TABLE-RONDE  Avec A. MIOSSEC, géographe, ancien recteur des Académie de Rennes et de Guadeloupe et professeur émérite à l’IGARUN, membre de l’Académie de Marine,

Vincent BAWEDIN, docteur en Géographie, chargé de mission gestion du trait de côte & planification à la Communauté de communes des Grands Lacs (Landes). Il pilote à ce titre la stratégie locale de gestion de la bande côtière (SLGBC) de Biscarrosse,

Virginie DUVAT, professeur de géographie côtière, auteure du chapitre Petites îles dans le 6ème rapport du GIEC, à l’Institut du Littoral et de l’Environnement de La Rochelle,

Marc ROBIN, professeur des Universités à Nantes Université, responsable scientifique de l’Observatoire Régional des Risques Côtiers de la région Pays de la Loire, co-président du Réseau National des Observatoires du Trait de Côte (RNOTC),

et Thibaut SARDIER, médiateur.

A. MIOSSEC prend la parole en premier, et pose cette question non dénuée d’humour :
« Personne n’a, dans cette salle, j’espère, une propriété au bord de la mer, qui menace de s’effondrer ou qui pourrait subir une /des submersions ? » Sourires dans la salle. Parce que nous allons tenter de les rassurer !

Tout d’abord merci d’être venu aussi nombreux un samedi après-midi ensoleillé qui invite à la balade ou à une sortie dans les Vosges. L’élévation du niveau moyen de la mer aujourd’hui est de 3,23 mm/an au lieu d’1,5 mm/an voici une cinquantaine d’années.


Elle s’est élevée de 23cm depuis 1880…. Elle s’accélère actuellement, même si c’est la même chose depuis 18 000 ans. Mais les constats, contextes et les problématiques sont différents. Pourtant, il y a urgence, du point-de-vue exposition des biens.

Thibaut SARDIER : 3 temps forts dans cette Table-Ronde :
1) Quelles zones, quels territoires sont concernés par ces vulnérabilités ?
2) Quelles stratégies peut-on esquisser ; mettre en place ?
3) Difficultés à prévoir, mesurer ou mettre en place ces préventions ?

Le GIEC propose, en tout état de cause, des hypothèses haute et basse… en matière d’élévation du niveau des mers.

 

Quels territoires, quelles vulnérabilités

V. DUVAT : Qu’est-ce qui se passe sur les territoires ?
Le groupe I de travail du GIEC intègre les différents facteurs climatique, anthropique, des éléments qui affectent les écosystèmes. Les territoires sont soumis à des précipitations plus denses, plus intenses, des sécheresses récurrentes, des houles venant des régions tropicales avec une hausse du niveau de la mer. Il existe donc un risque fort de submersion/inondation.

Sur 6 facteurs identifiés, quatre augmentent !les aménagements humains contribuent aussi à cela. Dans les outre-mer cela s’aggrave; les mangroves, herbiers, coraux sont en danger, en recul (70% des coraux sont en mauvais état). D’un côté la mer monte, de l’autre, la pression urbaine sur le littoral s’accentue. Exemple, à Pointe-à-Pitre, il y a un phénomène de submersion 180 jours par an! Les standards appliqués et la mal adaptation (murs, enrochements, encouragement à l’urbanisation) conduisent à ces inondations/submersion.

Aujourd’hui les resserrement/combinaisons d’aléas, de tempêtes, ouragans facilitent ces phénomènes. Ainsi, début 2014, la succession de tempêtes dans l’Ouest de la France s’est avéré très problématique, voire dans certain cas, catastrophiques. Ces littoraux où se combinent différents aléas intenses voient être remis en cause l’urbanisation, les habitats de ces territoires. Avec +1,5 à 2° beaucoup de territoires deviendront inhabitables…

Marc ROBIN fait le parallèle entre les observations fines de l’élévation du niveau de la mer sur le littoral de la région Pays de la Loire sur un temps long, moyen et court et revient sur la mise en place des espaces littoraux progressivement occupés par la société (par exemple dans le sud Vendée) : ceci permet de pointer l’émergence d’une mal-adaptation généralisée, à la base du risque côtier (2 cartes proposées dans le cadre du SRADDET de la région Pays de la Loire montrant les enjeux exposés aux aléas érosion et submersion).

Il aborde ensuite les éléments de stratégies d’adaptation à l’érosion et à la submersion, avec l’aspect mémoire des évènements extrêmes qui n’imprime pas particulièrement au niveau du marché immobilier sur un moyen terme.

