Joséphine Baker au Panthéon

Rares ont été les artistes à s’être vu décerner la médaille de la Résistance. Le cas de Joséphine Baker est assez exceptionnel à cet égard pour que le général de Gaulle ait tenu à rendre personnellement hommage à l’engagement de la chanteuseJean-Luc Barré, notice Joséphine Baker du Dictionnaire De Gaulle, Robert Laffont, 2006.. « C’est en toute connaissance de cause et de tout cœur, lui écrit-il le 14 octobre 1946, que je vous adresse mes sincères félicitations pour la haute distinction de Résistance française qui vous a été attribuée. J’ai vu et beaucoup apprécié les grands services que vous avez rendus dans les moments les plus difficiles. Je n’ai été, par la suite que plus touché de l’enthousiasme et de la générosité avec lesquels vous avez mis votre magnifique talent à la disposition de notre cause et de ceux qui la servaient ».

Joséphine Baker était au sommet de son succès et de sa popularité nationale et internationale lorsque, par patriotisme et gratitude envers la France, elle se mit à la disposition, dès septembre 1939, des services du contre-espionnage de l’armée française. Jusqu’à la libération de la France, puis jusqu’à la capitulation de l’Allemagne, son engagement fut continu sous des formes particulières, celui d’une résistante atypique, mais d’une résistante authentique. Engagement et action résistante qui n’ont encore donné lieu à aucune réelle étude historique. « Les sources écrites manquent. Les témoins aussi. Joséphine Baker a eu une trajectoire courageuse mais en solitaire. »Gérard Létang, chercheur historien au Service historique de la Défense, cité in L’Espionne qui venait du show, Les hors-séries de L’Obs, novembre 2021.

Joséphine Baker, une profonde motivation patriotique

L’expression « S’engager dans la résistance » traduit une vision a posteriori, elle sous-entend que la personne sait à quoi ou dans quoi elle s’engage. Or la résistance, même si l’expression surgit très tôt, est une réalité multiforme et évolutive que l’on ne peut saisir qu’à partir du moment où elle existe. Ce sont ceux qui s’engagent qui là font exister. Ils réagissent à une situation, la trouvent insupportable et décident d’agir, conscients des risques encourus. Les historiens de la Seconde Guerre mondiale ont depuis longtemps présenté l’engagement dans la Résistance comme relevant principalement d’une double motivation, « patriotique » et « antifasciste ». Mais ils ont été amenés à nuancer la réduction de l’engagement à ces deux motivations, à montrer qu’elles relevaient du domaine des idées et qu’elles ne fondaient l’engagement concret que dans la mesure où s’y ajoutaient des conditions vécues et des représentations qui les rendaient opératoires. L’engagement ne relève jamais d’une seule motivation ; il s’agit d’une combinaison de facteurs, les uns remontant à l’enfance, d’autres beaucoup plus immédiats, contingents, liés à la situation jugée insupportable de l’occupation de la France.

Joséphine Baker
Visite de Joséphine Baker au groupe de chasse I/2 fin 1939. Source : Service historique de la Défense.

Joséphine Baker est devenue française par mariage en 1937. La motivation patriotique de son engagement ne fait aucun doute, révélé par sa précocité et par ses modalités. Jacques Abtey témoigne que lors de leur première entrevue elle lui déclara « « C’est la France qui m’a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. La France est douce, il fait bon y vivre pour nous autres gens de couleur, parce qu’il n’y existe pas de préjugés racistes. Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens. Ils m’ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. Jacques Abtey, La Guerre secrète de Josephine Baker, éditions Siboney, 1948.» On notera la dimension spécifique de son patriotisme qui se fonde en partie sur son antiracisme, tout en estimant qu’elle se montre bien optimiste en considérant qu’il n’existe pas parmi les Français de préjugés racistes. Elle cherche immédiatement, dès 1939, à s’engager personnellement pour la défense nationale. Elle déclare qu’elle refusera de chanter à Paris tant que les Allemands y seront. Elle assure la gestion à ses frais d’un centre d’accueil de réfugiés à la Gare du Nord. Toujours à ses frais, elle prépare et expédie des colis aux soldats mobilisés et effectue dès 1939 plusieurs tournées sur la ligne Maginot pour motiver les troupes. Autre preuve de son profond attachement à la France, quand un officier américain lui propose, en 1943, de signer un contrat pour la durée de la guerre pour chanter pour les soldats américains, elle refuse en soulignant qu’elle est un soldat de la France Libre et qu’elle chante bénévolement pour l’armée françaiseCharles Onana, Joséphine Baker contre Hitler. La star noire de la France libre, éditions Duboiris, 2006..

