Le modérateur introduit le thème de la table ronde, en affirmant que le secret est un sujet d’actualité (succès de diverses théories du complot ou de l’émission de Stéphane Bern, « Secrets d’histoire »). Mais il rappelle aussitôt que déjà, Jérôme Carcopino s’était intéressé aux « Secrets de la correspondance de Cicéron ». La table ronde réunit trois chercheurs spécialisés dans des domaines très différents, mais dont les objets d’étude peuvent se prêter à une présentation commune sur le thème du secret. Christian Renoux travaille sur le secret de la confession, Corinne Legoy sur les bals masqués au 19e siècle et au début du 20e siècle, Marion Brétéché sur les gazettes sous l’Ancien Régime. Cinq thèmes furent successivement traités : les formes et les agents du secret, les codes du secret, la jubilation et la peur, les dévoilements du secret, les raisons du secret.

  1. Les formes et les agents du secret

La confession a d’abord été publique, pour des péchés publics ; on est passé progressivement à une confession individuelle pour des péchés secrets. C’est le concile du Latran en 1215 qui a imposé aux chrétiens une confession par an à l’oreille du curé.

Sous l’Ancien Régime, on interdit à la presse de divulguer les secrets. Une bonne politique doit être secrète. Au début du 17e siècle apparaît une presse politique imprimée. Elle est très encadrée et doit célébrer le pouvoir. S’il s’agit par exemple de la santé du roi, on ne dira jamais qu’elle est mauvaise, par contre en annoncera que le roi est rétabli. Les journaux ne signalent que les informations officielles, les journalistes ne signent pas. La censure est si forte, qu’on publie de plus en plus à l’étranger.

Le modèle du bal masqué est le bal de l’opéra (1715), qui se déroule pendant le carnaval. Il y a un lien originel entre le bal masqué et le carnaval ; puis les bals masqués s’émancipent et les pratiques carnavalesques reculent. Les bals masqués et les costumes sont une véritable « fête du secret ». L’incognito est garanti par le masque et le costume. Ces fêtes nourrissent un imaginaire d’initiation. Elles sont l’héritage des fêtes de cour, et dans ces conditions elles intéressent l’aristocratie ; mais les participants à ces fêtes sont de plus en plus divers : hommes de lettres, artistes et même membres des classes plus populaires. Le cercle ne cesse de s’élargir et le bal masqué connaît son apogée sous le Second Empire.

  1. Les codes du secret

Le confessionnal apparaît au 16e siècle. Il s’agit de mettre une distance avec le, et surtout la confessée. La confession ne doit pas être entendue mais elle doit être visible, sans être publique. Depuis le concile du Latran on se confesse à son curé, qui vous connaît, ce qui crée une relation particulière et amène le curé à connaître beaucoup de choses dans un village. La confession est un sacrement. Des traités de confession sont rédigés au 15e siècle, avec une trame de questions à poser.

Les gazettes se développent à partir de 1700, en France mais surtout en Hollande. On y trouve les nouvelles, sans commentaire. La gazette est alors en format in quarto, fait quatre pages, elle est hebdomadaire, puis plus fréquente, et quotidienne à partir de 1770 en France. A partir de 1685, apparaissent des journaux différents dont l’objectif est de dévoiler les secrets et les intentions des princes, de décrypter, d’interpréter. On voit aussi apparaître des mensuels d’analyse politique. C’est donc la naissance d’une presse d’opinion.

Il existe des bals masqués sans costume (les hommes portent un postiche et un domino, les femmes un masque), des bals costumés et masqués, des dîners masqués (à partir du Second Empire), des « bals de tête » (visage masqué et décoré). On danse, mais on parle beaucoup, le tutoiement est obligatoire, lazzis et quolibets sont toujours présents, la parole est libérée.

  1. La jubilation et la peur

Le secret produit des sentiments contradictoires. La peur est dans l’aveu du péché, il n’y a pas de peur du secret en ce qui concerne la confession.

Les premiers « médias » sont des manuscrits qui font circuler des informations, des secrets, qu’on appelle « Nouvelles à la main ». Il faut s’abonner, ces manuscrits sont plus chers que la presse imprimée. Ils véhiculent surtout des secrets grivois et personnels, bien davantage que des secrets politiques, qui eux se trouvent dans les comptes rendus codés des espions. Apparaissent ensuite de faux manuscrits imprimés.

Le bal masqué procure une véritable jubilation. Masques et costumes libèrent le corps des femmes, leur donnent une liberté de mouvement qui accompagne la libération de la parole. Le bal masqué permet également la libération des normes sexuelles, la jubilation de la compétition dans l’élaboration du masque et du costume. Le bal masqué est aussi un spectacle. On a souvent peur des intrus dans les bals privés, peur aussi de se faire tromper ou de se faire prendre. Le masque fait peur aux pouvoirs.

  1. Les dévoilements du secret

Le concile du Latran a strictement interdit le dévoilement du secret de la confession. Le prêtre qui dévoilerait un secret de confession serait réduit à l’état laïc est enfermé dans un couvent. Les historiens observent cependant quelques cas, jugés par les tribunaux d’Etat. Les peines sont terribles : un prêtre à la langue arrachée au 13e siècle, un autre est brûlé en place publique au 16e siècle.

Beaucoup de fausses informations circulent dans cette presse naissante. Marion Brétéché évoque « l’arbre de Cracovie ». C’était un arbre dans la grande allée de marronniers du Palais Royal plantés par le cardinal de Richelieu. Sous l’ombrage de cet arbre, le plus beau de tous et remarquable par l’étendue de son feuillage, se réunissaient les nouvellistes pour y échanger des informations sur l’actualité. La quantité de fausses nouvelles, nommées en langage populaire, « craques », qui se débitaient sous cet arbre le fit plaisamment, dans le même style, recevoir le nom d’« arbre de Cracovie ».

On doit respecter l’incognito dans un bal masqué. On ne doit ni lever le masque, ni l’arracher. Mais les masques tombent à la fin, souvent au moment de déception.

  1. Le secret : pourquoi ?

Le Rendez-vous secret de la confession est éternel. Les péchés les plus graves doivent remonter à l’évêque, voire à Rome, par écrit. C’est alors la Pénitencerie apostolique qui doit les examiner. Les registres ont été conservés, et certains textes ont été édités par un prêtre, ce qui a constitué un énorme scandale. Depuis les archives sont fermées. Le secret protège le confessé, c’est un contrat passé entre deux personnes. Aujourd’hui, ce secret est discuté.

Au 18e siècle apparaît la notion de transparence politique. Le pouvoir diffuse des informations. Vers 1750 les pouvoirs suscitent les bons journaux et choisissent les journalistes. Il est intéressant de constater la différence entre Louis XIV, en 1709, qui écrit une lettre à ses sujets, lue dans les églises par les prêtres, pour expliquer en quoi il ne peut pas faire la paix, et Choiseul et Louis XV, en 1761, qui publient en 200 pages le contenu des négociations avec l’Angleterre, pour mettre fin à la Guerre de sept ans.

Pourquoi tant de bal masqués au 19e siècle et au début du 20e siècle ? Très vraisemblablement parce que les assignations de genre, de statut, d’âge, étaient très fortes. Le bal masqué est un hors-temps social.