Enfin, à travers les cartographies prospectives du trait de côte réalisées dans le cadre de la loi « climat résilience », il revient sur les mesures juridiques actuelles associées aux bandes 2050 et 2100 destinées à amorcer une recomposition territoriale. De la qualité des informations générées dépend la confiance et l’acceptabilité, par les populations, des contraintes d’urbanisation. Il termine par l’incertitude des exercices de projection à partir d’un exemple de re-projection montrant l’absence d’une possibilité de fixer très précisément le contexte spatial future de la bande côtièreLa Pointe d’Arçay -Un site naturel exceptionnel.

 

 

Vincent BAWEDIN sur Biscarrosse. L’érosion n’est pas la submersion marine. Car l’érosion n’est pas un risque pour l’Etat. Cette non-considération comme « risque » a pour conséquence de rendre de nombreux territoires non éligibles aux indemnisations (Fonds Barnier) . Une cartographie de l’érosion (carte 1) montre, par endroits, un recul de 3 m par an actuellement, soit 300 m sur un siècle !

Carte 1 (Observatoire de la Côte Aquitaine)

Mais selon la méthode de calcul du recul lié aux conséquences du changement climatique (graphe 1), qui s’ajoute au recul annuel moyen et au recul maximum post tempête (Lmax), le recul peut varier du simple au quintuple.

Après Xynthia, les pouvoirs publics ont réagi, après les victimes que l’on déplora, les coûts induits.
Aujourd’hui, nombre de géographes, juristes et gestionnaires demandent à ce que l’érosion soit considérée pour ce qu’elle est, un risque! 

Graphe 1 : le calcul du recul de l’aléa érosion prend en compte 3 paramètres (Artelia, d’après BRGM et Cerema, 2022)

Quelles stratégies ? 

Thibaut SARDIER : recul, érosion, submersion partout ? Quelles solutions ?

Traiter l’urgence qu’est une situation plus ou moins grave, c’est apporter une réponse politique immédiate. Mais quelles temporalités dans l’action ? Un portefeuille de solutions ? Oui, six solutions possibles :
1) L’ingénierie côtière. Qui est mal adaptée parfois !
2) Traiter ou limiter l’érosion sur une plage ce n’est pas possible ailleurs sur une autre partie du littoral.
3) Laisser faire, reculer les habitations les infrastructures, le travail de la mer, des courants….
4) Modifier l’occupation humaine et les activités des littoraux. Promouvoir des accommodations fondées sur l’écosystème, permettre leur re-fonctionnement.
5) La « contre-attaque », créer de nouvelles terres contre les attaques de la mer (terre-pleins, remblais…)
6) La recomposition territoriale, c’est-à-dire anticiper, gérer, planifier les occupations humaines. Ainsi permettre un renouvellement des territoires.
Face aux pressions les recompositions deviennent obligatoires. Au-delà de 0,6 mm d’élévation du niveau de la mer, les mangroves et les coraux risquent de dépérir voire de mourir.
Il convient d’approfondir les réflexions politiques sur le temps long, pour le bénéfice de tous! requalification des espaces, processus de relocalisation… qui nécessitent du temps, alors qu’il faut réagir vite. Une carte des métropoles souligne des combinaisons de différents paramètres difficiles à anticiper et gérer dans le temps par les politiques.

Thibaut SARDIER  : Exemples ? Que fait-on en France métropolitaine et en Outre-Mer?

Virginie DUVAT : il y a 16.000 habitants sur les atolls des Tuamotu. Il existe des possibilités de relocalisation de ces populations si la montée des eaux menace ces habitants sur leurs atolls. Mais les recherches sont encore balbutiantes. Certaines îles culminent à 12m d’altitude. Des opportunités existent, mais selon les anthropologues, ces terres hautes ne sont pas toujours adaptées en cas de submersion marine…

 

Difficultés à prévoir, anticiper et gérer ces recompositions des littorales ?

Alain MIOSSEC  :
Je ne suis pas d’accord sur tout ce qui vient d’être dit, parce qu’il y a la parole, l’expertise des scientifiques et le temps du politique, de l’administratif. Sur tel littoral les experts indiquent telle ou telle mesure à prendre, et le maire, le préfet, le politique disent non, ce n’est pas possible… L’expérience du « Sand motor » au Pays-Bas est intéressante en ce qu’elle mobilise des défenses naturelles (le rechargement du littoral pour 20 ou 25 ans au moins) pour lutter contre l’érosion littorale. Mais on ne dit rien des zones (au large) où l’on a été chercher ces énormes quantités de sable…Sand Motor — construction avec une solution naturelle pour améliorer la protection du littoral le long de la côte du Delfland (Pays-Bas) ou Aménagement : Le moteur de sable Hollandais (Zand Motor).