Joséphine Baker, l’engagement précoce dans les services spéciaux de la Défense nationale

Une des conditions de l’armistice signé le 22 juin 1940 impose le désarmement de la France. L’armée française est réduite à 100 000 hommes. Au sein de cette armée de l’armistice, des initiatives se font jour qui visent à maintenir une activité clandestine de résistance à l’occupant avec lequel le maréchal Pétain a choisi de collaborer. Ces initiatives sont prises par des officiers patriotes qui refusent le caractère définitif de la défaite et la politique de collaboration. Ils entendent poursuivre dans la clandestinité une activité qui permette de combattre l’occupant. Dans cet objectif, des réseaux d’évasion et surtout de renseignement sont créés. Le colonel Rivet commande en juin 1940 les Services spéciaux de la défense nationale, renseignement et contre-espionnage. « La lutte continue quoiqu’il advienne » affirme-t-il en réorganisant ses services de manière à ce que leur activité prélude « à la rentrée ultérieure de la France dans la guerre ». Le renseignement sera envoyé, d’une part aux états-majors britannique et américain (les États-Unis ne sont pas encore en guerre), d’autre part au Deuxième Bureau de l’état-major de l’armée française. Dès juillet 1940 deux organismes sont donc reconstitués clandestinement : un service de renseignement (SR) dirigé à Vichy par le commandant Perruche qui a pour mission de recueillir des renseignements ; un service de contre-espionnage dirigé à Marseille par PailloleLe capitaine Paul Paillole est affecté depuis 1936 au service de centralisation du renseignement et de contre-espionnage du 2e Bureau de l’état-major de l’armée. et camouflé dans un organisme travaillant pour le génie rural. Son objectif est de neutraliser l’action des services spéciaux de l’Axe. Des contacts sont pris avec les Alliés, anglais mais aussi américains par la suite. Toutes les informations en provenance du SR sont transmises aux Alliés par trois filières : l’ambassade du Canada, les attachés militaires de l’ambassade américaine et enfin le Portugal par la valise diplomatiqueCette nébuleuse est mal connue faute d’avoir trouvé son historien et pour d’autres raisons. D’une part elle fut active au tout début de l’occupation, cédant la place ou s’intégrant ensuite au sein de réseaux gaullistes ou anglais mieux connus. D’autre part, elle fut animée par des hommes de droite, souvent vichystes et voulant croire, au moins au début, au double jeu du maréchal Pétain, toujours très anticommunistes. Elle fut donc victime du discrédit qui recouvrit la droite à la Libération et globalement qualifiée de collaboratrice par les organisations de résistance les plus puissantes. Professionnels de l’espionnage, anti-allemands mais aussi farouchement anticommunistes, ces hommes ont préféré rester discrets sur leurs activités dans la France de la Libération..

C’est dans ce contexte que débute l’action de Joséphine Baker. Son engagement est extrêmement précoce puisqu’il se situe au début de la guerre, et non au début de l’occupation. En septembre 1939, Daniel Marouani, frère de l’agent de Joséphine Baker, la présente au capitaine

Joséphine Baker
Avis du contre-espionnage au sujet de Joséphine Baker (1943). Source : Service historique de la Défense.

