Conférence au festival Les Géopolitiques de Nantes, 24 septembre 2022

Marine de Guglielmo Weber   Olivier de France   François Gemenne   Séverine Kodjo-Grandvaux  Catherine Larrière

Que peut dire la nature en géopolitique, et que veut dire l’écologie au politique ? La nature s’y découvre-t-elle comme un objet, une ressource, un sujet ?

Un thème central, à expliciter

Marine de Guglielmo Weber commence par rappeler l’importance du thème de la géopolitique de la nature qui, alors même qu’elle est souvent réduite à un décor selon les valeurs occidentales (« l’environnement »). Cela  affecte par le biais de manifestations physiques (canicules, sécheresses, incendies, inondations) et est renforcé sous l’influence du changement climatique et des phénomènes sociaux (6ème extinction de masse). Une sixième des neuf limites planétaires a été franchie, la chercheuse évoque une « crise écologique ».

Pour François Gemenne, considérer la nature comme un objet, et non pas un sujet politique ; séparer les sciences naturelles, ou dures, s’appliquant à la Terre et le monde, sont des erreurs que l’on peut notamment observer dans l’enseignement.

La manière dont la Terre allait organiser le monde et les relations internationales (dépendance et vulnérabilité face à la nature) n’a ainsi pas été prise en compte, alors que, par exemple, dans la bande du Sahel, 70% de la population a pour principal revenu l’exploitation de la terre et de la nature. Le changement climatique nous apprend qu’un ordre international construit indépendamment de la nature est une fiction.

Le chercheur se questionne plus précisément sur le sort des Etats et des populations vivant sur un territoire prochainement immergé face à la hausse du niveau des mers. L’Etat maintient-il sa qualité, ou les citoyens deviennent-ils apatrides à cause d’actions causées principalement par d’autres à l’autre bout du monde ?
L’enjeu fondamental aujourd’hui des relations internationales est de comprendre les rapports du monde avec la Terre/la nature, et non pas les rapports entre nations. Comment utiliser la nature dans la lutte contre le changement climatique ?

 

Une séparation nature-culture

Séverine Kodjo-Grandvaux se penche ensuite sur la séparation entre nature et culture, entre nature et humain dans la vision occidentale. La spécification même du mot « nature », comme une entité en particulier, et donc séparée, démontre de cette vision de nature comme décor et environnement de l’humain. Cette idée ne se retrouve pas forcément dans d’autres langues, notamment dans des langues africaines.

L’Europe s’est construite sur un processus de conquête territoriale et coloniale, sur une vision et morale cartésienne (Descartes) explicitant un rapport d’extériorité. Celui-ci légitime la colonisation des terres insuffisamment exploitées et la domestication du « sauvage », et donc le traité du droit colonial. Les indigènes, les populations réduites en esclavages sont « sauvages », font partie de la nature (les esclaves sont appelés « bois d’ébène », ressource naturelle, objet et non pas sujet).

Le rapport de l’Occident à la nature est un rapport de mort  avec les herbicides, pesticides, produits dans les anciennes usines d’armement chimique. C’est par exemple l’utilisation dans les guerres comme l’agent orange lors de la guerre du Vietnam pour décimer les populations et l’environnement.

Une nouvelle approche de la nature

Catherine Larrière évoque la remise en question de la vision occidentale de la nature qui s’opère aujourd’hui. Elle est à la fois une autocritique occidentale (élan romantique, qui n’aurait pas fait beaucoup d’avancées seul) . C’est aussi une remise en question du passé colonial des autres pays. La conception de nature n’est pas universelle (concept d’ontologie de Philippe Descola)

La chercheuse fait ensuite le lien, citant Carolyn Merchant, avec trois axes de l’histoire :

  • la montée du capitalisme avec d’autres rapports de nature et sociaux,
  • l’histoire des sciences et l’émergence des sciences modernes (Descartes, Newton, Galilée),
  • l’histoire des femmes, les procès de sorcières traduits pas la mort des femmes (Francis Bacon, fin XVIème, compare la nature à la femme ; les destructions des femmes – chasse aux sorcières – et de la nature).

