Des compétitions sportives internationales aux petites fédérations locales, de la guerre en Ukraine aux financements de l’Arabie saoudite, acteur-ices et institutions sont soumis à des rapports de force géopolitiques. Dès lors, tous-tes cherchent à s’emparer de la puissance sportive pour mieux l’utiliser. Dans ce contexte, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 sont un enjeu pour la France mais aussi pour le monde. Quel est le rôle du Comité International Olympique dans la participation ou non des athlètes russes et biélorusses ? Comment les États se sont-ils positionnés géopolitiquement ? Les Jeux olympiques et paralympiques sont-ils un marqueur de la « désoccidentalisation » ? À l’heure des problématiques écologiques, cet évènement sportif mondial est-il toujours viable ?

Dans quelle mesure le contexte géopolitique mondial influence-t-il le domaine sportif ? Comment le sport peut-être utilisé comme moyen de pression pour servir les intérêts étatiques à l’échelle mondiale ?

Intervenants :

Lukas Aubin est directeur de recherche à l’IRIS, docteur en études slaves et membre du Centre de recherches pluridisciplinaires multilingues (CRPM) de l’Université Paris Nanterre. Russophone et voyageur aguerri, il parcourt l’ex-URSS depuis plus d’une décennie pour conduire ses recherches. Son travail porte sur les nouveaux enjeux géopolitiques de la Russie et du sport. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont La Sportokratura sous Vladimir Poutine. Une géopolitique du sport russe (Bréal, 2021), Géopolitique de la Russie (La Découverte, 2022), Atlas géopolitique du sport (Autrement, 2022) et Géopolitique du sport (La Découverte, 2023).

Emmanuelle Bonnet-Oulaldj est co-présidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), administratrice du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) depuis 2017 et de l’Agence nationale du sport (ANS) depuis 2019. Engagée depuis 20 ans dans le mouvement sportif fédéré, elle porte en 2021 la candidature #NousLeSport à la présidence du CNOSF pour encourager une vision émancipatrice et inclusive du sport associatif.

Carole Gomez est assistante diplômée en sociologie du sport au sein de l’Institut des Sciences du Sport de l’Université de Lausanne (ISSUL) où elle prépare une thèse sur les violences de genre dans le sport. Précédemment, elle a été directrice de recherche à l’IRIS, spécialisée en géopolitique du sport. Ses travaux de recherche portaient sur la diplomatie sportive, les questions d’intégrité et la réforme de la gouvernance sportive.

Vincent Pasquini est en charge de la coopération internationale au sein du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 depuis mars 2020. Il a auparavant travaillé pendant 17 ans dans les relations internationales au ministère des Affaires étrangères ainsi qu’au département des Affaires politiques des Nations unies. Vincent Pasquini est diplômé d’un master en relations internationales de Sciences Po et d’un master en études africaines de l’Université Paris 1.

Présentée par Aurélie Roché adjointe à la communication à l’IRIS.

Compte rendu : Jade HONORE (Prépa B/L Saint François Xavier Vannes),

Des fédérations locales aux compétitions sportives internationales, acteurs et instituions sont soumis à des rapports de forces mêlant petite et grande géopolitique. Dès lors, tous cherchent à s’emparer de la puissance sportive pour pouvoir mieux l’utiliser. Ainsi, les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 sont un enjeu majeur pour le France, mais aussi pour le monde, d’autant plus qu’ils interviennent dans un contexte géopolitique particulier, avec la guerre en Ukraine.

Le sport, un outil pour les Etats

Le sport est un enjeu important car il représente près de 2% du PIB mondial affirme Lukas Aubin. Les pays s’y intéressent car il permet d’affirmer une certaine puissance, mais également de se construire une image, d’hygiéniser sa population et même, peut être un moyen pour la contenir.

Le sport peut aussi permettre de créer une rupture avec les autres. C’est notamment ce que l’on perçoit avec la guerre en Ukraine. En effet, la guerre a commencé avec l’invasion de la Russie, alors que les Jeux Paralympiques de Beijing en 2022, n’avait pas encore commencé, rompant alors la trêve olympique, et conduisant les athlètes paralympiques de la Russie et de la Biélorussie à être interdite des Jeux par le CIP, le Comité International Paralympique.

Cet événement crée également un clivage entre les pays occidentaux qui ne veulent pas de réintégration de ces pays au comité, alors que les pays non-occidentaux sont davantage pour. Ainsi, le conflit géopolitique donne une impulsion politique aux Jeux Olympiques, même s’ils sont historiquement désignés comme « apolitique » selon Pierre de Coubertin.