Jacques Abtey, officier du Deuxième Bureau de l’état-major de l’armée française. Abtey, qui était chef du contre-espionnage militaire à Paris au moment de la déclaration de guerre, est alors chargé de recruter des agents de renseignement, qui ne seront pas nécessairement des professionnels de l’espionnage. Il souhaite plutôt recruter des personnalités volontaires et dignes de confiance susceptibles de se rendre partout sans éveiller les soupçons afin de recueillir les renseignements sur l’activité des agents allemands. Il devient l’officier traitant de Joséphine Baker, immatriculée comme « honorable correspondant ». Il est alors convenu qu’elle se servira de ses relations pour se faire inviter aussi souvent que possible dans les cocktails donnés dans les ambassades afin d’y recueillir des informations sur les troupes ennemies. Elle réussit ainsi à obtenir, lors de réceptions données dans les ambassades d’Italie et du Portugal, des renseignements sur les mouvements des troupes allemandes et les intentions de Mussolini au début de la guerre. Une note rédigée après guerre par le général Buscat à destination du ministre des armées, indique que « Joséphine Baker fournit des renseignements sur l’éventualité de l’entrée en guerre de l’Italie, sur la politique du Japon et sur les agents allemands à Paris » Archives de la DGER, AI 1 P 6679 1. Titulaire d’un brevet de pilote, elle rejoint, pour masquer son engagement dans le contre-espionnage, les Infirmières Pilotes Secouristes de l’Air (IPSA) et accueille des réfugiés de la Croix Rouge.

Quand la France est envahie, en mai 1940, Joséphine Baker gagne en voiture le château des Milandes, en Dordogne, où elle vivait depuis 1936. Elle constitue au château un groupe de personnes décidées à ne pas accepter la défaite : ils inventent la RésistanceLe château fut perquisitionné par les Allemands.. Abtey fait partie des agents du Deuxième Bureau qui optent très tôt pour le soutien aux gaullistes. Il cherche donc à établir le contact avec la France libre et à lui transmettre les renseignements recueillis en zone occupée sur les positions allemandes. Abtey prend contact avec le capitaine Paillole, qui dirige le contre-espionnage militaire à Marseille. Il devient Jean-François Hébert, ancien artiste de music-hall et désormais secrétaire et assistant de Joséphine Baker. Celle-ci est sensée partir en tournée au Portugal et en Amérique du Sud. Les renseignements sont transcrits en langage chiffré et à l’encre sympathique sur les partitions musicales qu’elle transporte toujours avec elle.

Tandis qu’Abtey reste au Portugal, J. Baker revient à Marseille et reprend contact avec Paillole. Une nouvelle organisation est établie : Abtey et J. Baker iront s’établir au Maroc où leur parviendront les renseignements transmis par Paillole. Abtey effectuera des missions au Portugal où il rencontrera des agents de la France libre.

Joséphine Baker au service de la France libre

Ils s’établissent à Casablanca, puis à Marrakech. Abtey n’ayant pu obtenir de visa, Josephine se rend seule au Portugal transmettre les informations de Paillole :

« C’est très pratique d’être Joséphine Baker. Dès que je suis annoncée dans une ville, les invitations pleuvent à l’hôtel. A Séville, à Madrid, à Barcelone, le scénario est le même. J’affectionne les ambassades et les consulats qui fourmillent de gens intéressants. Je note soigneusement en rentrant… Ces papiers seraient sans doute compromettants si on les trouvait. Mais qui oserait fouiller Joséphine Baker jusqu’à la peau ? Ils sont bien mis à l’abri, attachés par une épingle de nourrice. D’ailleurs mes passages de douane s’effectuent toujours dans la décontraction… Les douaniers me font de grands sourires et me réclament effectivement des papiers… mais ce sont des autographes !Les mémoires de Joséphine Baker recueillis et adaptés par Marcel Sauvage, Correa, 1949. »

