« Un vaisseau de ligne est l’une des plus magnifiques rencontres qu’ait faite le génie de l’homme avec la puissance de la nature. » Victor Hugo, 1862.

Qui n’est pas sensible à la majesté qui se dégage d’un vaisseau de ligne, s’apprêtant à combattre, tous sabords ouverts et voiles gonflées au vent, avec son tableau arrière ouvragé et sa figure de proue inspirante ! À chaque époque, les grands navires, des vaisseaux de ligne aux porte-avions à propulsion nucléaire et aux grands paquebots modernes, ont représenté la quintessence des capacités technologiques et industrielles des nations.
Impulsées par Colbert puis développées au siècle des Lumières, les sciences navales (Scientia navalis), l’hydrodynamique, la résistance des matériaux, la géométrie des carènes, ont mobilisé au XVIIIe siècle les plus grands savants. Elles furent utilisées dans un but stratégique pour rechercher la supériorité technologique à la mer.
Au XIXe siècle, alors que l’innovation technique s’accélère, que les lignes maritimes commerciales se développent, que le combat naval est transformé par la vapeur, le fer et l’acier, l’essor de la construction navale s’est appuyé sur la révolution industrielle dont elle fut l’un des moteurs.
Enfin, depuis la seconde guerre mondiale, de nouveaux paradigmes sont apparus : missiles, avion, furtivité ont remplacé cuirasses et artillerie ; turbines à gaz, diesel, propulsion nucléaire, ont supplanté les chaudières à vapeur. L’automatisation a conduit à une réduction drastique des équipages mais également à une élévation considérable de leur niveau de technicité et oblige à repenser les fondements de la guerre navale. Le numérique et les données sont au centre d’une révolution technique, industrielle et humaine qui soulève autant d’interrogation nouvelles que d’espérances.

Les intervenants : 

Cette Carte blanche est proposée par le Ministère des Armées et l’Académie de marine. Elle est coordonnée par Alain Bovis, ingénieur général de l’Armement, vice-président de l’Académie de Marine et modérée par Eric Rieth, directeur de recherche au CNRS et spécialiste d’archéologie nautique médiévale et moderne. 

Larrie D. Ferreiro, architecte naval et historien américain des Lumières à aujourd’hui à la George Mason University (Virginie , EU), Alain Bovis et Bruno Marnot, agrégé d’histoire et professeur à l’Université de La Rochelle. Il a été directeur-adjoint du Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS) Histoire et Sciences de la Mer de 2014 à 2021.

Un enregistrement sonore de la table ronde est disponible. 

À l’époque moderne, les premiers plans de construction connus

Eric Rieth :

Tout bateau se définit par une architecture flottante et mobile mais aussi une machine de propulsion et de direction. Il est aussi un lieu social important. Il est soumis à toute une série de contraintes, avancement, maniabilité. Le type de navire influe également qu’il soit issu d’une série industrielle ou d’un petit chantier privé pour les bateaux de pêche. 

Or il faut attendre 1587 pour voir un plan officiel de construction de carène.

Mathew Baker, Fragments of Ancient English Shipwrigtry, c. 1570/1580

 

Mathew Baker en Angleterre conçoit la conception d’un bateau à partir de la représentation géométrique des lignes de carène. Il est le premier maître charpentier à avoir des liens avec les mathématiciens de l’époque. 

Le métier d’architecte naval va désormais se différencier de celui de maître charpentier. 

Les sciences navales à l’époque des Lumières

Larrie D. Ferreiro :

Comme architecte naval formé en Angleterre, il constate que l’histoire de la construction navale n’avait pas été écrite. Il faut en outre attendre l’époque des Lumières pour voir apparaitre des outils mathématiques.

 

Dans le royaume de France, Colbert qui veut une royale forte, crée l’Académie des Sciences tournée vers la géographie et l’astronomie pour augmenter la puissance maritime de la France.

En 1681, un test de 2 navires a lieu dans le grand Canal de Versailles.

 

Pierre Bougher

Cette 1ère étape concerne d’abord les chantiers d’Etat. C’est une 1765 qu’une ordonnance de ChoiseulMinistre d’Etat de Louis XV : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Étienne-François_de_Choiseul crée les « ingénieurs constructeurs ». À la fin du  XVIIIe siècle, les concepteurs sont devenus des scientifiques. 

Pierre Bouguer est le premier à utiliser le calcul intégral pour étudier la stabilité des navires en 1746. La même démarche a été utilisée pour le porte-avion Clémenceau dans les années 60 et la conception actuelle s’en inspire.

Même chose pour les bassins d’essai des carènes… 

En France, la proximité c’est le pouvoir, d’ou la présence de l’Académie des Sciences au palais du Louvre, et des essais à Versailles. 

Après la Guerre de 7 ans, la Royale se réorganise avec la victoire de Chesapeake en 1781 sur la marine anglaise. Pour la 1ère fois les navires français étaient qualitativement supérieurs à ceux des Anglais, bien que ceux-ci leur fussent supérieurs en nombre…

L’obus, la cuirasse et la vapeur : la révolution navale du XIXe siècle

Bruno Marnot : 

En 1815, la Marine sort laminée par la Royal Navy. Le sursaut vient dès les 1ers gouvernements de la Restauration, avec le baron Portal, ministre de la Marine et des Colonies en 1818. Sont alors construits les premiers navires à vapeur.

