Le directeur de l’organisation du FIG, le géographe Thibaut Sardier a jugé bon de faire une place de choix cette année au  dernier livre de Laurent Testot « Vortex – Faire face à l’Anthropocène » en invitant son auteur à une discussion à la Boussole. On ne peut que saluer cette initiative, tant ce livre fait écho au thème de cette année : « Urgences ». Le public est du reste venu nombreux en ce dimanche matin ensoleillé. 

Thibaut Sardier, l’avoue d’emblée : c’est le livre qu’il aurait aimé écrire ! Comme géographe et comme citoyen, à coup sûr. Il faut dire que ce livre tranche avec les (heureusement) nombreuses publications éditoriales sur l’urgence climatique par sa forme : c’est un manuel, voulu comme tel par les auteurs – Laurent Testot l’a coécrit avec Nathanaël Wallenhorst -, mais aussi l’éditrice, Sophie Bajard et l’illustratrice des éditions Payot, Claire Morel Fatio.
Donc pas vraiment un manuel scolaire, plutôt un manuel pratique avec constats et conseils à l’usage du citoyen désireux de comprendre et d’agir face à l’urgence que l’anthropocène fait courir à la Terre et à ses habitants. 
Laurent Testot est journaliste scientifique et essayiste, et l’un des rares spécialiste d’histoire globale en France. Nous vous recommandons « Cataclysmes, une histoire globale de l’humanité »Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité, éditions Payot, 2017, Prix Léon-de-Rosen 2018 de l’Académie française., « Collapsus »Collapsus: Changer ou disparaître ? Le vrai bilan sur notre planète, (co-dirigé avec Laurent Aillet), éditions Albin Michel,
 

« Anthropocène » ?

À l’interrogation de Thibaut Sardier, une bonne moitié de la salle répond connaitre ce mot. Un bon début !

Un concept géographique ?

Puisque nous sommes au FIG, au delà de sa définition, globalement connue et admise par les enseignants d’histoire-géographie, ce concept peut-il être opératoire en géographie ?
 
Au début des années 2000, le prix Nobel de chimie néerlandais Paul Crutzen reprend le terme initialement proposé par le biologiste américain Eugene F. Stoermer pour parler de la fin de l’Holocène, la période de 12 000 ans relativement stable avec des variations de plus ou moins 1 degré, période ayant succédé à la dernière glaciation. Il y voit une opportunité politique pour réagir. Laurent Testot se situe dans cette perspective : ne pas laisser la notion aux sciences dures mais l’enraciner dans les sciences sociales, plus à même de mobiliser les citoyens. 

 Vous avez dit « perturbation » ?

il y a perturbation des équilibres physico-chimiques de la planète quand certaines limites et seuils scientifiquement admis sont dépassés.

Ainsi, la limite des 350 ppm de carbone par m3 d’air. Aujourd’hui c’est 430, la limite est donc dépassée. Quand au seuil, c’est la planète en étuve. Actuellement 6 seuils sont dépassés sur les 9 que nous présentons dans le livre. 

Que vaut la date de 2100 que vous utilisez ?

Il faut une date symbolique pour le grand public, mais aussi pour mesurer l’efficience des politiques qui sont et seront mises en place. Si on respecte maintenant les accords de Paris, en 2100 c’est 2,6° celsius d’augmentation moyenne des températures du globe. Or ce que nous appelons avec Nathanaël Wallenhorst « les baguettes magiques », ces technologies censées sauver la planète du réchauffement climatiques sont soit absurdes soit immatures actuellement dans le meilleur des cas. 
Il faut donc inverser les priorités : le 1er principe est de préserver les biens communs de l’humanité et non les profits des grands groupes. Car il y a plein de possibilités d’agir si on comprend bien les causes. 

Que faire face à l’urgence climatique créée par l’Anthropocène ? Quand l’anthropocène commence vraiment ? Au néolithique ?

L’hypothèse de la grande accélération… On peut identifier des mouvements locaux anciens comme les brulis des aborigènes. Mais cela ne fait pas système. L’oekumène commence à vraiment modifier les milieux au XIXe siècle et de façon accélérée dans l’immédiat après-guerre et les années 50.

Toutes les courbes d’extractions et de déchets (béton, hydrocarbures, plastiques, nombre de poulets sur terre) sont exponentielles. D’où notre histoire du poulet… 

Au Gallocène ?

Dans, « Vortex », le chapitre « Capitalocène » aborde avec un certain humour sa recette gagnante que nous empruntons à l’économiste Raj Patel et à Jason W. Moore : le cheap chicken. 60 milliards de poulets sont tués chaque année avec un système qui recherche systématiquement le « bon marché » que ce soit pour la production, l’exportation et l’élevage et les produits agro-alimentaires. Or que trouveront dans le futur les archéologues quand ils fouilleront notre ère géologique ? Des quantités innombrable d’os de poulet…

Au Capitalocène ?