En juin 1941, Joséphine Baker tombe gravement malade. Son hospitalisation durera 19 mois, « Durant ces années, j’ai connu trop souvent le bistouri, la clinique, les nuits blanches, la fièvreLes mémoires de Joséphine Baker recueillis et adaptés par Marcel Sauvage, Correa, 1949, chapitre VIII : « Quatre années au service de la France » Elle était très gravement malade et faillit perdre la vie par trois fois. A l’origine du mal, Lynn Haney, auteur d’une biographie de Joséphine, parle de fausse couche donnant lieu à une infection. Jacqueline Abtey, elle, parlera d’une mauvaise réaction à une injection d’Ipedol. Ce ne fut qu’un an après son entrée en clinique qu’elle fut assez forte pour subir une opération, Notice du Dictionnaire biographique de l’immigration.». Bien qu’on ne puisse plus parler de mission de renseignementSauf dans les récits hagiographiques., sa chambre devient un centre d’échanges d’informations car les visites sont nombreuses et Joséphine a des amis puissants dans l’entourage du Sultan ; elle est l’amie intime du pacha de Marrakech qui est immensément riche. Ainsi Paillole, désormais officier gaulliste chargé du contre-espionnage en Afrique du Nord, y rencontre-t-il le vice-consul américain BartlettMémoires du colonel Paillole, cités in Charles Onana, Joséphine Baker… op.cit.. Elle s’emploie également à convaincre tous les officiels américains qu’elle rencontreNe pas oublier qu’elle est aussi de nationalité américaine.. Des agents des services secrets britanniques, américains, giraudistes et gaullistes sont alors présents au Maroc. Elle s’emploie également à convaincre tous les officiels américains qu’elle rencontre de soutenir le général de Gaulle et la France Libre ; ce qui n’est pas une mince tâche car Roosevelt est, et restera longtemps, hostile au général de Gaulle ! Une note de renseignement émanant de la direction des services de renseignement et sécurité militaire, établie à Alger le 17 octobre 1943 Archives de la DGER, GR 28P9 390, document communiqué par Fabrice Bourrée., observe que « les sentiments nationaux de Joséphine Baker ne sont absolument pas discutables. Son dévouement est sans borne, son désintéressement est total. D’un esprit prompt et dynamique, Joséphine est capable de nous rendre de très grands services dans les milieux des grands Chefs marocains, où elle est on ne peut mieux introduite ».

Joséphine Baker
Joséphine Baker en concert à Oran en mai 1943. Source : National Archives and Record Administration Washington.

À peine rétablie, Joséphine Baker part soutenir le moral des troupes et organise des spectacles en remettant à l’armée française l’intégralité de ses cachets. Entre 1943 et 1944, elle mettra à la disposition des œuvres sociales de l’armée de l’air plus de 10 millions de francsCharles Onana, Joséphine Baker contre Hitler. La star noire de la France libre, éditions Duboiris, 2006.. Elle se met à la disposition du Haut Commandement des troupes pour donner des spectacles partout où on lui demande d’aller, finançant elle-même ses tournées. Elle parcourt des dizaines de milliers de kilomètres en jeep à travers les déserts pour donner des spectacles dans les camps isolés de l’armée et dans les villes d’Alger, Agadir, Fez, Tunis, Benghazi, Alexandrie, Le Caire, Jérusalem, Haïfa, Damas et Beyrouth, partageant le quotidien des soldats avec ses risques et ses contraintes, au prix de sa santé. Accompagnée de Jacques Abtey, de Frédéric ReyUn ancien amant et partenaire de scène, devenu son ami. et de Si Mohammed MenebhiBeau-frère du Sultan, de sympathie gaulliste., elle partage la vie des soldats auprès desquels elle jouit d’une immense popularité. Présent à l’un des spectacles qu’elle donna à Alger en 1943, de Gaulle vint la remercier à l’entracte de « tous ses efforts » déjà accomplis envers la France libre et lui fit remettre par son officier d’ordonnance une petite croix de Lorraine en or qu’elle vendit par la suite aux enchères pour la somme de 350.000 francs au profit exclusif de la Résistance[Les mémoires de Joséphine Baker recueillis et adaptés par Marcel Sauvage, Correa, 1949./footnote]. Elle accepte aussi de chanter pour les soldats américains (noirs et blancs) et pour les soldats anglais.

Le 23 mai 1944, en reconnaissance des services de propagande qu’elle avait rendus au cours de cette impressionnante tournée en Afrique du Nord et au Moyen Orient, Joséphine Baker est officiellement engagée pour la durée de la guerre à Alger, dans les Forces aériennes françaises libres Elle est affectée à la direction des formations féminines de l’état-major général de l’Air comme rédactrice de 1ère classe faisant fonction d’officier de propagande avec le grade de sous-lieutenant. Le 6 juin 1944, elle se trouve dans un avion Caudron C440 Goéland qui survole la mer, au large de la Corse. Suite à une panne moteur au-dessus de la mer, perdant de l’altitude, l’avion est forcé d’amerrir dans le port de Chiavari. Joséphine Baker et le reste de l’équipage, réfugiés sur l’aile du C440 Goéland, sont récupérés par un détachement de tirailleurs sénégalais présents sur zone à ce moment-là [footnote]AI G 8363, Journal des marches et des opérations du groupe de liaisons aériennes ministérielles, rédigé à partir de 1944. La page 18 du JMO relatant l’accident a été signée de la main de Joséphine Baker à Paris en 1946 et comporte une illustration.. Le 24 août 1944, elle est détachée à la section liaisons-secours de l’état-major de la Défense nationale, puis le 6 juillet 1945 au Bataillon de l’Air 117 Cette affectation est prise en compte à dater du 1er octobre 1944.Son contrat est résilié le 8 septembre 1945.. réée à Alger au printemps 1944, cette unité principalement composée de médecins, d’infirmières et d’assistantes sociales, était chargée d’apporter assistance et soins aux populations civiles. D’abord affiliée au Commissariat à la Santé, l’unité est ensuite rattachée aux formations de la 1ère Armée du général de Lattre de Tassigny.

