des pays européens sont désireux d’y appartenir.

Un avenir géopolitique incertain

SI une union du monde occidental s’est faite, il ne faut pas la confondre avec la communauté internationale. L’Inde achète actuellement du pétrole aux Russes, la Turquie va payer une partie de sa dette en roubles, une partie de la communauté internationale estime que les Occidentaux sont des hypocrites. La question de la Chine reste en suspens, elle ne voudrait plus de la Russie comme allié et subit elle subit aussi l’augmentation du prix des produits.

Quels facteurs d’espoir ?

La crise iranienne sera potentiellement un facteur de changement et de renouveau politique. Les Russes ne suivront pas Poutine dans la guerre, ils ont une volonté de garder leur liberté. Enfin, dans le monde, de nombreuses initiatives de sociétés civiles.

 

Pour aller plus loin:

La guerre en Ukraine, révélateur des tensions géopolitiques du monde – Les Clionautes

Poutine : l’ascension d’un dictateur – La Cliothèque (clionautes.org)

 

 

Valentin Le Bourhis et Morgan Le Loupp