Maxime DEJEAN, est géographe, auteur de Le tourisme international chinois : Des foyers de départ jusqu’aux destinations aux Éditions ISTE Group. Il est maître de conférences en Géographie du tourisme à l’UBO – Quimper. Et il a été chef d’un tour opérateur nommé « Petit Prince » en Chine jusqu’à l’arrivée du COVID.
Introduction
« Sans Parti communiste, il n’y aurait pas de nouvelle ère touristique » => Le fait politique est en lien avec le fait touristique en Chine. Le tourisme chinois ne peut être dissocié de l’encadrement politique.
Les voyages d’agrément se construisent principalement autour du libre-arbitre des individus… mais cela n’est pas compatible avec le lien Individus/Etat-parti et le principe gagnant/gagnant du shuāngyíng (双赢)→ les touristes chinois ont accès au monde mais cela doit servir la mère patrie. Et pourtant en 2019, 169 millions de touristes chinois avaient parcouru le monde. Ainsi l’Etat chinois a pu être à l’origine d’une guide du « bon touriste » à l’étranger car des touristes chinois au Vietnam ont déjà été bloqués à la frontière vietnamienne en portant des T-shirt promouvant la Chine de façon assez impérialiste.
A quel degré les flux touristiques internationaux chinois sont-ils dépendants des acteurs désignés par l’Etat-parti pour les encadrer?
D’un tourisme émetteur restreint à un tourisme « utile »
De 1949 à 1976 : la période de « non-tourisme »
Au départ le tourisme chinois est un tourisme réservé aux bourgeois ou aux bons fonctionnaires récompensés par le parti.
Sous Kissinger, avec la « Ping pong diplomatie », s’exerce le premier relâchement et ouverture vers l’étranger.
1ère étape : l’accueil des étrangers
En 1978 : la tourisme est en cœur des 4 modernisations car il a un but : promouvoir l’amitié entre les peuples. Et pour cela les Chinois font venir les Occidentaux pour aider le pays à se développer.
2ème étape : favoriser les départs de sa population
Puis le tourisme émetteur monte grâce à un fulgurant essor économique : la Chine devient la 7ème puissance économique mondiale en 1996. Et cela s’accompagne d’une réduction du temps de travail avec la semaine à 40 heures en 1995 et les semaines d’or en 1999 pour les congés payés et jours fériés. Ce qui permis la Démocratisation des voyages.
Ainsi en 2006 : → la Chine comptabilise 1 milliard de déplacements touristiques.

L’ultime étape : franchir les frontières et partir à la découverte du monde
Au départ les voyages des Chinois étaient surtout dans les années 1980 pour « Visiting Friend and Relatives » soit pour aller visiter les proches dans la diaspora chinoise surtout vers HK/Macao, la Corée du Nord, les pays d’Asie du Sud-Est. Cela correspond à 5 millions de Chinois en 1996.
Puis en 1997 le système « Approved Destination Status» permet aux agences de voyage chinoises d’ouvrir les destination vers la Corée du Sud (1998), Nouvelle-Zélande et Australie (1999), Japon (2000), Russie (2002) et enfin l’espace Schengen (2004). Ainsi 29 millions de Chinois étaient partis à l’étranger en voyage en 2004.