Joséphine Baker
Joséphine Baker participe au gala des Forces françaises libres (article extrait de L’Écho d’Alger, 11 août 1943). BNF.

Elle débarque à Marseille en octobre 1944. Elle donne des spectacles dans toute la France pour l’armée et les hôpitaux. Elle prend pour chef d’orchestre Jo BouillonQu’elle épouse en 1947. et refuse de se faire payer. Elle suit ensuite la progression de la 1re armée française, dans la campagne des Vosges puis d’Allemagne. Buchenwald la traumatise par toute son horreur ; elle chante pour les survivants. A Berlin, elle représente la France lors de la soirée célébrant la victoire qui réunit des artistes des quatre nations signataires de l’acte de capitulation. Puis, c’est une tournée qui emmena Joséphine Backer et l’orchestre de Jo Bouillon en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Norvège, en Finlande, au Danemark et en Suède. Le 1er mai 1945, la revue Regards rend hommage à l’engagement patriotique de Joséphine Baker : « En renonçant jusqu’à la victoire à participer à des manifestations artistiques normales dont elle aurait été la seule bénéficiaire, la vedette de nos revues de music-hall d’avant guerre s’est assigné le triple but de jouer pour les soldats, au profit de leurs œuvres sociales, et des populations civiles sinistrées. Grâce à une organisation modèle, elle parvient à l’atteindre au cours de chacune de ses longues tournées ».


La reconnaissance officielle des services dans la Résistance

Joséphine Baker
Joséphine Baker reçoit la médaille de la Résistance française (édition du 19 octobre 1946 de France Illustration). Collection Fabrice Bourrée

Un décret du 5 octobre 1946, publié au Journal officiel du 13 octobre 1946, lui attribue la médaille de la Résistance avec rosette. La médaille de la Résistance française est instituée par ordonnance du 9 février 1943 du général de Gaulle, chef de la France combattante pour « reconnaître les actes remarquables de foi et de courage qui, en France, dans l’Empire et à l’étranger, auront contribué à la résistance du peuple français contre l’ennemi et contre ses complices depuis le 18 juin 1940 Article 1er de l’Ordonnance n°42 du 9 février 1943 instituant une médaille de la Résistance française.».  Après la croix de l’Ordre de la Libération, c’est la seconde décoration créée pendant la guerre par le général de Gaulle. De nouveau hospitalisée en 1946, Joséphine Baker reçoit alitée, en présence de Mme de Boissieu, fille du Général de Gaulle, la « médaille de la Résistance » des mains du Colonel de BoissoudyGuy Baucheron de Boissoudy (1908-1972) a combattu dans les FFL en Afrique équatoriale, en Erythrée, au Proche Orient, en Egypte, en Libye. Il est fait compagnon de la Libération en septembre 1942. Membre du cabinet militaire du résident général du Maroc en 1943, il a alors connu Joséphine Baker.. La « médaille commémorative des services volontaires dans la France LibreElle est décernée à toutes les personnes reconnues comme « Français libres » pour avoir souscrit un engagement dans les FFL entre le 18 juin 1940 et le 1er août 1943, ou pour avoir servi dans des territoires ayant rallié la cause des FFL.» et la « médaille commémorative française de la guerre 1939-1945Elle est attribuée à tous les combattants français et étranger appartenant à une nation en guerre contre les pays de l’Axe. » viennent compléter la distinction que représente la médaille de la Résistance.