Ces axes liés montrent une purgation d’une conception dominante de la terre comme grand vivant (référence à Pachamama). Les luttes sociales, féministes et écologiques actuelles sont ainsi aussi à lier.  Catherine Larrière parle alors de l’écoféminisme. Les failles et tensions qui s’opèrent dans le monde occidental seraient révélateurs de possibilités d’en sortir. La géopolitique de la nature est donc souvent pensée à travers ce prisme.

 

Une prise en compte géopolitique de la question écologique ?

Pour Catherine Larrière, clairement, non. En effet, depuis 1992 avec le sommet de la Terre à Rio en 1992, les conventions sur le changement climatique dans le cadre de l’ONU , les émissions de gaz à effet de serre (GES) n’ont pas baissé de manière volontaire.
Les accords internationaux/rapports entre les Etats dans les conférences internationales/ONG restent nécessaires et à développer. La question environnementale est une question mondiale à traiter au niveau international. Cependant le relais avec les échelles intérieures (échelles régionales, nationales, etc.) est incapable de se faire. Ces derniers ne pouvant pas appliquer le contenu des accords : il faut articuler le global et le local (référence à Bruno Latour)
Des actions sont quand même à retenir : mobilisations, condamnations du gouvernement pour non mise en œuvre de ses engagements climatiques. Il y a beaucoup à attendre de la société civile et initiatives citoyennes.

Pour François Gemenne, il existe un écueil central : les problématiques  de la terre tentent des traités avec les institutions internationales/mondiales. Pourtant les relations internationales permettent d’articuler la balance entre les différents intérêts des nations. Chaque nation veut maximiser son propre intérêt, et les nations touchées par la question écologique ne sont forcément celles causant le problème. Les relations internationales ne sont pas altruistes, agir contre le changement climatique serait apporter des bénéfices à d’autres.


Séverine Kodjo-Grandvaux dénote le pouvoir et l’importance des luttes au niveau local et microlocal (ex : écoféminisme)
Le mécanisme occidental n’a pas éradiqué l’animisme européen.

Quelle conscience des problématiques actuelles ?

François Gemenne :
Le Nord prend conscience qu’il est aussi dans son intérêt, et pas seulement pour celui du Sud, de réduire ses GES (gaz à effet de serre).
En terme de géopolitique de la nature, il y a une interdépendance internationale (remet en cause la souveraineté nationale), mais toutes les relations internationales sont organisées autour de la souveraineté nationale.  Cette souveraineté ne veut pourtant plus rien dire dans le changement climatique. Seule la Chine pouvait conserver un semblant de souveraineté nationale avec près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre.  C’est l’un des pays les plus pollués. La Chine cherche à diminuer les émissions de GES car les actions ont un effet sur le territoire (risques climatiques).

Catherine Larrière :
L’intérêt commun à venir à bout du dérèglement climatique est apparu très tôt (message de Menton dans les années 1970), mais l’accord commun du monde n’est pas possible. Certains, qui ont généralement du pouvoir, profitent du dérèglement climatique et s’enrichissent. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils laissent tomber leurs propres intérêts.
En Guyane, département français qui abrite une partie de la forêt amazonienne, la pratique de l’orpaillage tue la biodiversité et les humains. Des efforts sont cependant faits pour mettre en place dans le conseil scientifique du parc national une représentation autochtone, pour varier du savoir scientifique occidental et avoir du savoir local.
La modernité n’est pas un bloc : par exemple, Spinoza était cartésien, mais refusait le dualisme cartésien (2 substances : la nature ou Dieu). L’Homme n’est pas un empire dans un empire, c’est-à-dire que l’Homme n’est pas le dominateur d’une nature qui lui serait soumise. Spinoza refuse la séparation de l’Homme et de la nature.
On ne sort pas du dualisme par le monisme : tout n’est pas homogène (par exemple, la politique n’est pas naturelle mais spécifiquement humaine).