Ces questions sont hautement politiques. Recomposer les littoraux demande plus de scientifiques, de géographes aux commandes, mais il doit y avoir aussi des politiques. Car le temps de l’élévation du niveau de la mer, le temps des mobilités des populations et le temps des activités humaines sur les littoraux sont également différents. Avec ces temporalités des avocats se frottent déjà les mains…

Marc ROBIN :

Pour XynthiaXynthia, dix ans après. Récit en images du drame de la tempête en Vendée, la région de la Faute-sur-Mer et une partie de la baie de l’Aiguillon étaient en situation d’érosion. En Loire-Atlantique, au niveau du Pouliguen, des programmes d’actions d’endiguement ont cours actuellement. Mais cela coûte cher ! C’est un million d’€ par km linéaire ! L’efficacité pour le siècle à venir cela va, mais après on ne garantit rien. Des situations et programme analogues existent près de Rotterdam pour limiter l’érosion et le recul du littoral.
Sauf que si ces zones d’endiguement sont efficaces, elles peuvent aussi céder en une nuit, comme dans le cas de Xynthia. Elles peuvent rompre sur 50 mètres et provoquer des inondations catastrophiques faisant 29 morts –en Vendée- et plus d’1,5 milliard de dégâts.

Les documents actuels, par rapport aux risques qui menacent les littoraux, sont « à côté de la plaque ». Il existe globalement trois solutions face à la montée du niveau de l’océan, de la mer : soit on renforce les défenses côtières, soit on recule soit on s’adapte. De toute façon, les recompositions littorales sont plus que nécessaires. De nouvelles taxes de solidarités ont été expérimentées à La Tranche-sur-Mer (fonds de solidarité pour relocaliser à l’arrière du littoral) avec succès. A condition de respecter le « zéro artificialisation « nette des communes, villes et que des terres soient disponibles !

Vincent BAWEDIN : quelle est la stratégie littorale de Biscarrosse ?
Le pilier assumé de la prévention reste la « stratégie douce ». La lutte active en dur a été abandonnée pour éviter les surcoûts et les catastrophes à terme. Si l’on veut rester en bonne santé pour l’être humain, il faut bouger, faire de l’activité physique. C’est la même chose pour le littoral. Selon les années, ce sont entre 3000 et 10000m3 de sable qui sont nécessaires pour recharger la plage. En 2019 ce fut beaucoup moins à côté des trois dernières années. Des enrochements faits pour sauver 3 biens, maisons sur le littoral, peuvent aussi mettre en péril 10, 50 maisons, logements (publics ou privés) un peu plus loin. Une étude de relocalisation sur Lacanau concernant 1200 logements ne peut faire l’économie de dialogue avec les propriétaires, les habitants. On peut difficilement faire sans les citoyens aujourd’hui !
Enfin la solution de « portefeuilles » en réponse à cette recomposition du littoral français métropolitain et outre-mer est sans doute la plus appropriée aujourd’hui.

Questions de la salle :

Existe-t-il des sites, lieux qui sur les littoraux ne reculent pas ?

Virginie DUVAT : pour les Antilles, 20 à 30% des littoraux sont en recul 70% sont en accrétion (engraissement) ou stables.
Marc ROBIN : pour la pointe d’Arçay et l’anse de l’Aiguillon c’est 50% en recul, 50% en accrétion ou stables. Mais on n’a guère de prévisibilité, trop de paramètres rentrent en ligne de compte. Ainsi des tests de re-projection ont été faits entre 2019 et aujourd’hui mais pas entre 2000 et 2019. On n’est pas capable de faire des prévisions correctes. Et les politiques ne suivent pas ou avec beaucoup de retard….

Qu’en est-il des PPA ? Effets, espoirs ?

Tout d’abord une précision : il s’agit de Projet de Partenariat d’Aménagement. Soit des contrats avec l’Etat pour la recomposition littorale, qui jusqu’en 2032 pourront apporter plusieurs millions d’euros dans chaque projet aux communes. Je compte beaucoup sur ces PPA pour assurer la sécurité et les recompositions des littoraux…

Une conférence, très riche, animée, apportant beaucoup d’informations mais forcément incomplète (notamment concernant le « ménagement » ou la protection des littoraux dont il a peu été question).

Pierre JEGO