Une partie des autorités militaires manifestera cependant beaucoup de réticence à reconnaître son action, rejetant à deux reprises, en 1947 et en 1949 la proposition de sa nomination comme chevalier de la Légion d’Honneur. Le 30 juin 1947, une commission lui dénie à l’unanimité toute légitimité militaire pour bénéficier de la Légion d’Honneur. Le secrétariat d’Etat aux forces armées « Air » confirme ce rejet le 8 mars 1949, motivant sa décision sur une présentation caricaturale et mensongère de son action durant la guerre, jugée insignifiante. À ces décisions, motivées sans doute par le machisme et le racisme, s’opposent avec véhémence des officiers gaullistes ayant combattu dans la France libre qui les jugent indignes. Ainsi le général Billotte, chef d’état-major particulier du Général de Gaulle en Afrique du Nord, compagnon de la Libération, le général Bouscat, chef d’état major général de l’armée de l’air de juillet 1943 à octobre 1944, la commandante Alla DumesnilAlla Dumesnil (aussi nommée Dupont-Dumesnil et Dumesnil-Gillet) s’est engagée dans la France libre en juin 1940 et a fait partie en novembre des premières recrues du Corps féminin, devenu le Corps des Volontaires françaises.

Titulaire d’un brevet de pilote, elle devient la responsable de la section Air. En juillet 1943, elle quitte Londres pour Alger. Le général Bouscat lui confie dès son arrivée la section d’auxiliaires féminines de l’armée de l’air en Afrique du Nord. En juillet 1944 elle accède au grade de commandante. Sébastien Albertelli, Elles ont suivi de Gaulle. Histoire du Corps des Volontaires françaises, Perrin/Ministère des Armées, 2020., supérieure hiérarchique de Joséphine Baker en Afrique du Nord, interviennent-ils en sa faveur et rédigent des rapports sur ses états de service pendant la guerre, pour que Joséphine Baker obtienne enfin la reconnaissance officielle qu’elle mérite pour son engagement patriotique. Par décret du 9 décembre 1957Journal officiel du 14 décembre 1957. Jacques Chaban-Delmas est alors ministre de la Défense nationale et des Forces armées., elle est faite chevalier de la Légion d’Honneur et reçoit la Croix de guerre avec palme.

Le texte du décret d’attribution de la Légion d’Honneur est édifiant :

« Dès 1939, se met en rapport avec les services du contre espionnage, fournissant de précieux renseignements, notamment sur l’éventualité de l’entrée en guerre de l’Italie, sur la politique du Japon et sur certains agents allemands à Paris. En octobre 1940, se met en rapport avec un officier du 2e Bureau. D’un courage et d’un sang-froid remarquables, transporte des messages secrets et continue à fournir des renseignements très utiles aux services alliés de l’intelligence service. Mobilisée pour la Croix Rouge, se dépense sans compter. 

Quitte Paris pour la Dordogne, soupçonnée par les Allemands de cacher des armes, une perquisition est opérée dans sa propriété, fait preuve d’un courage et d’un sang-froid remarquables. Afin de faciliter le départ d’agents de renseignements pour l’Angleterre, monte une troupe artistique composée uniquement de gens désireux de rallier les F.F.L. ; passe en Espagne, soi-disant à destination du Brésil. A Lisbonne, reçoit un télégramme de Londres lui demandant d’organiser en France un nouveau service de renseignements. Rejoignant Marseille, mise en rapport avec un agent de renseignements est obligée de reprendre son activité artistique. Voulant quitter le sol de France part au Maroc en 1941, collabore avec les mouvements de résistance Française.
Invitée dans les Ambassades et les Consulats lors d’une tournée en Espagne, recueille de précieux renseignements. Dès le débarquement allié en Afrique du Nord, à peine remise d’une longue maladie, s’engage dans les Formations Féminines des F.A.F.L. – Envoyée au Moyen-Orient, met son talent, son énergie au service des Combattants Français et alliés. Suit le corps Expéditionnaire Français en Italie. Belle figure de la femme française au service de la Résistance »
.