Le sport est une arme polymorphe, utilisé par des acteurs aux intérêts différents (Etats, ONG, fédérations, clubs, société publique, sponsors). C’est notamment le cas du bras de fer qui a eu lieu lors de la Coupe du monde de football en 2022 au Qatar, concernant le service d’alcool dans les stades. En effet, le service devait être autorisé, or le Qatar a décidé de refuser quelques jours avant le début de la compétition la consommation d’alcool, prenant alors de court la FIFA. Ainsi, cela met en évidence que le sport est un outil pour la Qatar, montrant par la même occasion que la vision occidentale qui est davantage présente dans ce domaine ne persiste pas toujours. Cela interroge également la puissance de la FIFA, qui semble perdre de plus en plus de poids face aux pays organisateurs des compétitions.

Enfin, le sport peut être un outil pour permettre la reconnaissance d’un Etat, et donc un outil puissant. C’est notamment ce que révèle Emmanuelle Bonnet-Oulaldj avec son travail au sein de la FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail), qui a reconnu en 1982 le mouvement sportif palestinien et qui coopère encore avec aujourd’hui. Cela à une incidence majeure, car cette reconnaissance à par la suite permis l’accueil de la première équipe de football palestinienne dès 1984 et la participation d’une première délégation palestinienne aux Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996.

La guerre en Ukraine, une remise en question du Comité Olympique

Selon la tradition, le Comité International Olympique (CIO) doit respecter certains principes, ce qui l’a notamment poussé à prendre rapidement la décision d’exclure les athlètes russes et bélarusses des Jeux Paralympiques, qui se sont déroulé en mars 2022 (la guerre ayant commencé le 27 février 2022).

Le CIO est revenu petit à petit sur sa décision, montrant alors un échec important, et ce même s’il a utilisé un vocabulaire prudent, pour tenter de rester le plus neutre possible car il se déclare comme étant « apolitique »,

Ainsi, se pose la question de savoir si les athlètes russes pourront ou non participé aux Jeux de Paris, sous une bannière neutre (s’ils n’ont eu aucune « complicité » avec la Russie concernant la guerre en Ukraine et sont soumis à beaucoup de contraintes).

Une organisation qui se dit apolitique a finalement dû s’exprimer, ce qui met en avant que le sport est bien politique et dépendant des relations géopolitiques existantes.

Le boycott, une revendication sportive et politique

Carole Gomez met en évidence que le boycott est un élément ancien et répandu dans les Jeux. En effet, beaucoup de JO ont été boycotté par de nombreux pays, pour des raisons différentes car il permet de faire passer des messages et de montrer son opposition.

Le boycott peut à la fois être sportif, quand des athlètes refusent de participer à une compétition, mais également diplomatique, c’est-à-dire que l’on n’envoie pas de représentants politiques pour montrer son désaccord, comme ce fut le cas pour de nombreux pays en 2022 qui n’étaient pas d’accord avec la Chine.

Il est refusé pour les sportifs dans certains cas, car le sport peut représenter beaucoup d’enjeux, comme ce fut le cas avec la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. Or, le boycott peut également venir de la société civile, impulsé par des associations comme Amnesty Internationale pour sensibiliser la population sur des sujets précis, montrant alors une dimension symbolique au boycott.

Cependant, comme le souligne Emmanuelle Bonnet-Oulaldj, parmi tous les boycotts qui sont survenus durant l’histoire, il est vrai que l’on choisit ce que l’on a envie de retenir. C’est le cas des Jeux Olympiques de 1936 en Allemagne (Hitler étant alors au pouvoir) où l’on a tenté de un boycott, et qui a finalement aboutit à la mise en place d’Olympiades à Barcelone en 1936 pour s’opposer aux Jeux allemands, que peu de personnes semblent avoir retenu, notamment à cause du début de la guerre civile espagnole.

Le boycott est utilisé dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, comme le montre Vincent Pasquini. En effet, certains pays menacent de ne pas participer aux Jeux Olympiques de Paris 2024 si la Russie est présente. L’Ukraine, quant à elle, a tout intérêt à participer à ces Jeux car cela lui permet d’être médiatisée mais également de mettre en avant ses intérêts, cet événement sportif étant regardé par près de la moitié de la population mondiale.

La place des pays dans le sport et la place du sport dans les pays

Comme le soulève Carole Gomez,  la géographie du sport met en évidence que les événements sportifs se concentrent majoritairement dans les pays occidentaux. On peut en effet relever que jusqu’en 2036, les Jeux Olympiques se dérouleront dans des pays occidentaux.