Pour Andreas Malm, l’un des grands penseurs suédois de la responsabilité du capitalisme dans la crise climatique, l’humanité n’est pas coupable mais ce sont ceux qui en ont profité : les décideurs, les profiteurs, les capitalistes, soit 1-2% de la population mondiale. 

Jason Moore en propose une version plus soft : l’Angleterre a profité des colonies de peuplement pour développer sa révolution industrielle. L’Occident, responsable ? Or la Chine n’est pas européenne mais y contribue largement.

Cela entraine par ailleurs des discussions sur le dédommagement des peuples conquis ou colonisés.

Comment fait-on pour permettre à ceux qui sont en développement d’y faire face ?

Dédommagements 

De même que pour l’esclavage aux Antilles, des voix s’élèvent pour demander des dédommagements financiers ou des transferts de technologies gratuits aux pays industriels occidentaux. Le transfert de technologies propres est une priorité, par ex. la question des déchets brulés en Inde. L’aide publique mondiale au développement est de 100 MM de $ mais un certain nombre de financements sont opaques. D’où l’importance des mobilisations citoyennes.

Coopération

Prenons l’exemple de la climatisation. Il y a bien eu un protocole – celui de Montréal – de suppression des gaz détruisant la couche d’ozone en 1987, les gaz employés pour la climatisation restant très nocifs pour l’effet de serre.

Il faut que les Etats s’entraident et arrêtent la compétition effrénée. L’ordre des solutions n’est pas la même selon les pays et leur développement actuel. S’extraire de la pensée en silo, pratique pour dominer le monde. Plutôt que construire des réacteurs nucléaires pour plusieurs décennies, il faudrait mieux demander l’avis des hydrologues.

Vous êtes critiques vis à vis d’un vocabulaire classique, d’amélioration, de transition ?

La possibilité d’une transition douce n’est pas envisageable. Elle sert en fait d’argument pour rassurer les populations. Or l’Anthropocène posant des ruptures, on devrait prendre des mesures  rapidement, comme les taxes sur les avions ou la réduction des grandes croisières… 

On ne peut pas faire 0% de carbone et tout arrêter ! Mais forcer les firmes à réguler les chaînes de production de ses produits (voitures, smartphones, 5G-6G) en faisant un travail d’éducation populaire important.

Et l’enthropocène ?

Bernard Stiegler l’a proposé : nous accélérons l’entropie en électrifiant à tout va, par ex. le cuivre. Imaginons que les collectivités locales organisent ces véhicules et que les entreprises mettent fin à l’obsolescence programmée.

Il faut une littéracie de l’anthropocène ! C’est à ce prix que cette décroissance sera exaltante.

Laurent Testot, invité des 25 ans des Clionautes nous présente « Vortex. Faire face à l’Anthropocène »

Questions du public

Q1 comment une association citoyenne peut-elle être mondiale ?

Il faut s’informer ! Ce sont les populations des pays pollueurs qui doivent prendre en compte cette littératie. En Chine c’est possible sur le plan environnemental, car la répression politique est moins active sur ces sujets qui préoccupent grandement jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat et du Parti.

En France, la commission citoyenne pour le climat a démontré que les citoyens, une fois informés, pouvaient s’emparer de ces sujets et y apporter des réponses politiques et structurées et qu’elles étaient en cela indispensables aux côté des institutions traditionnelles de pouvoir. Le problème est que le gouvernement qui avait promis de les reprendre sans filtre, ne les a pas appliquées. Et que derrière, il n’y a pas eu de manifestations massives de citoyens pour les défendre. 

Q2 les géographes qui voyagent beaucoup sont ils prêts à abandonner ces voyages ?

Les sociétés démocratiques ne sont pas prêtes. En Suisse, la votation sur les limites du voyage aérien a échoué.

On est incapable de modéliser le chaos, par ex. sur le méthane du pergélisol, on s’aperçoit que l’on va dépendre des bactéries qui en sortent, alors que nous avions pensé que la croissance était logique et bienfaisante.

Donc changer de logiciel culturel est nécessaire mais prend du temps. Or nous n’en avons peu…

Q3 : DD en tant qu’enseignante ?

Le philosophe Dominique Bourg le remet en cause. On sait que l’objet Les enseignants peuvent-ils l’enseigner ? Les jeunes ont peur et comment leur expliquer alors que des enseignants géographes sont climato-sceptiques ?

Q4 : anthropocide ? Justice internationale ?

Des procès commencent avec des villes ou des Etats qui accusent les firmes. Faut-il inventer de nouveaux concepts ? À voir avec les juristes.