L’activité de résistante de Josephine Baker fut rendue publique en 1949 à travers un ouvrage de son coéquipier, Jacques Abtey, La Guerre secrète de Josephine Baker, accompagné d’une lettre liminaire du général de Gaulle. Les médailles lui furent remises solennellement le 19 août 1961 dans le parc de son château des Milandes, par le général Vallin, commandant en chef des Forces aériennes françaises libres de juillet 1941 à juin 1944, puis chef d’état-major général de l’armée de l’air française d’octobre 1944 à février 1946 et enfin inspecteur général de l’armée de l’air jusqu’en 1957. Deux ans plus tard, elle participe aux côtés de Martin Luther King à la Marche sur Washington, vêtue de son ancien uniforme de l’Armée de l’Air française et de toutes ses décorations obtenues au titre de la Résistance. Restée passionnément gaulliste, Joséphine Baker manifesta jusqu’au bout son soutien au Général. « Je sais, lui écrit-il en juin 1969, combien me sont fidèles – et depuis tant d’année ! – les sentiments dont vos messages m’ont apporté l’expression. »

Les sources autour de l’engagement résistant de Joséphine Baker

Les sources primaires manquent à l’historien. Retracer le parcours d’un résistant nécessite de se tourner d’abord vers les dossiers d’homologation individuelle constitués au lendemain de la guerreFabrice Bourrée, Retracer le parcours d’un résistant. Guide d’orientation dans les fonds d’archives, Archives&Culture, 2020.. Comme leur nom l’indique, ils avaient pour but de recenser les services dans la Résistance d’une personne pour lui permettre de bénéficier d’avantages habituellement réservés aux combattants réguliers. Le Service historique de la Défense conserve dans la sous-série GR 16 P 600 000 dossiers individuels qui sont la base de toute recherche sur un parcours individuel. Ils permettent d’avoir un aperçu sur l’activité de la personne concernée, de connaître l’organisation à laquelle elle appartenait et les noms des responsables. Les homologations ont été faites au titre des Forces française libres (FFL), des Forces françaises combattantes (FFC), des Forces françaises de l’intérieur (FFI), ou de la résistance intérieure. A l’occasion de l’entrée du cénotaphe Cercueil symbolique comprenant de la terre prélevée à Monaco,en Dordogne, à Paris et à Saint-Louis, sa ville natale.  de Joséphine Baker a u Panthéon, le Service historique de la Défense a inventorié les documents d’archive qui concerne l’activité résistante et militaire de Joséphine Baker. Pour l’essentiel, il s’agit de documents administratifs qui ne rendent pas compte avec précision de ses actions clandestines.

J’adresse mes remerciements à Fabrice Bourrée, Chef du département AERI (Musée de la Résistance en ligne) de la Fondation de la Résistance, qui a bien voulu me communiquer le fruit de ses recherches sur les sources primaires de l’activité résistante de Joséphine Baker. Fabrice Bourrée a mis en ligne sur le site du Musée de la Résistance en ligne un corpus avec une sélection de documents issus des fonds du Service historique de la Défense (SHD), de la Bibliothèque nationale de France, de l’ECPAD et diverses autres sources. Il s’agit d’une véritable exposition sur le site du musée de la Résistance.

Archives du Bureau Résistance, SHD, cote : GR 16P 28445. Ce dossier, ouvert à une date indéterminée, n’établit toutefois aucune homologation à ce titre. Le dossier contient pour l’essentiel des copies de pièces provenant d’autres dossiers : état signalétique et des services de l’armée de l’Air (1946), décret portant attribution de la médaille de la Résistance française avec rosette (1946), mémoire de proposition (1956) et décret de nomination (1957) pour le grade de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur à titre militaire. On trouve également dans le dossier la correspondance relative aux demandes de recherches administratives traitées par le bureau Résistance (1976-2006).

Archives de la Direction générale des Etudes et Recherches1(DGER), cote GR 28 P9  390. Ce dossier a été ouvert par la direction de la sécurité militaire à Alger, chargée du contre-espionnage, en 1943. Il est consacré aux activités de Joséphine Baker, résidant en Afrique du Nord avant son engagement dans l’armée de l’Air en 1944. Le dossier contient notamment deux fiches de renseignements de 1943, dont une assez éloquente sur Joséphine Baker, plus critique en ce qui concerne Abtey, une lettre sur sa participation à un gala de la Croix-Rouge française à Alger le 11 juin 1943, une demande de visa avec photographie et un laissez-passer pour l’Egypte (20 juin 1943). La dernière pièce au dossier est un extrait de presse concernant la parution d’un livre sur Joséphine Baker (« La guerre secrète de Joséphine Baker » de Jacques Abtey en 1948).