Cependant, depuis les années 1990, des puissances émergentes comme le Brésil, la Chine, la Russie ou encore dernièrement le Qatar s’imposent. Il y a donc une ouverture du sport au monde non-occidental, et ce également pour des pays asiatiques qui accueillent ces dernières années des grandes compétitions de natation ou encore d’athlétisme.

Cette question d’ouverture est importante car elle met en avant des nouveaux acteurs qui vont devenir majeurs très prochainement, comme par exemple l’Inde qui n’hésite pas à exporter le yoga (exemple du premier ministre indien qui a donné une séance de yoga à l’ONU), mais également le continent africain, avec le Maroc. Cela est notamment renforcé, comme le met en avant Carole Gomez, par le fait que ces puissances émergents occupent une place de plus en plus importante d’un point de vue institutionnel et organisationnel : la prochaine session du CIO se déroulant, par exemple, en octobre 2023 à Bombay.

Cependant, lorsqu’une compétition sportive à lieu dans un pays non-occidental, celle-ci reçoit beaucoup de critiques (ex : non-respect des droits de l’Homme, question des droits des femmes, en matière d’écologie). Cela interroge alors les sanctions qui devraient être appliquées à l’égard de ces pays, mais cela n’est pas fait, car plus beaucoup de pays pourraient participer à ces compétitions sinon.

Enfin, le sport occupe une place importante car, comme le souligne Carole Gomez, il permet d’acquérir un certain statut et une certaine indépendance. En effet, l’ONU est composé de 193 membres, or il existe plus de 200 fédérations sportives, permettant une certaine affirmation et donc une potentielle reconnaissance par la suite au niveau international. Les fédérations peuvent alors acquérir un maillot, un hymne, qui sont des symboles d’une certaine indépendance.

La question de l’avenir des grandes compétitions sportives

Tout d’abord, les grandes compétions sportives sont sources d’enjeux sociétaux importants. En effet, à l’image des Jeux Olympiques de 2024, l’objectif des compétitions est de laisser une trace pour la suite : on doit retenir le caractère spectaculaire de l’événement, qui doit apporter un plus à une société : les Jeux ne doivent pas être uniquement des Jeux.

Ces différentes compétitons permettent également une certaine approche sociologique, comme le met en avant Carole Gomez. On peut notamment reprendre l’affaire Luis Rubiales lors de la Coupe du Monde de football féminine 2023, concernant les violentes faites aux femmes et qui engendrent alors de nombreux débats. Ce fait a largement été repris à l’échelle internationale, même si la FIFA a mis longtemps à réagir et intervenir sur la chose. Ainsi, cet événement sportif est progressivement sortir du domaine du sport pour aller dans celui de la sociologie, mais aussi de la pédagogie. On peut également prendre l’exemple du port du Hijab dans les compétitions sportives, qui peut être vu comme une véritable enjeu de société, car tous n’ont pas la même opinion sur son port (la France étant plutôt contre, alors que les fédérations internationales sont plutôt pour, ce qui montre une véritable opposition et une difficulté à articuler les idées de chacun).

Le déroulement de compétitions sportives s’interrogent également sur des questions d’écologie, de développement durable et de pollution en matière de transport et de construction. Pourtant, Vincent Pasquini met en avant que pour cette édition de Paris 2024, les émissions de carbone concernant les transports et les constructions ont réduits de moitié par rapports aux éditions précédentes. Des innovations ont aussi lieu, comme l’approvisionnement des stades qui ne se fera plus avec des générateurs mais directement sur le réseau. Néanmoins, la question reste toujours de savoir si cela est suffisant mais aussi de savoir si ces mesures vont perdurer dans l’organisation d’autres événements sportifs, ce que souligne Lukas Aubin (on peut notamment s’interroger sur la possible venue des JO d’hiver en France en 2030).

Conclusion

En conclusion, le sport reste un domaine éminemment politique, tant au niveau des choix effectués et des prises de positions que dans l’organisation des événements. Le contexte géopolitique est essentiel pour comprendre l’entièreté des événements et des relations qui se déroulent. Ainsi, le sport est un outil comme un autre pour servir ses intérêts et mettre en avant ses idées.

Pour aller plus loin: Interview de Lukas Aubin

La conférence en intégralité

Conférence de 2016 sur la géographie du sport

Jade HONORE (Prépa B/L Saint François Xavier Vannes),pour la rédaction du compte-rendu, (les élèves de Caroline Villordin),  relecture Morgan Le Loupp