 

Les Gaz à effet de serre

François Gemenne :

Dans les années 1960, Europe représentait 42% des émissions de GES, en 2022 elle en représente 12%. Non pas parce que les émissions ont baissé en Europe mais parce que les autres régions du monde ont augmenté les leurs. Avec l’horizon de neutralité carbone, la part de l’Europe dans les émissions de GES, et ainsi son importance dans les négociations diminue. Plus l’Europe diminue ses émissions, moins elle maîtrise son destin climatique. Les changements devant alors se faire pas les pays les plus polluants. Plus on réduit, moins on est important dans la négociation. Si l’Europe veut retrouver la maîtrise de son destin climatique, il lui faut financer les énergies renouvelables dans le monde (dans les pays en développement, lutter contre la déforestation en Amazonie…). Cependant, les peuples attendent une action qui puisse bénéficier à la nation d’abord, et non pas aux autres pays du monde, ce qui rend ce genre d’action plus difficile.

La Chine produit, mais ne consomme pas ce qu’elle rejette.
Une solution pourrait être de calculer l’empreinte carbone selon la consommation extérieure.

Se poser la question de la géopolitique de la nature c’est penser au futur. Lorsque les pays exploitants les métaux rares auront besoin de métaux pour eux-mêmes, ils n’en auront plus et devront donc se tourner vers d’autres territoires (catastrophes écologiques et humaines)

Si les pays des Suds se développent, alors le bilan carbone mondial va encore augmenter de manière exponentielle. L’intérêt du Nord serait alors de ne pas laisser se développer les Suds pour continuer son niveau de consommation actuel.

 

Séverine Kodjo-Grandvaux :
L’Europe pollue moins par rapport aux autres régions car ses émissions de GES sont délocalisées en Chine, qui produit pour l’Europe.

Pour mieux respirer à Paris, on accepte d’exploiter et polluer en Bolivie.

 

Et l’espace ?


Catherine Larrière :
Les interventions techniques d’il y a 150/200 ans causent en partie les catastrophes écologiques d’aujourd’hui, sans qu’ils le sachent à l’époque. Nos actions d’aujourd’hui auront de la même manière surement des impacts plus tard.

  • Comment faire attention à l’espace, à notre relation avec l’espace, alors que les satellites le polluent déjà ?
  • Faut-il donner un statut juridique à la nature (ex : la Loire) ?

L’espace est une poubelle, et les satellites des bombes d’émission de gaz à effet de serre. Il est parfois question d’envoyer, par exemple, nos déchets nucléaires dans l’espace.
Selon la conception de Hobbes, invoquer le Léviathan dans le monde entier voudrait faire du monde entier une zone de paix, ce qui semble impossible. Selon la conception de Montesquieu, un gouvernement du monde serait nécessairement despotique.
La géopolitique de la nature concerne ainsi les humains et le vivant que nous entoure et nous ressemble. Nous avons besoin de Gaïa, mais elle n’a pas besoin de nous.

Séverine Kodjo-Grandvaux distingue deux interventions humaines dans l’espace : l’exploration scientifique et la conquête industrielle et commerciale de l’espace. C’est par exemple la volonté d’aller sur Mars ou la lune pour exploiter de l’hélium. Cela annonce un anthropocène dans l’univers sans se soucier de perturber le système dont on est pourtant dépendant (Lune, Soleil…).
Auparavant, la nature était représentée par divers entités divines, qu’il fallait donc reconnaître et protéger (défense des pratiques animistes). Cependant, en Europe, le lien avec ces entité est absent, donc la notion d’écocide a moins de sens. Cependant, il peut exister, comme pour la Loire, des relations avec les habitants autour de la Loire en tant que communauté, qui pourrait amener à une « bureaucratisation » du rapport au vivant.

 

Des références pour aller plus loin.

 

 

Emmy Pothier et Morgan Le Loupp