Dossier de carrière d’officier de l’armée de l’air, cote AI 1 P 6679 1 :

Il s’agit du dossier de carrière du personnel féminin militaire de l’armée de l’Air Joséphine Baker, assimilée sous-lieutenant, ouvert en 1944. Il contient l’état signalétique des services de l’intéressée, son acte d’engagement signé de sa main à Alger le 24 mai 1944, ainsi que des fiches signalétiques, ordres et avis de mutations, attestations, bordereaux d’envois et surtout des courriers, notamment entre le service du personnel du Ministère de l’Air et le bataillon de l’Air 117 (l’unité de rattachement administratif de l’intéressée). La grande partie du dossier concerne ensuite sa nomination dans l’ordre de la Légion d’honneur avec des notes, un mémoire de proposition pour nomination au grade de chevalier de la LH, une notification de rejet de ce mémoire de proposition, des échanges de courriers à ce sujet, le décret portant nomination dans l’ordre national de la LH, des fiches, un extrait du Journal Officiel à propos de la nomination dans l’ordre de la LH  et, enfin, la résiliation de contrat de l’intéressée.

Dossier de carrière de l’Armée de l’Air, Cote AI G 8363 : Journal de marche et des opérations du groupe de liaisons aériennes ministérielles, richement illustré, rédigé à partir de 1944. La page 18 du JMO, relatant l’accident aérien du 6 juin 1944 au large de la Corse, a été signée de la main de Joséphine Baker à Paris en 1946 et comporte une illustration.

Le SHD propose également sur son site un dossier iconographique, cote AI 6 Fi 880.

Archives nationales.
Cote 19770855/230 : dossier de naturalisation par mariage de Joséphine Baker
Cote AG(5)1/1114 : nombreux courriers et télégrammes qu’elle a adressés à De Gaulle après-guerre.
Cote F/7/15747 (dossier n°13782) : dossier de la direction générale des Renseignements généraux sur Joséphine Baker. Ce dossier couvre la période 1944 à 1974 et contient notamment deux notes rédigées à Alger les 8 et 12 août 1944.

Fabrice Bourrée a pu obtenir par correspondance des pièces du fonds Joséphine Baker de la bibliothèque de l’université de Yale. Il y a découvert le décret d’attribution de la médaille de la Résistance française, des lettres de félicitations, notamment de Jacques Soustelle, pour cette nomination, mais également le diplôme lui autorisant le port de l’insigne des Commandos d’Afrique. Ces documents sont des originaux que ne possède pas la commission nationale de la médaille de la Résistance française (ordre de la Libération), et qui sont reproduits sur le site de l’exposition du Musée de la Résistance en ligne.

Archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA)

Joséphine Baker, figure de la Résistance de la Seconde Guerre mondiale

Joséphine Baker dans la Résistance

Joséphine Baker évoque sa participation à la Résistance

Joséphine Baker reçoit le Légion d’Honneur

Bibliographie : 

Jacques Abtey, La guerre secrète de Joséphine Baker, éditions Siboney, 1948. De fait, c’est la source principale, très souvent reprise, pas toujours citée, et rarement vérifiable.

Les mémoires de Joséphine Baker recueillis et adaptés par Marcel Sauvage, Correa, 1949, chapitre VIII : « Quatre années au service de la France».

Charles Onana, Joséphine Baker contre Hitler. La star noire de la France libre, éditions Duboiris, 2006. Cet ouvrage présente assez complètement l’engagement de Joséphine Baker dans la guerre ; mais c’est l’œuvre d’un journaliste qui ne cite pas ses sources et qui privilégie parfois les formes hagiographiques du récit.

Lynn Haney, Joséphine Baker, Jean-Claude Lattès, 1982. Une biographie qui fourmille de détails mais ne hiérarchise pas les faits.

On pourra consulter les sites suivants :

Le choix de la Résistance – Histoires d’hommes et de femmes 1940-1944

Regards sur l’Ordre de la Libération