C’est avant tout un phénomène de proximité à l’étranger : vers la Thaïlande, pas le Japon, la Corée du Sud et le Vietnam. Puis vers l’Europe
avec la France et l’Italie. Les Etats-Unis jusqu’en 2018. Puis la Nouvelle Zélande, les Fidji. Il y a peu de flux vers l’Afrique à part pour le Maroc et l’Afrique du Sud.
Le continent le moins fréquenté étant l’Amérique du Sud car compliqué au niveau de l’accès pour les Chinois.
Une instrumentalisation au service d’une Chine-Monde
Les leviers de contrôle des départs
Les destinations autorisées par le gouvernement chinois sont des moyens de contrôle de l’image que le pays veut se donner (cf. la carte de la signature des accords)
60% des Chinois voyageurs le font de manière individuelle. Le passeport chinois a une réelle puissance qui grandit, facilité par le projet des nouvelles routes de la soie.
On assiste à une réelle diplomatie aérienne avec les accords ADS, l’ouverture de lignes directes ou la simplification/exemption de visa qui suivent les agendas géopolitiques.
Exemple au Maroc en 2015 il n’y avait eu que 3000 touristes chinois et en 2017 quand l’exemption de visa par le gouvernement a été actée, 180 000 touristes chinois y sont allés !
Ainsi il y a une mise en avant de destinations par les voyagistes et par les sites de propositions avec des notes de visiteurs en ligne.
Exemples de restrictions:
- Norvège en 2010 car le Prix Nobel a été donné à Liu Xiabo
- Japon en 2012 à cause du problème territorial des îles, alors que c’était la 2ème destination préférée des Chinois
- Turquie en 2015 car il y a des manifestation en faveur des Ouighours
- Palaos en 2017 où se trouve un magnifique lac des méduses en Micronésie car ils ont reconnu Taïwan
- USA en 2018
Exemples d’encouragements:
- Thaïlande en 2004 pour relancer le développement après le tsunami
- Sri Lanka à partir de 2014 : Campagne « Mariez-vous au Sri Lanka », sur les nouvelles routes de la soie. Soutien de la Chine suite à la guerre civile, nombreux prêts d’argent pour son développement, prise de contrôle du port d’Hambantota. Ainsi en 2015: la Chine est devenue son 2ème marché. On y retrouvait 300 000 touristes chinois en 2018.
- Dubaï en 2015
- Fidji en 2016 car ce fut le premier pays à accepter un rapprochement pour une nouvelle route maritime pacifique. C’était une destination inconnue en Chine en 2013 mais la plus en vogue pour les lunes de miel en 2015. Ils ont utilisé des influenceurs pour bâtir son image.
Le territoire africain comme l’Afrique du Sud en 2010, où le 1ʳᵉ bureau de représentation dédiée au pays s’est ouvert en Chine. Puis en 2014 dans les médias l’influence sudafricaine s’affirme et en 2017 une émission de téléréalité version Koh Lanta en Afrique du Sud avec des agences touristiques en lien avec les lieux de tournage. Le marché chinois est devenu un des cinq plus importants d’Afrique du Sud
- Cuba (mais problème en 2020), ↗ grâce à la star de la chanson Jay Chou, la semaine qui suit, des dizaines de millions de recherches sur les hôtels/sites touristiques de l’île sur baïdu, moteur de recherche chinois, sur Cuba ont eu lieu après la chanson « Mojito. »
Un narratif, des situations
2 grandes dynamiques se sont succédées au niveau politique récemment sur l’ouverture au monde :
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La souveraineté du territoire / le principe de non-ingérence (Tibet, Taïwan, Îles de la mer de Chine, Soutien à des « dissidents ») avec Hu Jintao => Pas de réelle interaction sur le monde
- Mais dès 2013 avec Xi Jinping la Chine souhaite retrouver sa place dans l’ordre mondial et a une volonté de changer l’ordre mondial (OBOR, prise de contrôle sur les institutions internationales, confrontation avec les démocraties libérales, etc.)
« On est passé de « la Chine dans le monde » à « la Chine et le monde » et, pour finir, à « la Chine est le monde » explique Anne Cheng. Avec un destin affirmé haut et fort : devenir la nouvelle superpuissance du XXIe siècle. Pour cela, les stratégies d’influence s’organisent :
- UN APPAREIL ÉTATIQUE « Le Département du travail du front uni»
- UNE MÉTHODE ANCESTRALE « La cour céleste », « Le Parti communiste chinois», « Tout ce qui se trouve sous le ciel », « La famille sous le ciel», « Le contrôle Jimi», concept ancien chinois de « la carotte et du bâton »
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UNE IDÉE DONT LE PARTI SE FAIT LE GARANT « Communauté de destin pour l’humanité »

« La Chine ne peut pas se développer isolément du monde, de plus, ce dernier a également besoin de nous pour la prospérité mondiale », ce qui explique leur volonté de valoriser le tourisme chinois en Afrique. Ainsi des pays obtiennent le statut ADS sans être des destinations populaires : Le Soudan/Le Rwanda/La Papouasie/La Macédoine/l’Arménie/l’Uruguay, dans un but de développement assez néocolonial. Et dès l’abandon de la reconnaissance de Taïwan, l’obtention de ce statut est quasi immédiat (ex : Îles Salomon en septembre 2019).
Sans doute que Madagascar sera la destination de demain ? On y retrouvera la nouvelle saison de la série chinoise qui se passait en Afrique du Sud.
Questions
Le niveau de vie augmente en Chine, à Wuhan un appartement coûte environ 150 000 euros. Cela se ressent dans la manière de voyager des Chinois qui change : avant ils étaient très portés sur le shopping, mais ils commencent à avoir un capital touristique et apprennent à voyager différemment donc ils consomment moins et plus local : exemple en faisant du surf et du Kouign Amann à Quimper pour les Chinois de 20 à 40ans.
Les touristes sont libres de parler, ils sont plus dans les critiques et il y a de plus en plus de débats politiques. Le Score du « crédit Social » avait fait beaucoup parler la communauté internationale, mais cela a été abandonné car trop de Chinois n’y adhéraient pas. Comme le fait d’imposer le 2ème enfants, cela n’a pas marché…donc tout fonctionne par incitation étatique . Des études montrent aussi que le système chinois est de plus en plus accepté par son peuple car ils comparent avec d’autres pays aux systèmes économique et politiques pas parfaits non plus voire défaillants, y compris en Occident. De plus comme le niveau de vie devient meilleur, cela entretient le système politique.
Les cas de racisme envers les Chinois à l’étranger (surtout envers les étudiants) ont été repris par le gouvernement nationaliste pour exemple.










