Les femmes aussi ont partie liée avec la mer, et pas seulement depuis la terre ferme d’où elles regarderaient partir les bateaux emportant leurs maris, leurs frères et leurs fils. Femmes de marins bien souvent mais aussi travailleuses de la mer, pêcheuses, matelotes, navigatrices, voyageuses, exploratrices, pirates, reléguées, exilées, les femmes ne se réduisent pas seulement à un imaginaire maritime, peuplé de sirènes et de néréides, elles sont aussi des praticiennes de la mer depuis l’Antiquité. En faisant appel à l’histoire du genre et à l’anthropologie, cette table-ronde entend redonner toute leur place aux femmes dans une réflexion sur la mer, sur ses expériences, ses pratiques et ses représentations, qui ne les cantonnerait pas seulement au rivage et aux clichés.

Intervenantes :

  • Emmanuelle Charpentier, maîtresse de conférences en Histoire moderne à Toulouse.
  • Corinne Fortier, anthropologue, chargée de recherches au CNRS.
  • Violaine Sebilllotte-Cuchet, professeure d’histoire grecque ancienne à la Sorbonne.

La table ronde est modérée par Manon Pignot, historienne spécialiste de la première guerre mondiale, professeure à l’Université d’Amiens.

Artémise, une femme capitaine de vaisseaux en Grèce antique :

Violaine Sebillotte-Cuchet vient de sortir cette année un livre, Artémise, une femme capitaine de vaisseaux en Grèce antiquequi cadre parfaitement avec le sujet de cette table ronde. Artémise, reine d’ Halicarnasse au Vème siècle avant J.C, est connue grâce à Hérodote. En tant que souveraine vassale du Grand Roi de Perse, elle doit apporter des bateaux à la défense commune. C’est une flotte de 5 vaisseaux qu’elle dirige elle-même, Artémise combat lors de la deuxième guerre médique. Hérodote vante son art du commandement et ses qualités manoeuvrières.

L’exemple d’Artémise démontre donc que des femmes prenaient la mer pendant l’Antiquité grecque, ce qui remet en cause un certain nombre d’idées reçues.

D’autres témoignages prouvent que d’autres catégories de femmes ont pris la mer : des femmes captives pour devenir esclaves, connues par des inscriptions ; ou bien encore des femmes circulant sur la mer Egée, pour des raisons professionnelles, comme les femmes poétesses. Mais il est diffficile de dire si ces femmes constituaient une exception ou non. Pour le moins, cela prouve que le genre n’était pas ici le seul déterminant et que la position social comptait tout autant.

Violaine Sebilotte-Cuchet  ayant fait une conférence sur le sujet d’Arémise le jour précédent, nous renvoyons les lecteurs et lectrices désireux d’en savoir plus au compte-rendu de cette conférence.

Les femmes et la mer à l’époque moderne au nord de la Bretagne

la mer monde sans femmes?En tant qu’historienne spécialiste d’Histoire moderne, Emmanuelle Charpentier a consacré une partie de ses recherches à la société littorale du nord de la Bretagne au XVIIIe siècle et  a ainsi  rencontré dans les archives la vie des femmes.

Les femmes qui ont laissé des traces dans les archives bretonnes sont la plupart du temps des épouses de marins dont les maris sont absents et en mer pour de nombreux mois, comme ceux qui partent à la pêche à la morue au large de Terre-Neuve ; ou bien plusieurs années pour ceux qui partent  à la guerre sur les bateaux de La Royale (par exemple, pendant la guerre de sept ans).

Les femmes mariées sont sous la tutelle de leur époux, mais l’absence du mari pendant une longue période leur confère une autonomie dans la gestion des affaires du ménage. (remarque à rapprocher avec les femmes de marisn-pêcheurs du Finistrère, sujet abordé dans la 3è partie de cette conférence). On retrouve ainsi dans des actes notariées des procurations de pouvoir des maris qui prenaient la mer et qui permettaient aux femmes de gérer les biens du ménage pendant leur absence. Cette gestion de l’absence leur confère beaucoup d’autonomie jusqu’à une limite, qui est celle du retour du conjoint dans son foyer. Les femmes sont en général peu visibles dans les archives, car la plupart sont analphabètes. On en retrouve la trace dans les registres de matricule de la Marine , puisque ce sont les épouses qui viennent réclamer la solde de leur mari parti en mer.

Il existe néanmoins une exception avec la dizaine de lettres de Marie-Jacquette Pignot, femme de marin de Saint-Malo, écrite à son mari au milieu du XVIIIè siècle et qui permet d’entrevoir les réalités de la vie des femmes de marins quand le mari est parti  en mer.

Les femmes sont donc fort peu nombreuses sur les bateaux, leur présence étant réputée  porter malheur, superstition qui renvoie sans doute à la question du désir sexuel qu’elles peuvent inspirer, dans un espace aussi réduit. Cependant, Emmanuelle Charpentier rappelle que cet interdit n’est pas une règle absolue. Il y a aussi des femmes qui prennent la mer, notamment pour émigrer vers  l’Amérique. Elles a aussi rencontré quelques femmes marins et même pirates!, cela pour pallier le manque d’hommes à certains moments.

La question du genre dans le milieu de la pêche dans le Finistère 

Corinne Fortier est anthropologue chargée de recherches au CNRS. Spécialiste de l’anthropologie du genre, elle a beaucoup étudié cette question dans les sociétés musulmanes africaines. Plus récemment, elle s’est intéressée à la problématique du genre dans le milieu des pêcheurs du Finistère, dont elle a tiré un certain nombre d’entretiens filmés.

Sans surprise, Corinne Fortier affirme que dans ce milieu de la pêche, les rôles sont clairement définis. La mer est l’univers des hommes et la pêche est une activité traditionnellement masculine. La superstition des Femmes à bord n’a pas disparu. Cependant, cette règle souffre des exceptions. Corinne Fortier qui a passé des jours en mer pour les besoins de son enquête affirme n’avoir jamais reçu de remarques sexistes et  a toujours été respectée par les marins à bord. Elle évoque également le cas exceptionnel de Scarlette le Corre, marin-pêcheuse au Guilvinec, propriétaire de son bateau auquel elle a donné le nom de son mari « Jean-Claude ». (la tradition étant de donner au bateau le nom de son épouse).  Là aussi ,elle est  respectée par ses collègues qui en firent, un temps, leur porte-parole.

Inversement, la terre est l’univers des femmes. Alors qu’en mer, les hommes sont autonomes, pêchent, font la cuisine et nettoient, une fois revenus à terre, ils délèguent presque  complètement ces tâches à leurs épouses. Celles-ci ont donc un rôle essentiel, en particulier  dans la gestion de la comptabilité de la pêche, la gestion de l’argent du foyer et celle du patrimoine. Les marins-pêcheurs  sont donc très dépendants de leurs épouses à terre, situation qu’ils acceptent, considérant que la vie en mer est suffisamment difficile et qu’ils ont suffisamment de problèmes à bord.

Corinne Fortier fait remarquer qu’il a été plus difficile de faire parler les femmes que les hommes, celle-ci commençant souvent par affirmer qu’elles n’ont rien à dire, par rapport à leur mari, sous-estimant leur rôle. Les veuves, elles, parlent plus facilement. Elles ont un statut particulier et sont un  peu « masculinisées ».

Cette répartition genrée des rôles fait de la retraite un moment délicat, voire un moment difficile. Il faut recréer un lien et redéfinir la place du mari dans le foyer, chose qui ne va pas toujours de soi.