Déjà, durant la révolution française, les innovations avaient continué avec le boulet creux (rempli de poudre) de Choderlos de LaclosOfficier artilleur anti-conformiste sour Louis XVI, il se lance dans une carrière littéraire et connaîtra un immense succès avec ses « Liaisons dangereuses ». Sous le Consulat il reprend une carrière militaire en servant Bonaparte, artilleur comme lui.. Si l’Empire le rejette, la Restauration l’adopte. Cela suppose une nouvelle conception des navires de guerre avec des coques doubles métalliques et une propulsion à vapeur. 

Les premiers bâtiments à vapeur

Le Sphinx

 

 

L’arsenal de Cherbourg puis celui de Rochefort construisent les 1ers bâtiments à vapeur. Le Sphinx est le 1er bateau à vapeur de la Marine. Les mécaniques sont d’abord anglaises.Les ateliers d’Indret, en bord de Loire près de Nantes, prennent le relais avec un ambitieux programme de construction à vapeur.  

 

Blindages et cuirassés

 Henri Dupuy de Lôme , de retour d’un voyage d’étude en Angleterre diffuse son mémoire de blindage repris dans tous les arsenaux. Le Napoléon est un  vaisseau de ligne de 90 canonsCanons rayés, avec chargement par la culasse et affut sur des rails équipé pour la 1ère fois d’un moteur à hélice. Il devient ainsi le bâtiment naval le plus rapide du monde avec une vitesse de 12 noeuds. 

Il est à l’origine du programme de 1858 avec la frégate cuirassée Gloire, le 1er cuirassé au monde mais avec une coque en bois de 12 cm. Le Redoutable 1er cuirassé métallique construit en 1876, abandonne ses voiles en 1894. 

Dupuy de Lôme fut également le pionnier de la flotte sous-marine française avec la construction du Gymnote, premier sous-marin à propulsion électrique en 1888. 

Des innovations qui modifient l’industrie navale

Certaines activités disparaissent comme les corderies, au profit des aciéries.

Toulon et Brest modernisent leur arsenal avec un réseau de chemin de fer important. Lorient, port des compagnies des Indes se reconvertit à partir de 1822 comme arsenal. Cherbourg est un site neuf, organisé autour d’un arsenal-modèleSource : Détail du plan-relief du port de Cherbourg : l’arsenal dans son état de 1872. Plan-relief construit de 1813 à 1819 et actualisé de 1863 à 1872. Échelle 1/600e..

Les établissement de construction maritime, comme celui d’Indret et les forges de Brétigny dans la Nièvre fabriquent des blindages. 

La dialectique protection / artillerie va pouvoir continuer sans fin…

Le XXe siècle : radars, nucléaire, missiles

Alain Bovis :

La fin des cuirassés

La tactique navale au xxe siècle, c’est d’abord les escadres qu’on attaque traditionnellement au canon, malgré l’arrivée redoutable des sous-marins et l’efficacité nouvelle de l’aviation.

Le paroxysme ce sont les monstres navals comme le cuirassé Yamato ou la classe Montana aux EU et le Jean Bart en France.

Les inventions qui allaient façonner la Navale

Les travaux des Curie permettent l’application de la fission nucléaire à la propulsion nucléaire. L’amiral Rickover à l’origine de cette révolution permet la création du 1er sous-marin nucléaire, le bien nommé « Nautilus ».

Autre invention des Curie, la piézo-électricité avec les travaux de Paul Langevin, mais que la Marine ne soutient pas suffisamment, alors que l’ASDIC anglaise et le Sonar américain seront menés à leur terme avec des portées de 2 milles nautiques permettant de détecter les sous-marins allemands lors de la 2nde guerre mondiale. 

Dans les années 30, un ingénieur de la CSF, Henri Dupont fabrique un détecteur d’obstacle qui préfigure le radar. Mais ces résultats sont mitigés car les ondes étaient trop longues et nécessitaient des antennes immenses. Les progrès techniques vitaux apportés au radar durant les années 40 permet d’émettre des ondes courtes, centimétriques, capables de détections longues. Elle permettra à Turing de détecter les sous-marins en 1942, faisant basculer la bataille de l’Atlantique.

Pour éviter les repérages lors des ravitaillements en air pour les moteurs diesel, les Allemands adaptent leurs U-boote avec le Schnorchel qui permet leur submersibilité complète en 44, mais ce sera trop tard pour changer le cours de la guerre navale.

Les innovations ont d’abord été le fait de la marine militaire en période de conflit, car les avancées technologiques pouvaient décider du sort de la guerre. Les Alliés récupérent ensuite les avancées allemandes en matière de guerre sous-marine et en perfectionnèrent les formes avec l’Albacore conçu en soufflerie en 58. Les classes actuelles s’en inspirent toutes. 

Des missiles aux bâtiments furtifs :

Le missile anti-navire a définitivement mis fin aux cuirassés par sa puissance de feu. Dernier avatar avec le destin du croiseur Moskva coulé en Mer Noire…

Le missile est guidé par une signature radar du navire-cible. Celui-ci doit donc adapter sa forme afin de réduire le plus possible sa « signature radar ». Un navire de combat est aujourd’hui un cerveau informatique sans équivalent.